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dimanche 24 août 2025

Semaines festives d'Innsbruck — Ifigenia in Tauride de Tommaso Traetta — Le compositeur et son opéra

Pylade et Oreste amenés comme victimes devant Iphigénie
Benjamin West, 1766 (Tate Britain).

Les Semaines festives de musique ancienne d'Innsbruck donneront pour deux représentations, les 27 et 29 août prochains,  Ifigenia in Tauride de Tommaso Traetta dans une nouvelle mise en scène de Nicola Raab. La réalisation musicale a été confiée à Christophe Rousset et son ensemble Les Talens Lyriques, considérés depuis leur enregistrement complet de Antigona de Traetta (L'Oiseau-Lyre, 2000) comme les défenseurs de ce grand compositeur qui mérite sans aucun doute d'être (re)découvert. Plus récemment, Christophe Rousset et l'ensemble vocal Novo Canto ont enregistré l'oratorio Rex Salomon de Traetta (Label CPO, 2023). La soprano espagnole Rocío Pérez, qui s'est récemment produite avec Les Talens Lyriques dans L'Olimpiade de Cimarosa au Theater an der Wien, interprète le rôle d'Iphigénie. Rafael Tomkiewicz chantera Oreste, tandis que le personnage sombre de Toante est incarné par le ténor australien Alasdair Kent. Ils sont rejoints par les sopranos Karolina Bengtsson dans le rôle de Dori et Suzanne Jerosme (qu'on a pu entendre aux Festwochen 2023 dans l'oratorio Rex Salomon de Traetta) dans celui de son amant Pylade.  Les sculptures de la production ont été créées par Erika Isser-Mangeng, directrice de l'Académie des beaux-arts du Tyrol.

Ce sera pour beaucoup une découverte de cet opéra rarement représenté, qui, à notre connaissance ne fut récemment joué qu'aux festivals de Schwetzingen et d'Erlangen en 2014, deux villes qui disposent d'un opéra historique datant du 18ème siècle. 
 

Tommaso Traetta (Bitonto 1727- Venise 1779)

Célèbre compositeur de l’école napolitaine, Tommaso Traetta naquit le 19 mai 1727, à Bitonto, à 18 kilomètres de Bari, dans les Pouilles qui faisaient en ce temps là partie du Royaume de Naples. Admis au Conservatoire napolitain de’ Poveri di Gesù Cristo à l’âge de onze ans, il y commença ses études sous la direction de Francesco Durante, un anticonformiste qui, à une époque où la musique se banalisait, défendit les idéaux de Palestrina, créa de magnifiques œuvres instrumentales et de musique sacrée. Cette école fut dissoute et transformée en un séminaire en 1743. Traetta entra alors au Conservatoire de San Onofrio, et devint élève de Leonardo Leo. Après dix années d’étude, l’instruction de Traetta dans toutes les parties de la musique se trouva complète : il sortit du Conservatoire en 1748, se livra à l’enseignement du chant, et composa pour des églises et des couvents de Naples des messes, des vêpres, des motets et des litanies. 

Traetta trouva rapidement le chemin du théâtre : en 1750, son opera seria Il Farnace fut représenté au Teatro San Carlo, où il obtint un succès si brillant qu’on lui demanda pour la même scène six opéras qui se succédèrent sans interruption. Appelé à Rome, en 1754, il y donna au théâtre Aliberti l'Ezio, qui est considéré comme un de ses plus beaux ouvrages. Dès lors sa réputation s’étendit dans toute l’Italie ; Florence, Venise, Milan, Turin se le disputèrent et applaudirent à ses succès ; mais des propositions avantageuses qui lui furent faites par le duc de Parme en arrêtèrent le cours : il accepta le titre de maître de chapelle de ce prince et fut chargé d’enseigner l’art du chant aux princesses de la famille ducale. Dans son Essai sur la musique ancienne et moderne (Paris, 1780), Jean-Benjamin de Laborde  avance que Traetta changea dès lors son style, et qu'il imita dans ses opéras le goût français, qui était celui de la cour de Parme. On ne trouve cependant  aucune trace de ce style dans l'Armida ni dans l'Ifigenia in Aulide, qu’il écrivit à Vienne à la même époque (1760). Le premier ouvrage composé à Parme par Traetta fut Ippolito ed Aricia, représenté en 1759, et repris en 1765 pour le mariage de l’infante de Parme avec le prince des Asturies. Son succès fut si brillant que le roi d'Espagne accorda une pension au compositeur, en témoignage de sa satisfaction. Dans la même année (l759), Traetta fut appelé à Vienne pour y écrire l'Ifigenia, un de ses plus beaux ouvrages. De retour à Parme, il y donna la Sofonisba. Une anecdote relative à cet ouvrage paraît être l'origine de ce que rapporte Laborde concernant la transformation du style de ce compositeur pendant son séjour à Parme. Dans une situation dramatique où l’accent d'un personnage devait être déchirant, Traetta crut ne pouvoir mieux faire que d’écrire au-dessus de la note ces mots : un urlo francese (un cri français). La jeune reine Sophosnibe se jette entre son époux et son amant, qui veulent combattre: « Cruels, leur dit-elle, que faites-vous? « si vous voulez du sang, frappez, voilà mon sein » ; et comme ils s'obstinent à sortir, elle s'écrie : « Où allez-vous? Ah! non!» Sur cet Ah! l'air est interrompu : le compositeur voyant qu'il fallait ici sortir de la règle générale, et ne sachant comment exprimer le degré de voix que l'actrice devait donner, a mis au-dessus de la note sol, entre deux parenthèses, (un urlo francese). Après la Sofonisba, il retourna à Vienne pour y composer Armida, qui est aussi considérée comme une de ses plus belles partitions. Cet opéra et Ifigenia furent joués ensuite dans presque toute l’Italie, et accueillis avec enthousiasme. Après la mort de l’Infant don Philippe, duc de Parme, au mois de décembre 1765, Traetta fut appelé à Venise, pour y prendre la direction du Conservatoire de l'Ospedaletto ; mais il n'occupa ce poste que deux ans, ayant consenti à succéder à Galuppi comme compositeur à la cour de Catherine, impératrice de Russie. Il partit au commencement de 1768 pour Pétersbourg, et Sacchini lui succéda à l'Ospedaletto. La plupart des biographies disent que le lendemain de la première représentation de la Didone abbandonata, l'impératrice de Russie envoya à Traetta une tabatière en or ornée de son portrait, avec un billet de sa main où elle disait que Didon lui faisait ce cadeau : on a confondu dans cette anecdote Traetta et Galuppi qui avait écrit, quelques années auparavant, un opéra sur le même sujet à Pétersbourg, et qui reçut en effet ce message de l’impératrice. La Didone de Traetta avait été composée à Parme, en 1764. Après sept années de séjour à la cour de Catherine II,  sentant sa santé affaiblie par la rigueur du climat, il demanda son congé, qu’il n’obtint qu’avec peine. Il s'éloigna de la Russie vers la fin de 1775 pour aller à Londres où l’avait précédé le bruit de ses succès. Mais soit que le sujet de l’opéra qu’on lui avait confié dans cette ville ne l’eût pas inspiré, soit que le mauvais état de sa santé n’eût pas laissé à son talent toute sa vigueur, sa partition de Germondo, représenté au théâtre du roi, au printemps de 1776, ne parut pas digne de sa haute réputation. Le froid accueil fait à cet ouvrage et à un recueil de duos italiens qu’il fit graver à Londres vers le même temps, le décida à quitter cette ville dans la même année, et à retourner en Italie, où il espérait retrouver des forces. Mais dès ce moment sa santé fut toujours languissante. Il écrivit encore quelques opéras à Naples et à Venise, mais on n’y trouvait plus le même feu que dans ses anciennes productions. Le 6 avril 1779 il mourut à Venise, avant d’avoir atteint l'âge de cinquante-deux ans. 

Wien, Österreichische Nationalbibliothek

Doué au plus haut degré du génie dramatique, plein de vigueur dans l’expression des sentiments passionnés, hardi dans les modulations, et plus enclin que les musiciens italiens de son temps à faire usage de l’harmonie chromatique de l’école allemande, Traetta paraît avoir conçu la musique de théâtre au point de vue où  Christoph Willibald Gluck s’est placé quelques années plus tard, sauf la différence des tendances mélodiques, qui sont plus marquées dans les œuvres du compositeur italien que dans les productions de l’auteur allemand. Il joua un rôle aussi important dans la réforme de l'opéra que Gluck, à qui l'on associe généralement la transition de l'opera seria au drame musical. 

" Il y chez Traetta une vigueur stylistique que l'on ne rencontre chez aucun symphoniste de la première moitié du XVIIIe siècle, et cela confère à ses œuvres une place particulière dans l'histoire de la musique instrumentale : Traetta est un précurseur des grands maîtres de l'orchestre, non plus celui du quatuor ou du concerto grosso, mais celui de la symphonie ; toutes sortes d'instruments peuvent jouer un rôle protagoniste ou antagoniste, et les effets instrumentaux commencent à être considérés en eux-mêmes, au-delà de leur relation avec l'idée mélodique, avec des transpositions de timbres et de couleurs dans différentes régions sonores : les idées musicales ont une couleur et un sens dramatique, et pour sceller cette particularité, l'idée musicale n'est plus une incrustation ornementale, décorative, mais une pensée, une action, une émotion. " (Traduit d'Amintore Galli, Estetica della musicaBocca (Torino), 1900).

Dans le pathétique, Traetta atteint quelquefois le sublime. Il oubliait parfois que le goût de ses compatriotes répugnait alors à ces accents énergiques, et qu’ils préféraient la mélodie pure au partage de leur attention entre la mélodie et l’harmonie ; mais lorsqu’il apercevait dans son auditoire la fatigue de cette attention, pendant les premières représentations de ses ouvrages, où il était assis au clavecin, convaincu qu'il était du mérite et de l’importance de certains morceaux, il avait l’habitude de s’adresser aux spectateurs en leur disant : "Signori, badate a questo pezzo" (Messieurs, faites attention à ce morceau), et le public applaudissait presque toujours à cette expression naïve du juste orgueil d’un grand artiste.

Napoli, Museo storico musicale

Trattea composa une quarantaine d'opéras, il est considéré, avec Niccolò Jommelli, comme l'un des représentants les plus importants de l'École napolitaine. À sa mort en 1779, avec plus de 40 opéras, des symphonies, de la musique sacrée et des divertissements, il était l'un des compositeurs les plus renommés de son temps Ses œuvres, longtemps oubliées, sont en phase de redécouverte.  

Parmi ses opéras, relevons Farnace, à Naples, en 1750 / I pastori felici, ibid., 1753./ Ezio, à Rome, 1754./ Il Buovo d’Antona, à Florence, 1756. / Ippolito ed Aricia, à Parme, 1759. / Ifigenia in Aulide, à Vienne, 1759. / Stordilano, principe di Granata, à Parme,1760. / Armida, à Vienne, 1760. / Sofonisba, à Parme. 1761./ La Francese à Malaghera, à Parme, 1762. / Ifigenia in Tauride, à Vienne en 1763/ Didone abbandonata, ib., 1764. / Semiramide riconosciuta, 1765. / La Serva rivale, Venise, 1767/
Amore in trappola, ib., 1768./ L’Isola disabitata, à Pétersbourg, 1769. / L’Olimpiade, ibid., 1770./ Antigona, ibidem, 1772. / Germondo, à Londres, 1776. / Il Cavalier errante, à Naples, 1777. / La Disfatta di Dario, ibid., 1778. / Artenice, à Venise, 1778. 

Ifigenia in Tauride


in Gazette de France du 17 octobre 1763

Ifigenia in Tauride est un opéra mis en musique par Tommaso Traetta sur un livret de Marco Coltellini et proposé par le comte Giacomo Durazzo, directeur général des Théâtres impériaux de Vienne et promoteur des expériences de réforme de l'opera seria qui caractérisèrent les années 1760. La première représentation de l'opéra eut lieu à Vienne, au Théâtre de la cour de Schönbrunn, le 4 octobre 1763 et fut dirigée par l'auteur lui-même. On fêtait ce jour-là la fête de Saint François d'Assise qui était aussi la date anniversaire du couronnement de l'empereur François Ier (François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse, fut couronné empereur le 4 octobre 1745). Le livret imprimé est précédé de la phrase suivante : « Festeggiandosi li felicissimi nomi delle loro maestà imperiali e reali » (« Nous célébrons les heureux noms de Leurs Majestés Impériales et Royales »).

Traetta a joué un rôle tout aussi important dans les efforts de réforme des années 1760 et 1770 que Christoph Willibald Gluck, dont l'œuvre dramatique est aujourd'hui associée à la transition de l'opéra seria au drame musical. Son opéra Ifigenia in Tauride fut joué un an seulement  après la création du premier opéra réformateur de Gluck, Orfeo ed Euridice. Il constitue l'un des meilleurs exemples de mise en oeuvre de cette réforme réalisée à la demande du comte Durazzo, qui fondait son essence sur la fusion interculturelle d'éléments typiques de la tragédie lyrique française avec ceux de l'opéra italien (des passages choraux, de la danse intégrée  et du récitatif accompagné). Il bénéficia également des apports essentiels de Gluck et de De Calzabigi. Cependant, dans Iphigénie en Tauride, c'est encore principalement l'utilisation de chœurs et de ballets, — avec leur participation directe au drame, — qui met en évidence le goût français pour l'opéra en vogue au XVIIIe siècle.  Ifigenia in Tauride suit encore le modèle italien de la division en trois actes, mais d'autres opéras de Traetta, comme Ipolitto ed Aricia, ont utilisé le modèle français de la division en cinq actes. Gluck et Traetta étaient tous deux à Parme au même moment. Si Gluck a poursuivi le renouveau grec de la tragédie de manière encore plus radicale que Traetta, abolissant les récitatifs secco et le chant ornemental,  Traetta est par contre resté fidèle à ses racines italiennes et n'a jamais renoncé au charme de la colorature et du bel canto. Selon le Reclams Opernführer, l'oeuvre de Traetta se situe « à mi-chemin entre Lully, Rameau et Gluck, Traetta et Gluck s'influençant mutuellement et certaines de leurs techniques anticipant Benda et Mozart ». 

Le livret

La pièce Iphigénie en Tauride de Guimond de la Touche, créée à Paris, au Théâtre-Français, en 1757, déclencha un véritable engouement pour le personnage d'Iphigénie dans le théâtre musical et parlé des années suivantes.  Le livret de Coltellini s'en inspire directement.

Marco Coltellini, figure intellectuelle singulière, poète et éditeur (son imprimerie de Livourne produisit, entre autres, Dei delitti e delle pene de Beccaria (1764) et la seconde édition de l'un des « textes sacrés » des réformateurs de l'opéra du XVIIIe siècle, Saggio sopra l'opera in musica d'Algarotti (1763). C'est Ranieri de' Calzabigi, également originaire de Livourne, qui proposa sa candidature à Vienne et lui obtint la commande du livret d' Ifigenia. Suite au succès de l'opéra, Coltellini fut convoqué à Vienne en 1763 et reçut le titre de poète de la cour. Il resta dans la capitale des Habsbourg jusqu'en 1771, écrivant des livrets pour Gluck, Hasse, Salieri et d'autres maîtres dans le sillage de la réforme calzabigienne.

Présentation de l'opéra en introduction du livret de 1763 (traduit de l'italien)

" Agamemnon, roi d'Argos et général de l'armée grecque destinée à assiéger Troie, est retenu à Aulis par des vents contraires et empêché de passer en Asie pour mener à bien son entreprise. Sur les conseils du grand prêtre Calchas, il consentit à sacrifier sa fille Iphigénie à Diane. La déesse, contrariée par cette épreuve exigée d'un père, substitua une biche à  la jeune fille au moment où elle devait être égorgée, et l'emmena en Tauride. 

Ayant ainsi obtenu la faveur du vent, l'armée grecque passa en Phrygie et se prépara à la prise de Troie. Entre-temps, Clytemnestre, épouse d'Agamemnon et mère d'Iphigénie, affligée par la perte de sa fille et irritée contre son mari, s'éprit d'Égisthe et décida d'en faire son époux et de le mettre sur le trône, après avoir tué Agamemnon. Une fois Troie détruite, Agamemnon revint en triomphe au palais, où sa femme l'accueillit avec de fausses caresses et l'assassina avec l'aide d'Égisthe. 

Agamemnon avait eu deux autres enfants de Clytemnestre, Électre et Oreste ; ce dernier était encore enfant. Clytemnestre méditait de s'en débarrasser, car elle craignait qu'une fois adulte, il ne venge la mort de son père. Mais Électre trouva le moyen de le faire évader et l'envoya chez Strophios, roi de Phocide, ami d'Agamemnon et père de Pilade, avec lequel Oreste fut élevé, et avec lequel il noua cette amitié tant célébrée dans la fable. Une fois adulte, Oreste décida de venger la mort de son père et de libérer la jeune Électre, qui était traitée comme une esclave par Égisthe. Sous un déguisement, il se rendit incognito à Argos en compagnie de Pylade, et, s'étant introduit secrètement dans le palais, il tua sa mère et Égisthe.

Après cet acte de violence, tourmenté par les Furies, imaginant avoir toujours autour de lui l'ombre de sa mère, Oreste sombra dans un délire qui ne lui permettait que rarement d'utiliser sa raison. Dans cet état malheureux, il consulta l'oracle de Delphes qui lui avait déjà ordonné auparavant de tuer sa mère. L'oracle lui intima d'aller en Scythie chez les Taures, d'y dérober du temple la statue de la déesse qui y était gardée avec la plus grande vénération, et de l'emporter en Attique, lui promettant après ce vol le retour à sa tranquillité première. 

Thoas régnait alors sur la Tauride, un royaume dans lequel une vieille coutume ordonnait de sacrifier à Diane tout étranger qui y arrivait. Iphigénie, égarée, enlevée en Aulide par la déesse, transportée en Tauride est poussée à égorger son frère. Mais, dans un désespoir extrême, poussée par une impulsion surhumaine, elle tua le tyran et, après avoir calmé la révolte du peuple, elle  persuada Oreste de la suivre en Attique, où elle emmena le Palladium ; ainsi s'accomplit l'oracle : Oreste est libéré de la persécution des Furies, et Iphigénie, que l'on croyait perdue, est retrouvée et reconnue.

Le lecteur reconnaîtra facilement dans les furies qui tourmentent Orphée, noblement personnifiées par la fable, les remords qui agitent communément les criminels, remords que la nature rend plus vifs et plus atroces lorsqu'il s'agit d'un crime aussi violent que le parricide." (Traduit de la présentation du livret de Coltinelli).

L'intrigue 

Acte I

Oreste a débarqué en Tauride avec son ami Pylade afin de voler le sanctuaire du temple de Pallas Athéna. Malgré les avertissements de Pylade, Oreste décide de s'introduire immédiatement dans le palais, espérant mettre fin à son calvaire. Pylade jure fidélité à son ami jusqu'à la mort. Pendant ce temps, Iphigénie espère être sauvée : depuis quinze ans, Thoas la force à sacrifier à la déesse tout étranger qui pose le pied sur l'île. Lorsque le captif Oreste lui est amené, les frère et sœur ne se reconnaissent pas, mais la vue de l'étranger, qu'elle reconnaît comme un compatriote, émeut profondément Iphigénie. Pendant les préparatifs du sacrifice, Oreste souffre de délires, qu'elle utilise comme prétexte pour convaincre Thoas de reporter le meurtre rituel.

Acte II

Incapable de persuader Thoas de suspendre le sacrifice rituel dans le cas d'Oreste, Ifigenia est désespérée et veut mettre fin à ses jours. Pylade, à la recherche d'Oreste, trouve une complice en la personne de Dori, la seule alliée d'Ifigenia, qui le conduit secrètement au temple. Une fois emprisonné, Oreste est tourmenté par les Furies. Dans la salle des gardes, il voit le fantôme de sa mère assassinée, Clitennestra, qu'il croit également reconnaître dans le visage d'Ifigenia. Ifigenia interroge Oreste sur sa patrie et apprend la mort de ses parents. Mais Oreste n'ose pas révéler son identité. Dori réunit Oreste et Pylade et leur montre un passage secret qui leur permet de s'échapper du temple. Oreste l'utilise pour voler l'objet sacré. Devant Thoas, Dori avoue avoir aidé les étrangers à s'échapper. Thoas jure une vengeance sanglante.

Acte III

Oreste se prépare à partir avec ses hommes. Il remarque que Pylade a disparu et part à sa recherche. Une fois de plus, Iphigénie ne peut échapper au fardeau sanglant de sa position : Thoas la menace ouvertement. Pylade a été capturé pendant sa fuite et doit maintenant être tué par Iphigénie, ainsi que le traître Dori. Oreste interrompt les préparatifs du rituel, est saisi par les gardes du tyran et doit être sacrifié immédiatement. Pylade révèle l'identité d'Oreste et Iphigénie refuse de poursuivre le rituel. Toante décide de sacrifier Oreste lui-même. Iphigénie poignarde le tyran à mort. Annonçant qu'elle ramènera les habitants libérés de Tauris dans sa patrie amicale et fertile, elle enlace Oreste. (Source : traduction du programme des Semaines festives d'Innsbruck)

Commentaires sur le livret et la composition

Le livret de Marco Coltellini diffère par certains aspects du mythe et de la version plus connue de Gluck. Tout d'abord, Iphigénie a une confidente nommée Dori (la Doris de l'Iphigénie de Racine), qui libère Oreste emprisonné et lui montre, ainsi qu'à Pylade, un passage secret pour sortir du temple. En punition de cette trahison, elle doit être exécutée avec Pylade, capturé alors qu'il tentait de s'échapper. Lorsqu'Oreste revient pour sauver son ami et se révèle, Iphigénie elle-même tue Thoas, libérant ainsi les Tauriens de leur tyran. Quant aux différences par rapport à la version d'Euripide, elle réside dans l'épilogue, où Coltellini remplace l'apparition de la déesse Pallas par le meurtre de Thoas par Iphigénie. 

Le choix du tyrannicide vise clairement à fournir un exemple politique, comme le démontrent le plaidoyer libertaire d'Iphigénie et l'avertissement ultérieur du chœur (« Que les tyrans tremblent »). Le thème de la lutte contre la tyrannie – maintenu, bien sûr, dans le cadre d'un absolutisme éclairé – traverse la pièce, nourri de phrases révélant la pensée de Cesare Beccaria. Voir, par exemple, la réponse sanguinaire de Thoas au désir d'Iphigénie de sauver la vie d'Oreste : « (...) cette plèbe mortelle condamnée par le ciel mérite la mort, / et celui qui y cherche un criminel rare est trompé », et le commentaire « éclairé » ultérieur de Dori : « C'est ainsi que, à leur guise, les coupables mortels / imaginent les dieux. » Structurellement, les tendances novatrices par rapport à la tradition de Métastase se manifestent dans la linéarité de l'intrigue, la réduction des personnages au minimum (seule la confidente Dori, qui n'est pas inutile dans l'action, rappelle les personnages secondaires de Métastase) et surtout dans l'utilisation extensive du chœur. 

L'intégration du chœur et des personnages représente, même dans le format musical, l'innovation la plus marquante de l'opéra. Traetta construit de vastes arcs scéniques où les épisodes solistes et choraux fusionnent harmonieusement. Parallèlement à cet élément anti traditionnel, l'opéra conserve cependant de larges sections fondées sur l'alternance habituelle de récitatif (seule une petite partie accompagnée) et de pièce fermée ; la virtuosité vocale abonde, même dans une veine purement hédoniste (à la seule exception du rôle d'Oreste, où le style « parlé » prévaut). Même dans Ifigenia, on assiste donc à une suspension entre l'ancien et le nouveau, semblable à celle que l'on rencontre dans les opéras de Parme (Ippolito ed AriciaI Tindaridi). Du côté plus strictement « réformé » des épisodes choraux, Traetta adopte des approches stylistiques différentes de celles de Gluck. Dans les scènes d'horreur comme de deuil, le traitement du chœur s'éloigne de la véhémence et de la concision de l'Orfeo de Gluck (joué à Vienne l'année précédente) et emploie à la place un style plus fragmenté et miniaturiste, avec un recours important aux techniques imitatives et une pulsation fataliste de l'orchestre dans des figurations changeantes (triolets, roulades , rythmes pointés, accents expressifs des bois). La grande scène de l'acte II, dans laquelle Oreste est tourmenté par les Furies (« Dormi, Oreste ? Ti scuoti, ti desta »), révèle particulièrement l'originalité du style de Traetta. Le pathétique démoniaque que les Viennois avaient décelé l'année précédente dans la scène infernale similaire d' Orfeo cède maintenant la place à une expressivité élégiaque, établie dès les débuts discrets du chœur sotto voce  et culminant dans la cavatine suppliante d'Oreste ("Ah, per pietà placatevi") avec violoncelle obligé. (Source des commentaires : texte traduit du Dizionario dell'opera de Piero Gelli publié par Baldini & Castoldi).

(À suivre avec une chronique après la première du 27 août 2025).

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