Voici le texte de la causerie hebdomadaire de Blaise Thiberte dans le Supplément dominical du Petit Journal du 27 juin 1886, avec deux illustrations de Trock. Blaise Thiberte est le pseudonyme utilisé par Georges Boyer (1850-1931), qui devint en 1887 rédacteur en chef du Supplément littéraire du Petit Journal, dont il écrivait la causerie de tête. Georges Boyer avait pris part à la campagne de 1870. Seize ans après la guerre, son récit en reste fortement imprégné.
Causerie
Je n’ai nulle envie d’être roi ou empereur ; je dis cela pour le cas où le gouvernement érigerait les Nouvelles-Hébrides en royaume, à seule fin de m'en faire hommage.
La couronne n’a pour moi aucun attrait ; mais enfin, on ne sait ce qui peut arriver, et j'ai vu tant de gens devenir comtes ou barons, que leur naissance, leurs aptitudes et leur distinction destinaient à être, avec de la chance, marchands de contremarques ou bien ouvreurs de portières, que je m'attends à tout.
Je ne serai donc pas prodigieusement étonné le jour où des personnages vêtus comme ceux des cavalcades de la mi-carême m'apporteront une couronne ornée de pierres précieuses sur un coussin en velours de couleur voyante.
À ce propos, je préviens mes sujets futurs que j'ai horreur du velours, son contact me donne une impression fort désagréable, — pur effet nerveux ; — si donc ils désirent que je prenne leur petite machine, ils la poseront sur du satin, de la soie ou simplement de l'alpaga, sans quoi je n’y toucherai pas.
Mais ce sont questions de détail et j'arrive au fait.
Je suppose que je suis roi. Je commence naturellement par expulser les familles des députés ayant régné sur mon pays et, comme il y en a pas mal, cela fera de la place dans mon royaume, les loyers seront pour rien, on aura un hôtel bien situé pour sept à huit cents francs et cela m’assurera une grande popularité parmi les quelques gouvernés qui resteront à mon gouvernement.
Ne m'arrêtant pas en chemin si bien commencé, je confisquerai les fortunes des exilés, ma liste civile s’augmentera d'autant et, comme je ne suis pas avare, la splendeur de mes réceptions officielles s'en ressentira.
Tout le monde pourra boire au buffet et l’on ne payera rien au vestiaire.
Ceci accompli pour le bonheur de mon peuple, je songerai à moi: C'est trop juste; vous en conviendrez.
Or, savez-vous ce qui m’inquiètera les plus ? N'ayant point de secrets pour vous, je vais l'avouer ; ce sera de passer pour malade et d être, en cette qualité, déposé.
Les souverains que l'on a, au dix-neuvième siècle, délivré, dans ces conditions, du fardeau pesant des grandeurs, ont généralement très mal fini.
En 1801, le czar Paul Ier est déclaré malade, on exige son abdication ; le soir même, on le trouve cravaté d’une ceinture d’officier qui l'avait serré jusqu’à extinction de souffle inclusivement.
Nous savons très bien, en France, que Paul Ier n'était pas venu au monde comme cela, et que la ceinture toute seule, si l'officier ne s'en était mêlé, n'aurait pas suffi à sa mort, mais en Russie, dans les écoles, on apprend aux enfants que, dans un accès de folie, le czar très aimé mit fin lui-même à ses jours.
Les petits boyards croient cela et boivent du kummel.
Le 30 mai 1876, — il n’y a, vous voyez, qu’un tout petit peu plus de dix ans, — le sultan Abdul-Aziz-Khan est déposé ni plus ni moins que le czar Paul. Le temps de dire Inch Allah et l’on apprend en Europe que le malheureux sultan s'est ouvert les veines avec de petits ciseaux que l'on avait, comme par hasard, laissés à la portée de ce fou détrôné comme dangereux.
« Il s’est suicidé » écrit-on de Stamboul, mais, à l'époque, la télégraphie n’étant pas encore perfectionnée comme aujourd'hui, tout le monde lit : « on l’a suicidé. »
Erreur de transmission, pas autre chose, Abdul-Aziz-Khan s'est tué lui-même, personne ne l'a aidé, qu'on me montre un peu celui qui oserait en douter.
Personne ne répond? J'en étais parfaitement sûr, le fait est à présent hors de conteste, mais il n’en fut pas toujours de même.
Le dernier déposé, le roi Louis Il de Bavière, savait les mauvais propos auxquels avaient donné lieu la mort de son confrère de Turquie, — on est toujours au courant de ce qui arrive aux gens de son monde, — par respect de ses bons parents et chers alliés, il ne voulut pas faire naître de pareils soupçons.
Aussi, très déterminé à perdre la vie puisqu'il avait perdu son trône, chercha-t-il un moyen d’arrêter les cancans.
Ce ne fut pas long, le défunt monarque était homme d'imagination :
— C'est simple comme bonjour, se dit-il, après avoir frappé ce front qui avait porté le diadème de cette main qui avait tenu le sceptre, je vais tuer en même temps mon médecin.
Je ne saurais trop vous le recommander, si vous vous trouvez jamais dans une situation embarrassante, tuez votre médecin ; comme c'est généralement le contraire qui arrive, on sera tellement étonné que personne ne s'avisera d'aller chercher midi à quatorze heures.
Voyez plutôt ce qui s’est passé pour le roi de Bavière. Sans doute, en tout autre cas, on aurait pu trouver étrange qu’un homme affaibli par la maladie comme Louis II ait pu noyer dans pas beaucoup plus d’un mètre d'eau, un médecin de force herculéenne comme le docteur Gudden.
Nul n’a soufflé mot.
Donc, je vous le répète, tuez votre médecin.
Vous y gagnerez peut-être des articles attendris ou enthousiastes du genre de ceux qui remplissent nos journaux depuis le fait divers royal connu sous le nom de drame du lac de Starnberg.
Je ne vous promets rien car jamais vos soldats n'ont ravagé, pillé, incendié la France ainsi que le firent pour le roi de Prusse ceux du roi de Bavière.|
La seule chose que l’on ait négligée ici pour Louis II, c'est d’ordonner à son intention une messe funèbre, on n'est plus il est vrai aux pratiques religieuses. C'est dommage, j'aurais recommandé pour la cérémonie l'église de Bazeilles, si on a eu le temps de la reconstruire depuis que les Bavarois du roi noyé l'ont brûlée avec ceux qui y avaient cherché un asile. (1)
L'apothéose eût été ainsi à son comble.
Je ne voudrais pas être accusé de manquer de respect à un mort ; mais, sur mon âme, je m'indigne de lire tout ce que l’on écrit en France, à propos de celui qui donnait des ordres au général von der Thann.
Je ne me livrerai point aux plaisanteries que l’on à lancées à propos de son culte exagéré pour Wagner.
Est-il devenu fou parce qu'il aimait Wagner, ou bien aimait-il Wagner parce qu'il était fou ? Peu m'importe, et je ne lui en voudrais pas pour cela, les opinions sont libres, les opinions artistiques surtout, et Wagner a du bon en de certaines parties de ses œuvres ; bien entendu, je laisse de côté la personnalité de l'homme.
Quant à son souverain bien aimant, il m'est impossible, sans hausser les épaules, de voir écrire de lui que ce fut un personnage shakespearien.
Celui qui se promenait vêtu en troubadour abricot dans une gondole traînée par des cygnes sur ce même lac de Starnberg où il a trouvé la mort, et ce, simplement, pour faire comme Lohengrin, fut tout bonnement un personnage de féerie.
J'ai passé il y a quelque temps, par Munich, et la première chose que me montra mon cocher de fiacre, au chapeau hautement galonné d'or, fut la maison de Lola Montès. Il en avait l'air tout fier de cette créature pour laquelle le roi de Bavière, Louis Ier, s’afficha, à plus de soixante ans, de façon si crapuleuse qu'il fut forcé, à la suite d'une révolution, d'abdiquer le pouvoir.
Cette drôlesse, que les Parisiens chassèrent un jour qu'elle leur manqua de respect au point de danser les jambes nues, écrivit et joua en Amérique une pièce intitulée : les Aventures de Lola Montès en Bavière.
Les Américains, très amateurs pourtant d’excentricités, sifflèrent à manquer de respiration, ne voulant pas supporter la représentation même de ces événements honteux dont les Bavarois avaient accepté la réalité.
Cette pièce était un drame.
Si jamais on peut mettre au théâtre les aventures de Louis II, bien que ses sujets, ruinés par ses folies, se soient écrasés à ses funérailles, je déclare que c'est tout au plus si on y trouvera matière à y composer une opérette.
Blaise Thiberte
(1) Lors de terribles affrontements qui eurent lieu pendant la guerre de 1870, l'église Saint-Martin et la commune de Bazeilles furent incendiés et la population décimée. On en trouve le récit sur le site Chemins de mémoire du Ministère français des Armées.
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