Nouvelle production de l'Opera Studio de la Bayerische Staatsoper : Die englische Katze (La chatte anglaise) du compositeur westphalien Hans Werner Henze (1926-2012), dont on fêtera en juillet prochain le centenaire de la naissance. Son opéra, créé en 1983, se base sur une nouvelle d'Honoré de Balzac datant du début des années 1840, qu'avait illustrée le célèbre artiste Grandville. Sa nouvelle Peines de cœur d'une chatte anglaise avait été publiée dans l'ouvrage collectif Scènes de la vie privée et publique des animaux. Le livret est signé par l'écrivain anglais Edward Bond, avec lequel Henze avait déjà collaboré avec succès sur son précédent opéra, We Come to the River. À noter que le livret fut aussitôt publié tant en anglais qu'en allemand, et ensuite en français et en italien. L'opéra fut créé en 1983 au Festival de Schwetzingen dans une mise en scène du compositeur et l'année suivante à l'Opéra-Comique de Paris. Depuis, l'opéra a été plusieurs fois joué en Allemagne, la dernière production fut celle de Hanovre en 2016.
La parabole animalière Die englische Katze, qui paraît au départ inoffensive et amusante, se révèle en fait être une satire acerbe contre les classes possédantes et dirigeantes de la société victorienne et leur morale prude et hypocrite. L'histoire du vieux chat Lord Puff, président d'une « Société pour la protection des rats » (la SPPR) végétarienne, et de sa jeune épouse Minette, qui tombe amoureuse du chat de gouttière Tom, se termine tragiquement : Minette est noyée par les autres chats, et Tom, qui a aussitôt épousé Babette, la sœur de Minette, est poignardé dans le dos juste après hérité d'une importante somme d'argent. La société féline, insensible, hypocrite et opportuniste, s'en sort indemne. Une œuvre qui ne peut que nous interpeller, tant la société féline de l'action n'est en fait que le miroir de notre société.
Henze a composé une musique tout à la fois atonale et néoclassique par son évocation du 18ème siècle, réinterprétant et parodiant avec brio de nombreuses formes traditionnelles – cavatine, aria, duo, valse, cantiques, tango et ländler – et les sublimant d'une transparence souvent proche de la musique de chambre. Une oeuvre à la légèreté enjouée, dans laquelle les numéros se succèdent. Une composition atonale de haute voltige dans laquelle les notes semblent constamment trébucher les unes sur les autres, parfois avec une brutalité agressive, et qui sait à la fois ménager des moments lyriques et poétiques d'une beauté intense. Comme c'est souvent le cas dans les opéras contemporains, la partition fait la part belle aux percussions : pas moins de quatre percussionnistes, dont deux en loges de côté, jouant d'un nombre impressionnant d'instruments, tels, pour ne citer qu'eux des tiges de verre suspendues, des gongs chinois, une cymbale suspendue, un tambour africain en bois, des tambours en bois, un conga, des sistres, des cymbales à doigts, des petites cloches... qui côtoient une grande cithare, un célesta ou encore un orgue. Une chatte y perdrait ses petits, mais ce n'est pas le cas de la cheffe autrichienne Katharina Wincor qui, pour ses débuts acclamés à la Bayerische Staatsoper, a su faire briller sans emphase les ors de cette partition complexe en les détaillant avec une précision de diamantaire.
La metteuse en scène Christiane Lutz et le scénographe Christian André Tabakoff en sont à leur troisième production commune à l'opéra de Munich où ils ont déjà monté The Consul et Mignon. Ils ont ingénieusement utilisé l'espace relativement restreint de la scène du théâtre Cuvilliés pour y installer des décors modulaires coulissants qui évoquent le living room austère, lambrissé, au plafond à caissons de bois de Mrs Halifax, — la riche londonienne qui a décidé des épousailles de Minette avec Lord Puff, mais dont le personnage est physiquement absent de l'opéra, — la chambre de Minette, le toit de la maison avec en fond de scène le panorama de Londres avec la cathédrale Saint Paul vu des rives de la Tamise, ce toit sur lequel Minette rencontre Tom, ce toit sur lequel se déroulera ensuite le procès du couple félin adultérin.
L'opéra de HW Henze ne comporte pas moins de quatorze interprètes, treize chats et chattes et une souris, la seule survivante de sa famille qui fut décimée par des chats voraces, et qui est devenue la mascotte de la SPPR. La sud-coréenne Seonwoo Lee est délicieuse dans le rôle de Minette, la chatte de campagne naïve qui se verra très vite déniaisée, elle jongle aisément avec les innombrables difficultés du rôle qu'elle déjoue avec virtuosité de son soprano au timbre clair et lumineux et interprète avec une sensibilité émouvante. Lord Puff est incarné par le ténor américain Michael Butler qui impressionne tant par son jeu de scène que par la plasticité de sa voix. Nouvelle recrue et non des moindres de l'Opéra Studio, le chat Tom du baryton anglais Armand Rabot brûle les planches (et la toiture) avec une présence scénique puissante et une voix de stentor, une prestation exceptionnelle. La basse anglaise Daniel Vening impressionne en Arnold par ses graves profonds et fermes et une excellente projection. La soprano arménienne Iana Aivazian joue et chante la petite souris Louise avec beaucoup de finesse. La mezzo-soprano américaine Lucy Altus livre une Babette de très belle facture.
Cet opéra fut sans doute pour beaucoup une heureuse découverte. On pourra en 2026 entendre d'autres compositions du compositeur Hans Werner Henze, et spécialement à Munich où il fonda la Biennale en 1988, un festival d'opéra qu'il avait voulu être " un endroit où la jeune génération de compositeurs intéressés par le théâtre... pourraient mettre en pratique leurs idées ". Le Münchner Philarmoniker rendra notamment hommage au compositeur en interprétant en juillet prochain Sebastian im Traum, une de ses dernières oeuvres.
Distribution du 9 novembre 2025
Direction musicale Katharina Wincor
Mise en scène Christiane Lutz
Scénographie Christian André Tabakoff
Costumes Dorothée Joisten
Lumières Benedict Zehm
Dramaturgie Olaf Roth
Lord Puff Michael Butler
Arnold Daniel Vening
M. Jones / Le juge / M. Fawn Zhe Liu
Tom Armand Rabot
Pierre Samuel Stopford
M. Keen / L'avocat de la défense / Le pasteur Dafydd Jones
Minette Seonwoo Lee
Babette Lucy Altus
Louise Iana Aivazian
Mademoiselle Crisp Elene Gvritishvili
Mme Gomfit Nontobeko Bhengu
Dame Tood Jess Dandy
Monsieur Plunkett / Le Procureur Bruno Khouri
Betty, une jurée Meg Brilleslyper
Crédit photographique © Geoffroy Schied
Prochaines représentations les 25, 28 et 30 janvier 2026 au Théâtre Cuvilliés.


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