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mardi 23 avril 2024

Les marionnettes de Judith Gautier racontées par Jean Lorrain en 1899

Fille de Théophile Gautier, Judith Gautier (1845-1917) a conçu et réalisé des spectacles (notamment des mises en scène de pièces de son père Théophile Gautier et d'opéras de Richard Wagner) pour son Petit Théâtre dans lesquels étaient utilisées des figurines et des marionnettes. Ces dernières, en cire ou en bois, étaient fabriquées, habillées et manipulées par Judith elle-même. Derrière le castelet, aux pupitres et dans le public, prenait place la fine fleur de la belle société parisienne, aristocrates et artistes, proches du Parnasse notamment.

Judith Gautier chez elle, avec, sur ses genoux, ses chats Bibelot et Satan
Photo BnF Gallica

Jean Lorrain, qui se disait " l'arbitre des élégances ", signa un article consacré à ces marionnettes sous le pseudonyme de Raitif de la Bretonne. Il fut publié dans une chronique du Journal du 30 mai 1899.

" Jeudi 25 mai. — 31, rue Washington, dîné chez Mme Judith Gautier. Judith Gautier, la fille du grand Théo, cette médaille syracusaine devenue, par la culture d'elle-même, une Japonaise d'Hokousaï, face régulière et pâle on dirait modelée dans du kaolin, sous les cheveux noirs comme de l'encre de Chine.

Mme Judith Gaulier est aussi directrice de théâtre, un merveilleux théâtre de marionnettes, où à la fois imprésario, machiniste, décorateur, régisseur et costumier, elle modèle et sculpte de ses mains les personnages des drames qu'elle représente. Un petit cercle d élus a déjà applaudi sur cette scène la Valkyrie et Parsifal pour l'œuvre de Wagner, et Une larme du Diable, de Théophile Gautier ; et les drames wagnériens furent bel et bien joués avec chœurs et orchestre comme à Bayreuth.

Cette année, enfreignant les statuts de la Société des auteurs, Mme Judith Gautier monte sur sa scène un drame en vers dont elle est l'auteur, Tristane.

Comme elle me dit elle-même en me communiquant les maquettes des décors : « Cette fois, j aurai tout fait, les acteurs et la pièce » et comme je m'extasie sur l'ingéniosité de ces maquettes: « Que serait-ce si vous aviez vu celle de la Valkyrie ? soupire-t-elle; j'avais alors un collaborateur précieux, un jeune peintre, René Gérin. Pauvre garçon ! mort à trente ans ! Voyez s'il avait du talent.» Et prenant une lampe elle l'approche d'un grand tableau où trois sirènes à la chevelure d'algues, bercent le sommeil d'un chevalier d'une musique de coquillages, de madrépores et de coraux : « jolie imagination ! et pourtant, ce n'est qu'une ébauche! »

Sur l'andrinople des murs, autour de nous, dans le salon, rasant presque les coussins des divans, c'est une galopade grimaçante de dieux indous, de masques japonais, d'armes d'Orient, de foukousas et de Boudhas ; çà et là, un portrail deWagner, le dieu du lieu : un autre de Gautier, puis un de Leconte de Lisle, des pochades, dont l'une de Sargent, représentant la maîtresse de céans, interrompant cette fresque de soie et de bronze sous le rond lumineux de la lampe, nous feuilletons, maintenant les albums du Japon. Il y a là des estampes amusantes aux détails exquis et minutieux de poissons et des fleurs, des singes se balançant dans des guirlandes, et toute une animalité souriante et malicieuse, parmi une végétation de rêve, que je préfère même aux scènes de personnages et de guerriers. Une page me requiert entre toutes, celle où deux lapins, un noir et un blanc, s'allongent en courant sur la crête des vagues ; et l'atmosphère de ce logis de chimère et de rêve, l'ambiance même de cet appartement parisien, où la fille de Gautier s'attarde et se complaît dans des évocations d'un Orient légendaire, me semblent résumés dans cette estampe du Japon, représentant la galopade de deux lapins-fées sur la mer.

RAITIF DE LA BRETONNE "

Judith Gautier et Richard Wagner, les débuts d'une longue amitié

Le texte que vous venez de lire date de 1899. L'adoration que Judith Gautier (1845-1917) porta à Richard Wagner et à son œuvre était alors déjà très ancienne. Elle remonte à son adolescence. Judith entendit prononcer le nom de Wagner pour la première fois en 1861, le soir de la très chahutée première parisienne du Tannhäuser, et découvrit ensuite la partition du Vaisseau fantôme. Elle ne manqua ensuite aucun des concerts parisiens dont le programme annonçait des extraits des oeuvres de Wagner et se mit à rédiger des articles les concernant. En 1869, elle se rendit à Tribschen en compagnie de son mari Catulle Mendès et de leur ami Villiers de l'Isle-Adam et y firent la connaissance de Wagner et de sa famille. Le trio, qui avait projeté de couvrir la première mondiale du Rheingold à Munich, avait spécialement fait le crochet par Lucerne pour rencontrer le Maître. Nous avons recherché tous les documents de la presse française de 1869 relatant ce voyage, dont la grande majorité sont de la plume des trois compères, et les avons publié en 2019 dans notre ouvrage Les Voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingold (BoD, 2019). 




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