Crédit photo © Wilfried Hösl |
Répétition de l'oeuvre en 1910 dans la Neue-Musik Festhalle |
La vaste scène était distribuée de la façon suivante : en bas, l'orchestre, au-dessus, le choeur de garçons et des figurantes, quelque 300 fillettes des écoles, toutes vêtues de blanc, avec des écharpes blanches et bleues, qui comme on le sait sont les couleurs bavaroises, en bordure, de chaque côté, les choristes, les hommes en noir, un groupe de femmes en toilettes claires, un autre groupe en robes sombres; au-dessus, un buffet d'orgue gris et rose. Gustav Mahler dirigeait d'une estrade surélevée les quelques mille interprètes, 150 instrumentistes et 850 choristes qui donnèrent son surnom à l'œuvre : la Symphonie des Mille. Il faut imaginer, au moment de l'interminable ovation que connut la première, le spectacle des 1000 interprètes qui saluèrent en agitant toutes et tous leurs partitions au-dessus de leurs têtes.
L'orchestre doit comprendre 44 violons, 16 altos, 14 violoncelles, 12 contrebasses (énorme quatuor de 86 archets!), 5 flûtes, 5 hautbois, 5 clarinettes, 5 bassons, 8 cors, 4 trompettes, 4 trombones, 1 basstuba, 4 harpes, 1 célesta, une nombreuse batterie d'instruments "contondants ". Des cuivres supplémentaires, trompettes et trombones, sont placés au-devant de l'orgue. A tout cela viennent s'adjoindre, inattendus et inexplicables, un harmonium et des mandolines.
La 8ème symphonie comprend deux « mouvements », deux parties très différentes : la première chante en latin le Veni Creator, la seconde partie met en musique la fin du Second Faust de Goethe, avec son cortège de saints anachorètes et de personnages divers, dont le Père extatique, le Père profond, le Docteur Marianus, la Samaritaine, Marie l'Egyptienne. Une hymne catholique est juxtaposé avec l'apothéose du chef-d'oeuvre de Goethe, une alliance inattendue créatrice d'une intense émotion. Dans un mouvement ascendant, la supplication que la créature imparfaite adresse en prière au Dieu omnipotent aboutit à son mystérieux exaucement, l'ascension de l'implorant vers l'esprit supérieur qu'il invoquait. La composition distinguée et ardente du poème latin anonyme rencontre le mysticisme symbolique de l'oeuvre d'un des plus grands génies de la littérature allemande dans une polyphonie complexe.
(Source : textes inspirés d'articles contemporains de la création parus notamment dans la Revue musicale de Lyon)
Premier concert d'Académie — Munich 2023
Les trois représentations munichoises se jouent à guichet fermé, d'abord parce que le public a hâte de retrouver Kirill Petrenko dont la direction musicale a fait son bonheur pendant de nombreuses années, ensuite parce que , en raison de l'énormité des moyens qu'exige son exécution, la huitième symphonie de Mahler est rarement au programme, — elle est jouée pour la première fois au Théâtre national dans le cadre des concerts de l'Académie de musique.
Plus de trois cent choristes et instrumentistes occupaient le plateau, sans compter la soprano et les cuivres qui avaient été placé derrière et en surplomb du public, au centre de la galerie, pour créer de surprenants effets d'enrobement des auditeurs. Il va sans dire que Kirill Petrenko, que le magazine Opernwelt vient de consacrer en le désignant comme le meilleur chef de l'année, fut très chaleureusement accueilli. La plus grande qualité ne pouvait qu'être au rendez-vous : la réputation des Bayerische Staatsorchester et -chor n'est plus à faire, les huit solistes sont des plus prestigieux et le choeur d'enfants de Tölz est lui aussi un des meilleurs choeurs qui soient. Les attentes étaient grandes et elles ont été comblées. D'aucuns auront sans doute regretté qu'un grand orgue n'ait pu être installé au centre de la scène comme ce fut le cas lors de la création, mais nécessité a fait loi.
Kirill Petrenko et les interprètes sont parvenus à restituer avec magnificence la mystique de l'oeuvre, à rendre par la musique le message transcendantal que contiennent les deux textes juxtaposés qui ont inspiré le compositeur, et qu'il peut être utile d'étudier avant l'écoute. Le Veni creator spiritus, tout laudatif qu'il soit pour le Créateur, est avant tout un appel à l'aide que Lui adresse les humains qui, sans Son aide, sont bien démunis face au Malin, simplement désigné par le texte comme "l'ennemi". Le corps est faible, la chair est triste, hélas ! ( "Infirma nostri corporis / Virtute firmans perpeti. / Hostem repellas longius"). L'hymne est une prière qui demande une guidance pour accéder au spirituel.
Si le Second Faust de Goethe est un drame profane, il n'est en substance pas éloigné du message de l'hymne catholique. Le texte des anachorètes qui le conclut rejoint parfaitement celui du Veni Creator. Au final, l'âme de Marguerite (Gretchen) aura le dernier mot. Cette âme n'est plus seulement celle d'une petite ouvrière allemande (Gretchen n'est pas "demoiselle"), mais elle est devenue une figure universelle et métaphysique, celle l'Éternel féminin. Le Choeur mystique a le dernier mot, "Alles vergängliche ist nur ein Gleichnis" :
" Tout ce qui passe n’est que symbole
L’Imparfait ici trouve l’achèvement
L’Ineffable ici devient acte
L’Eternel féminin nous entraîne là-haut."
Ce sont en allemand huit vers à portée philosophique ou spirituelle et qui furent reçus dans un silence recueilli par un public pétrifié d'admiration et d'émotion, tant la qualité de toute l'exécution de l'œuvre avait atteint de rares sommets. Ce fut une soirée inoubliable, une soirée glorieuse menée à la perfection par un Maître qui, outre son intelligence scrupuleuse de la partition (toute la partition, rien que la partition) et sa suprême maîtrise de la technique, est aussi visionnaire dans le sens le plus noble du terme et par cette vision ouvre pour les auditeurs ouvre la voie du cœur vers le spirituel ou vers les chemins métaphysiques, c'est selon. Parfaitement entraînés, les trois choeurs (le choeur invité de Lettonie, le choeur d'enfants de Tölz et le choeur bavarois) et l'orchestre élargi ont fait merveille et les solistes ont tous été à la hauteur de leurs réputations.
Lors des applaudissements qui se sont terminés par une standing ovation, on a à nouveau pu remarquer la modestie de Kirill Petrenko, un Maestro qui ne se met jamais lui-même en avant et ne recherche pas les lauriers qu'il mérite au plus haut point, mais se met en retrait pour donner la vedette aux interprètes et aux instrumentistes. On l'a vu rayonnant, avec un énorme sourire radieux comme celui d'un enfant, fier et joyeux d'avoir pu porter aux nues la musique de Mahler et d'avoir touché si profondément l'âme des spectateurs qui pour beaucoup, étaient émus aux larmes d'avoir vécu cette interprétation lumineuse et renversante, touchant l'âme au plus profond et ouvrant la voie mystique. La magie de l'unisson de 300 chanteurs et instrumentistes conduits par un chef visionnaire qui met en valeur la substantifique moelle de l'œuvre. On en a pleuré de bonheur au final de cette soirée apothéotique.
Distribution
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