Voici l'omelettePour nous il l'a faiteBien élégammentBien soigneusement.Elle se compose,Notez bien la chose,De beurre et puis d'œufsBien battus entr'eux. [bis]
2025 est une année Bizet pendant laquelle est commémoré le 150ème anniversaire du décès de Georges Bizet, mort prématurément à 36 ans le 3 juin 1875 dans sa maison de Bougival, trois mois après la première de Carmen. "Aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. " Georges Bizet, qui n'a pu connaître l'énorme succès que devait connaître son dernier opéra, le rencontra pour la musique de son opérette le Docteur Miracle qui avait remporté alors qu'il n'avait que 18 ans un concours organisé par Jacques Offenbach.
Cette opérette tomba dans l'oubli avant d'être redécouverte dans les années 1950. En cette année Bizet, l'opérette a retrouvé le chemin des planches à l'initiative du Palazzo Bru Zane – Centre de musique romantique française et a été présentée couplée à L'Arlésienne en co-production à l'Opéra de Tours, au Théâtre du Châtelet, à l'Opéra de Rouen et à l'Opéra de Lausanne.
En Allemagne et en Autriche des représentations en langue allemande dans la traduction de Klaus Jossa eurent lieu à Nuremberg et à Linz en 1963, à Berlin en 1991, à Francfort-sur-l'Oder en 1993 et à Hanovre en 2006. Le théâtre munichois de la Gärtnerplatz la joue actuellement dans la même traduction.
On ne fait pas d'omelette...euh, de gâteau...sans casser d'oeufs Silvio/Pasquin, Jacob Romero Kressin |
Traduttore, tradittore ! Une question vient tout de suite à l'esprit. Pourquoi l'équipe du théâtre de la Gärtnerplatz a-t-il programmé le Docteur Miracle en allemand alors que les opéras italiens ou en langue anglaise, comme récemment avec The Old Maid and the Thief , y sont joués dans la langue originale ? La traduction de Klaus Jossa paraît bien fade au regard de l'original français de Léon Battu et Ludovic Halévy. Le fameux quatuor de l'omelette si amusant en français et qui est le numéro le plus connu de devient chez Jossa le quatuor du gâteau, un gâteau réalisé en trois minutes mais qui a servi de ligne directrice à la mise en scène très pâtissière du Theater-am-Gärtnerplatz.
Un concours de composition pour une opérette
Jacques Offenbach, après avoir fondé, d'abord aux Champs-Élysées, puis passage Choiseul, les Bouffes-Parisiens, un nouveau petit théâtre lyrique tout exprès pour y donner ses propres œuvres, s’était avisé de donner, par le concours, accès aux compositeurs qui aspireraient à varier son répertoire. Après une épreuve éliminatoire en règle (mélodie, morceau d’orchestre, instrumentation improvisée d’une mélodie donnée...), 6 musiciens furent choisis par un jury solennel parmi les 78 qui s’étaient présentés, et reçurent ensuite un livret d’opérette, œuvre de Léon Battu (cela ne s'invente pas !) et Ludovic Halévy, le Docteur Miracle, sur lequel ils eurent quelques mois pour s’escrimer. Charles Lecocq et Bizet furent déclarés vainqueurs ex aequo du tournoi. Leurs oeuvres furent représentées alternativement par les mêmes chanteurs sur la scène des Bouffes-Parisiens, celle de Lecoq le 8 avril 1857, celle de Bizet le 9, chacune pour onze représentations. Il est curieux de relire les jugements portés alors par les critiques : la partition de Bizet fut jugée plus bouffe, plus théâtrale, et celle de Lecocq plus musicale et plus serrée d’écriture. Ni l’une ni l’autre ne fit d’ailleurs long feu (ce qui aurait nui à l'omelette...). Aussi bien, Offenbach ne tenait précisément qu’au geste qu’il venait de faire, non aux œuvres.
Pour revivre l'ambiance ce ce concours que Jacques Offenbach nommait un tournoi, on dispose du discours que tint Offenbach après la désignation des vainqueurs par le jury, et que publia le magazine Le Ménestrel :
THÉÂTRE DES BOUFFES-PARISIENSConcours pour une opérette.Le jury d'examen a tenu sa dernière séance lundi 29 décembre 1856 dans la salle du théâtre des Bouffes-Parisiens, sous la présidence de M. Auber. Tous les membres étaient présents : MM. Halévy, Scribe, Mélesville, Saint-Georges, Ambroise Thomas, Leborne, Gounod, Razin, Victor Massé et Gevaërt. Il avait à juger, comme on sait, les compositions des six candidats admis à l'épreuye définitive, MM. Bizet, Demersmann, Erlanger, Lecocq, Limagné et Maniquet. Le même livret avait été remis à chacun d'eux. La séance, commencée à midi, s'est prolongée jusqu'à cinq heures. À l'ouverture de la séance, M. Offenbach a prononcé les paroles suivantes :Messieurs,Au moment où votre arrêt va clore ce concours, objet de tant d'espérances, permettez-moi de vous offrir l'expression de toute ma gratitude. L'initiative que j'ai prise a reçu de votre adhésion une valeur qui l'honore. Le nombre des concurrents dit assez qu'elle répond à un besoin véritable.Ce n'est pas, croyez le bien, Messieurs, un sentiment de vanité personnelle qui me fait parler ainsi. J'ai voulu servir l'art auquel ma vie tout entière est consacrée, j'espère y avoir réussi. Voilà toute ma prétention ; votre approbation est mon orgueil en même temps que ma récompense.Ce concours a révélé des talents ignorés. Votre jugement définitif va proclamer celui qui aura le mieux atteint le but indiqué, en composant, ainsi que l'a dit votre honorable rapporteur, la musique la plus appropriée au théâtre pour lequel elle est écrite.Votre arrêt sera pour le vainqueur un grand sujet de joie ; mais il ne doit pas devenir pour les autres un motif de découragement. Ce sera toujours pour eux une distinction flatteuse d'avoir été honorés de vos premiers suffrages. Ces suffrages d'ailleurs ne seront pas sans profit. Je me réserve d'appeler à moi leurs jeunes talents, et de leur ouvrir aussi la carrière du succès.Messieurs, il y a un an à pareil jour, le 29 décembre, nous inaugurions cette salle qui a l'honneur de vous recevoir. Cette date, votre présence la consacre et nous la rend à jamais précieuse. Les Bouffes-Parisiens sont, pour ainsi dire, aujourd'hui adoptés et protégés par vous. Vous êtes désormais nos patrons et nos maîtres. Pouvions-nous en désirer de plus chers et de plus illustres?
Merci donc, Messieurs, mille fois merci, de votre bonne grâce et de votre bienveillance. Croyez que nous en sommes bien touchés, et que ces souvenirs vivront éternellement dans notre reconnaissance et dans notre affection.
Après cette petite allocution, l'audition a commencé dans l'ordre fixé par un tirage au sort préalable. Le jury, à la suite d'une longue délibération, a cru devoir partager le prix ex aequo entre deux candidats dont les qualités ont été remarquées à divers titres. On a voté au scrutin secret et proclamé à l'unanimité MM. Bizet (Georges) et Lecocq (Charles). La direction ayant été consultée sur le mode d'attribution, il a été décidé :Que chacun des lauréats recevrait une somme de 600 fr. et une médaille d'or de 150 fr.Que les deux partitions seraient jouées alternativement sur le théâtre des Bouffes-Parisiens.
Le jury motiva sa décision de la manière suivante : "La partition de M. Bizet a paru plus savante, celle de M. Lecoq plus vivante."
Le Docteur Miracle
Le Docteur Miracle est une opérette ou un opéra-bouffe en un acte, une sorte de pastiche de la comédie italienne, une pièce fort gaie semée de mots heureux qui convenait parfaitement à la bonbonnière qu'était le petit théâtre du passage Choiseul, qui pouvait accueillir jusqu'à 600 spectateurs.
L'histoire se passe à Padoue, une ville dirigée par un podestat, qui dans la traduction de Klaus Jossa devient un bourgmestre. Le bourgmestre a une fille unique, Laurette, qu'il entoure de soins méfiants. Un capitaine nommé Sylvio, prend tous les prétextes et tous les déguisements pour en conter à Laurette. Fatigué des visites clandestines de Sylvio, le podestat prend à son service un bon et solide campagnard, Pasquin, qu'il charge de veiller sur sa fille. Le domestique sert à son maître, à Véronique et à Lauretta, une omelette d'un goût douteux, un gâteau dans la traduction Jossa. Aussitôt ils éprouvent d'affreux déchirements d'entrailles, qui leur font pousser des cris de détresse. Le domestique sort un instant avec Laurette et se fait reconnaître ; c'est Sylvio lui-même qui a pris ce costume pour tromper le père méfiant. Il se pâme aux pieds de sa belle, lorsque rentre le podestat, dont on peut deviner la colère; il chasse honteusement le valet déguisé. Mais à peine s'est-il débarrassé du capitaine Sylvio, que les douleurs d'entrailles redoublent, une lettre anonyme lui annonce qu'il est empoisonné et qu'il ne lui reste plus qu'à faire son testament. On entend sous les fenêtres la trompette et la grosse caisse d'un charlatan qui vend ses drogues ; on l'appelle en toute hâte ; le charlatan consulté déclare que la maladie est mortelle. Le podestat, de plus en plus effrayé, promet de donner tout ce qu'on lui demandera, si on lui ôte ce vilain mal qui le torture.— Eh bien ! répond le charlatan, donnez-moi en mariage votre fille Laurette et j'assure votre guérison immédiate. L'offre est acceptée, on signe de part et d'autre un engagement en bonne forme ; mais, on le devine, le charlatan n'est autre que le capitaine Sylvio, et le podestat, qui ne peut plus retirer sa signature, prononce le conjungo ; d'ailleurs il est guéri, il n'avait eu d'autre mal que le mal de la peur.
Le texte de Battu et Halévy s'inspire d’une joyeuse pièce du dramaturge irlandais Sheridan, Saint Patrick’s Day ou le Lieutenant intrigant. Les personnages semblent issus de la Commedia dell'arte, des théâtres forains, d'une comédie de Molière (comme Le Malade imaginaire, l'Avare ou les Fourberies de Scapin), de Don Pasquale de Donizetti ou du Barbier de Séville de Rossini. Le thème du barbon méfiant, — que ce soit un père ou un tuteur, — du déguisement à répétition et du serviteur ingénieux.
Le combat des chefs |
Va pour le gâteau ! Une soirée au Studio du Theater-am-Gärtnerplatz
Oublions l'omelette... La mise en scène de Florian Hackspiel est totalement pâtissière, tout comme le sont le décor et les costumes de Rainer Sinell. Le bourgmestre de Padoue est extrêmement gourmand et par conséquent bedonnant, on le remarque à son embonpoint, à sa consommation de smarties et de barbe à papa et à l'ameublement de sa salle de séjour composé de sièges en forme de cupcakes et d'une longue table de salon rectangulaire qui ressemble à un grand gâteau et s'ouvrira en cercueil après l'annonce de l'empoisonnement. Veronika, la femme du bourgmestre, porte une coiffure qui évoque la crème Chantilly et une robe et des souliers blancs dont elle entretient la blancheur au moyen d'un saupoudreur à sucre glace. À gauche de la scène des étagères présentent un assortiment de gâteaux. Lauretta, la fille du bourgmestre, vêtue de rose bonbon et armée d'un téléphone portable de la même couleur, passe le plus clair de son temps à faire des selfies. Se présente un jeune ramoneur qui propose ses services d'homme à tout faire, c'est Silvio déguisé en Pasquin qui prétend aussi savoir faire des gâteaux.
La direction d'acteurs s'inspire de l'exagération de la gestuelle typique de la Commedia dell'arte : les personnages se comportent comme des marionnettes ou des pantins articulés à la manière de la poupée automate Olympia des Contes d'Hoffmann, avec des arrêts sur image, les amoureux s'envoient des petits cœurs, le bourgmestre accumule les maladresses, sa femme est la caricature de la marâtre intéressée qui accumule les mariages et songe à l'héritage. La représentation rend bien compte de l'esprit du livret qui pastiche spirituellement le vieux genre italien.
La direction d'orchestre a été confiée à Peter Foggit, depuis deux ans dans la maison en tant que répétiteur solo. L'orchestre rend fort bien le caractère très enjoué, les couleurs et la pétulante vivacité de la musique de Bizet chantée par les jeunes chanteurs de l'Opéra Studio avec beaucoup de verve et d'esprit. La romance de Lauretta, " Ne me grondez pas trop " est fort joliment interprétée par la jeune chanteuse coréenne Mina Yu dont le soprano lyrique étincelant, les beautés de la ligne vocale et le jeu mutin promettent bien des lendemains enchanteurs. Autre figure émergente, la mezzo-soprano lyrique israélienne Anna Tetruashvili compose avec un talent scénique affirmé une délicieuse marâtre roublarde et profiteuse qui se laisse volontiers peloter les épaules par les mains expertes du faux Pasquin. Le baryton australien Jeremy Boulton est d'un comique inénarrable en bourgmestre glouton bougonnant. Le Californien Jacob Romero Kressin prête sa belle jeunesse et son profil athlétique au capitaine Silvio avec un ténor au timbre chaleureux. En faux Pasquin, il déguise sa voix en tentant d'imiter le dialecte bavarois.
Tout cela donne une soirée des plus amusantes qui, tout en rendant honneur à la virtuosité instrumentale toute légère du jeune Bizet, a remporté un grand succès fort bien mérité.
Tableau final |
Distribution
Direction d'orchestre Peter Foggitt
Mise en scène Florian Hackspiel
Scène et costumes Rainer Sinell
Lumières Peter Hörtner
Dramaturgie Karin Bohnert
Le bourgmestre Jeremy Boulton
Veronika, sa femme Anna Tetruashvili
Lauretta, sa fille Mina Yu
Silvio, un capitaine Jacob Romero Kressin
Orchestre du Théâtre d'État am Gärtnerplatz
Crédit photographique © Anna Schnauss
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