Rechercher dans ce blog

vendredi 12 juillet 2024

Festival d'opéra de Munich — Lise Davidsen chante Lisa dans la Dame de pique de Tchaïkovski (12 et 15 juillet)

Lisa (Lise Davidsen) © Bayerische Staatsoper (capture d'écran)

La grande chanteuse norvégienne Lise Davidsen est pour deux soirs à la Bayerische Staatsoper (12 et 15 juillet) pour y interpréter le rôle de Lisa dans la Dame de Pique de Tchaïkovski dans la nouvelle mise en scène de Benedict Andrews, dont la première eut lieu en février. La soprano dramatique qui remporta le prix Operalia en 2015 accumule depuis les triomphes sur les scènes mondiales. À cette occasion Placido Domingo avait qualifié sa voix de phénoménale. Elle chante Lisa depuis 2019, avec  une prise de rôle très acclamée à Stuttgart suivie la même année de ses débuts newyorkais dans le même rôle au Metropolitan Opera. En février on avait pu découvrir la fabuleuse Lisa d'Asmik Grigorian. La non moins stellaire Lise Davidsen est tout autant attendue ce soir sur la scène munichoise ! 

La mise en scène

Découvrir le secret, déchiffrer le code, posséder la clé. Qu'est-ce qui nous pousse à succomber à l'attrait de l'inconnu, à oublier ce que nous ressentions à l'origine et qui nous sommes ? Avec La Dame de piqueAlexandre Pouchkine a présenté en 1834 une variante russe du roman d'épouvante. Son protagoniste, Hermann, fixe la fenêtre derrière laquelle Lisa est assise. Tandis qu'il cherche à arracher le secret des trois cartes à la comtesse dont elle est la dame de compagnie, Lisa confond son obsession et sa présence assidue sous les fenêtres de la comtesse avec de l'amour. Dans son opéra, Piotr I. Tchaïkovski rend la chute du couple d'autant plus dramatique qu'il laisse entrevoir au début de l'action la possibilité d'une vie heureuse et qu'il nous présente la progression des deux protagonistes sur le chemin de l'aliénation et de l'autodestruction dans la folie et la mort comme la conséquence d'un choix délibéré. Comme dans un film noir, les personnages de la mise en scène de Benedict Andrews sont entraînés dans leurs propres abîmes.*


La Dame de pique est la seconde mise en scène de Benedict Andrews à la Bayerische Staatsoper, où il s'était vu confié la nouvelle production de Così fan tutte en 2022/2023. Andrews s'est ces dernières années consacré à des projets cinématographiques. Ainsi de son film Seberg avec Kristen Stewart, dont la première a eu lieu en 2019 au Festival du film de Venise. Sa passion pour le cinéma est patente dans sa mise en scène de la Dame de pique dans laquelle il met en œuvre les procédés stylistiques du film noir, une expression qui au départ désignait des films policiers hollywoodiens qui mettaient l'accent sur des attitudes et des motivations cyniques dans  un style visuel sobre, en noir et blanc. Sombre et noire est la scène que n'habille aucune paroi. Sobres les éléments des décors de Rufus Didwiszus : une douzaine de grandes tables de jeux surmontées de luminaires, quatre voitures aux phares allumés, une grande tribune de gradins métalliques, un pédiluve ovale où viennent patauger le fantôme de la comtesse dupliquée en cinq copies, un podium de bordel sur lequel se produisent de lascives putains. Tout cela dans un camaïeu de noir et de gris. Dans l'atmosphère glauque de cette perpétuelle pénombre ce sont les lumières de John Clark qui vont donner du relief aux personnages et à leurs expressions. Un rideau d'avant-scène est descendu lors des rapides changements de décor, sur lequel sont projetés des gros plans du buste de Lisa qui manipule des cartes à jouer et d'un briquet livre une dame de pique aux flammes. La direction d'acteur est minimaliste, les choeurs d'adultes et d'enfants s'avancent et reculent en une ligne unique et continue, souvent les solistes sont placés en front de scène, ce qui a l'avantage de porter l'attention sur le chant.

Lors d'un entretien mené par le dramaturge Olaf Roth et que reproduit le programme, Benedict Andrews a expliqué sa conception de l'œuvre et des personnages. Il définit Hermann comme un marginal rempli d'une rage explosive, un "proto-incel ". Le néologisme anglophone " incel " est un mot-valise qui désigne les célibataires (cel) involontaires (in) dans la culture des communautés en ligne,  des hommes solitaires et amers qui se définissent comme incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle: Hermann est marginal parce qu'il est désargenté, un perdant dénigré au bas de l'échelle sociale d'une société fortement hiérarchisée et impitoyable. 

Andrews traduit métaphoriquement la brutalité des hommes de la classe dirigeante en plaçant l'action dans le monde du gangstérisme. La caste nobiliaire russe est un réseau fermé de pouvoir, similaire  à celle des gangsters des films noirs classiques ou du néo-noir chinois, en référence à des réalisateurs comme Jia Zhangke ou Diao Yinan. La Russie de Tchaïkovski est aux mains d'une société mafieuse avec à sa tête un chef charismatique, le tsar. Ce qui n'est pas en substance différent de nombre de régimes pseudo-démocratiques actuels. Dans l'opéra, le rôle de ce capo est tenu par le prince Yeletski qui se choisit la plus belle femme de l'empire pour se l'offrir en trophée. Un triangle amoureux fatidique se forme comme dans le film noir classique avec un Topdog, mâle dominant puissant et autoritaire, un Underdog (Hermann) et une femme supérieure, luxueux jouet pour le premier et objet inaccessible pour le second. Hermann et Lisa ne tombent pas amoureux l'un de l'autre mais de l'image qu'ils projettent sur l'autre, recette infaillible de l'amour raté. Lisa voit en Hermann la possibilité d'échapper à la prison dorée que lui propose Yeletski. Comme dans un film noir, les deux amants sont sous l'emprise d'un amour obsessionnel, voué à la destruction. Benedict Andrews cite à ce propos la phrase célèbre de Sarah Kane : ""Love me or kill me!" Pendant tout le spectacle, Hermann a constamment une arme à la main, qu'il dirige contre les autres ou tourne contre lui-même. La folie les entraînera l'un et l'autre dans la mort. La machinerie rituelle de l'opéra exige la mort du anti-héros, qui doit être sacrifié à la fin. Lisa est dans une impasse similaire et se jette dans la Neva. Du pont, dans la scénographie de Rufus Didwiszus, on ne voit que la courbe montante, dessinée par la perspective d'une série de lampadaires qui se découpent dans la nuit froide et sinistre. La mise en scène de Benedict Andrews fonctionne comme un trou noir : tout ce qui apparaît finit par disparaître et se dissoudre dans l'obscurité. Si son propos est extrêmement cohérent, il est aussi exaspéré et veut souligner tant l'énorme charge émotionnelle des protagonistes que la critique des structures sociétales.

Le jeune chef Aziz Shokhakimov avait déjà dirigé La Dame de pique à Düsseldorf, une œuvre qu'il considère comme la plus importante du répertoire russe et dont il s'est appliqué à approfondir les tempi et à rendre la dramatique, l'accentuation précise et la richesse des couleurs. En dialogue avec le metteur en scène il a accepté la suppression de l'intermezzo mozartien considéré comme une entrave à la ligne claire de l'histoire. Shokhakimov prend pour modèle la direction des symphonies de Tchaïkovski par Evgueni Alexandrovitch Mravinski, qu'il considère comme le sommet du genre, notamment celle de la cinquième symphonie, une oeuvre que l'opéra n'est pas sans rappeler. Le chef et l'admirable orchestre, — formé depuis dix ans par deux directeurs musicaux d'origine russe, — avaient lors de la première de février su rendre la magnificence des variations rythmiques et la charge émotionnelle de l'opéra sans tomber dans les excès de l'exaltation.  On n'en attend pas moins ce soir et lundi !

La tribune. 
Choeurs, Boris Pinkhasovich (Yeletski) et Brandon Jovanovich (Hermann).

Lise Davidsen en Lisa, un jeune chef expérimenté au pupitre, une distribution en tout point remarquable, une mise en scène des plus réussies. Et, on se frotte les yeux en constatant qu'il reste des places ! 

Pour réserver une place restante, cliquer ici (12 juilletou ici (15 juillet).

Distribution des 12 et 15 juillet 2024

Direction musicale Aziz Shokhakimov
Mise en scène Benedict Andrews
Scénographie Rufus Didwiszus
Costumes Victoria Behr
Lumière Jon Clark
Chorégraphie Klevis Elmazaj
Chœurs Christoph Heil
Dramaturgie Olaf Roth

Hermann Brandon Jovanovich
Tomski Roman Burdenko
Prince Yeletski Boris Pinkhasovich
Tchekalinski Kevin Conners
Surin Bálint Szabó
Tchaïlitski Tansel Akzeybek
Naroumov Nikita Volkov
Le maître des cérémonies Aleksey Kursanov
La comtesse Violeta Urmana
Lisa Lise Davidsen
Polina Victoria Karkacheva
La gouvernante Natalie Lewis
Macha Daria Proszek
Le commandant des enfants Olga Surikova

Orchestre de l'État de Bavière
Chœur de l'Opéra d'État de Bavière
Chœur d'enfants de l'Opéra d'État de Bavière

Crédit photographique © Wilfried Hösl

* Traduction du paragraphe de présentation de la BSO. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire