Avec ce Falstaff, Christoph Marthaler et Anna Viebrock signent leur septième mise en scène commune au Festival de Salzbourg. Ils poursuivent par ailleurs leur exploration artistique des œuvres de Verdi, commencée jadis à l'Opéra de Francfort (Luisa Miller), poursuivie à l'Opéra Garnier à Paris (La traviata) et au Théâtre de Bâle (Lo stimolatore cardiaco).
Scène finale |
Pour
leur nouvelle production de Falstaff présentée
dans le cadre du Festival de Salzbourg, le metteur en scène
Christoph Marthaler et la scénographe Anna Viebrock ont choisi de
mettre en regard le Falstaff de
Verdi et celui de l'acteur et réalisateur américain Orson Welles,
qui avait dans son extraordinaire carrière signé un pacte avec ce
personnage que Shakespeare avait fait intervenir dans plusieurs de
ses pièces. Welles avait écrit une refonte de plusieurs tragédies
de Shakespeare sous le nom de Five Kings en 1939 (Richard
II, Henri IV, Henri V, Les Joyeuses Commères de Windsor),
en s'inspirant également des chroniques de Raphael Holinsted. En
1960, il avait repris une dernière fois la pièce Five
Kings au
Grand Opera House de Belfast puis en avait tiré un film qu'il tourna
en 64 et 65. Marthaler et Vierbock s'inspirent des motifs de trois
films liés au célèbre Welles : Chimes
at Midnight (Campanadas a medianoche),
qui est le titre de son adaptation de Falstaff, ainsi que de The
Other side of the Wind (1970-76)
et de son making-of documentaire They'll
Love Me When I'm Dead.
Dans deux des trois films, Orson Welles apparaît lui-même à
l'écran : une fois en tant qu'acteur jouant Falstaff et une fois en
tant que réalisateur Orson Welles, observé pendant le processus de
réalisation. Dans le troisième film, Welles reste derrière la
caméra en tant que réalisateur, mais le scénario qu'il a écrit
pour ce film tourne autour d'un réalisateur qui tente de faire son
retour dans l'industrie cinématographique. Dans une scène
scénarisée (très probablement) appartenant à la succession de
l'auteur, Welles met en scène une confrontation entre lui-même et
un alter ego. Le programme de la nouvelle production de Falstaff de
Christoph Marthaler publie pour la première fois cette scène
récemment découverte.
Selon
le principe shakespearien du théâtre dans le théâtre, de
l'emboitage multiple, des poupées russes ou de mises en abyme en
série, Marthaler et Viebrock nous présentent non pas le Falstaff de
Verdi mais le tournage cinématographique du Falstaff de
Verdi par un certain Orson W., interprété par l'acteur Marc Bodnar,
et son premier assistant (Joaquin Abella). Les chanteurs jouent ainsi
leurs propres rôles lors du tournage d'un film. Le thème du
double, de l'alter ego qui est le même tout en se démarquant, est
central dans la production, avec le chanteur du rôle titre qui
refuse de s'identifier au stéréotype du physique falstaffien et un
Orson W. qui en a toute la rondeur.
Dans
la logique du concept, le décor de Viebrock utilise l'immense scène
de la grande Maison du festival (Grosses Festspielhaus) en la
découpant en trois espaces : à gauche, une salle de projection dont
on ne voit que les fauteuils et le projecteur, au centre la salle du
tournage avec un fauteuil de réalisateur de cinéma et des pliables,
précédée de rails de travelling avec un dolly, et à gauche un
espace de repos et d'habillage pour les acteurs comportant deux
bungalows dont les portes vitrées sont surmontées de crânes de
bovins, des tringles de costumes et une petite piscine sans eau et
des transats, sur fond de paysage désertique avec d'énormes roches
empilées. Le filmage est mimé et on n'en voit pas le résultat, il
n'y a pas de projection vidéo.
Lors
de la discussion en terrasse au cours de laquelle le chef et le
metteur en scène ont évoqué leurs approches de l'opéra, Christoph
Marthaler avait souligné le fait que, dans le livret, presque tout
le monde met en scène tout le monde. Il disait vouloir "
potentialiser cette circonstance ". Et d'ajouter : "Dans
l'histoire, les gens se mettent constamment en scène et mettent en
scène les autres - c'est une caractéristique essentielle. J'adore
la façon dont les chanteurs mettent cela en pratique, car la mise en
scène mutuelle est également essentielle dans leur interaction.
Nous sommes impatients de voir comment cela se transmettra au public
du festival".
Toute
cette construction conceptuelle appliquée à l'opéra de Verdi
serait sans doute fascinante dans le cadre d'un cours d'histoire sur
la réception du personnage de Falstaff. Mais elle a été fort mal
reçue par le public lors des deux premières représentations
salzbourgeoises parce qu'elle déconstruit l'histoire de Falstaff,
réduit en miettes la magie du spectacle, détruit l'illusion et la
possibilité de s'identifier aux personnages. Le personnage de
Falstaff n'est pas représenté comme un obèse ventripotent, pendant
le tournage du film on essaye constamment de lui faire revêtir une
prothèse de ventre qu'il refuse obstinément. Il ne se goinfre pas,
ne s'alcoolise pas davantage, mais absorbe sans arrêt des pilules
dont on ne saura pas si elles sont de couleur bleue ni quelle
stimulation elles apportent. On ne le cache pas non plus dans un
panier à linge et on ne le voit pas tomber dans la Tamise, mais on
observe l'assistant d'Orson W. essayer différents formats de paniers
ou se laisser tomber dans la piscine sans eau où on le voit rebondir
comme sur un trampolin. Tout cela donne une mise en scène en
surimpression ou en collage qui, pour être comprise, suppose une
introduction, un mode d'emploi, ce qui nous paraît dénaturer la
notion même de spectacle.
Les
meilleurs moments de la soirée ont été musicaux, mais sans éclat.
Ingo Metzmacher dirigeait cet opéra pour la première fois avec un
traitement qui faisait par moment penser à une musique de film, avec
une préférence pour des emportements puissants. Gerald Finley a
prêté sa belle stature et les beautés de son baryton-basse en
contre rôle au personnage de Falstaff mais ne semble pas encore
remis des maux de gorge qui l'ont contraint, comme lors de la
première, à la prudence d'un chant plus retenu quoique
remarquablement modulé et nuancé. Même si le chant de Simon
Keenlyside dans le rôle de Ford est d'une belle tenue, ce ne fut pas
la soirée des grands effets. Remarquables furent surtout le groupe
des joyeuses commères, particulièrement l'Alice d'Elena Stikhina et
la Miss Quickly de de Tanja Ariane Baumgartner avec ses graves
profonds, et le couple des jeunes amoureux : la très séduisante
Nannetta de Giulia Semenzato, avec un soprano brillant et une grande
douceur dans les aigus filés, et l'excellent Fenton de Bogdan
Volkov.
Falstaff. Commedia lirica en trois actes (1893). Livret d'Arrigo Boito d'après la comédie The Merry Wives of Windsor et des extraits du drame historique King Henry IV de William Shakespeare
Nouvelle production
Ingo
Metzmacher Direction musicale
Christoph
Marthaler Mise en scène
Anna
Viebrock Décors et costumes
Joachim
Rathke Collaboration à la mise en scène
Lasha
Iashvili Collaboration aux costumes
Sebastian
Alphons Lumières
Malte
Ubenauf Dramaturgie
DISTRIBUTION
Gerald
Finley Sir John Falstaff
Simon
Keenlyside Ford
Bogdan
Volkov Fenton
Thomas
Ebenstein Dr. Cajus
Michael
Colvin Bardolfo
Jens
Larsen Pistola
Elena
Stikhina Mme Alice Ford
Giulia
Semenzato Nannetta
Tanja
Ariane Baumgartner Mrs. Quickly
Cecilia
Molinari Mrs. Meg Page
Marc
Bodnar Orson W.
Liliana
Benini Robinia
Joaquin
Abella Premier directeur adjoint
Académie
d'été de l'Orchestre philharmonique de Vienne
Konzertvereinigung
Wiener Staatsopernchor
Huw
Rhys James Préparation du chœur
Orchestre
philharmonique de Vienne
Prochaines représentations les 20, 23, 25 et 30 août 2023
Crédit photographique © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
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