Nouvelles Sphères au Festival d'été munichois 2023
C'est une première de ballet mixte qui a ouvert le Festival d'opéra de Munich 2023. Avec Sphären.01 (Sphères), le directeur du Bayerisches Staatsballett Laurent Hilaire a programmé pour trois soirées au Prinzregententheater une nouvelle série mettant en valeur le travail d'un chorégraphe renommé à qui fut confiée la tâche d'inviter trois jeunes chorégraphes dont il apprécie le travail : ainsi cette année Marco Goecke a-t-il convié Fran Diaz, Nicolas Paul et Marion Motin.
L'objectif de ce nouveau concept est de mettre en évidence des liens au sein d'une " sphère " chorégraphique et de découvrir ainsi les éléments possibles d'un langage de la danse du futur. Outre les deux créations, The Habit de Fran Diaz et L'Éternité immobile de Nicolas Paul, on a pu voir cet été la reprise de deux œuvres existantes, qui ont ouvert et clôturé la soirée. All Long dem Day de Marco Goecke et la première partie du Grand Sot de Marion Moin, dansée sur le Boléro de Maurice Ravel.
Les Sphères de la saison prochaine sont déjà annoncées : l'édition de l'été 2024 sera organisée par Angelin Preljocaj.
MARCO GOECKE : "ALL LONG DEM DAY" (TOUT LE LONG DE LA JOURNÉE)
NICOLAS PAUL : "L'ÉTERNITÉ IMMOBILE"
" Le temps est l'image mobile de l'éternité immobile ". L'aphorisme inspiré du Timée de Platon se retrouve dans la création du Français Nicolas Paul qui se penche sur la perception du temps. Pour le chorégraphe, de même qu'un tableau a besoin d'une toile, l'action dansée dépend de l'écoulement du temps. L'expérience et la perception du temps sont toutefois subjectives et s'opposent souvent à la compréhension physique et théorique du temps. Partant de cette opposition, Nicolas Paul crée des tableaux dansés dans lesquels s'exprime la tension entre l'éternité et l'instant.
Au départ de L'Éternité immobile, les huit danseurs sont immobiles et silencieux devant un grand écran blanc qui occupe le fond de scène. Une danseuse, Elvina Ibraimova exécute bientôt un mouvement que l'on retrouvera repris à plusieurs reprises par d'autres danseurs. Son ombre portée est démultipliée sur l'écran, premier modèle de mouvement visible. Puis de même les ombres des sept autres danseurs qui se sont mis en mouvement se voient elles aussi multipliées sur l'écran, d'abord en facteur cinq. Mais bientôt on s'aperçoit que la réalité n'est pas si simple. Certaines ombres se mettent à devenir autonomes et on comprend bientôt que le jeu des ombres portées rencontre un théâtre d'ombres chinois produit par des danseurs et danseuses se produisant de l'autre côté de l'écran. Il y a un ici et un au-delà situé derrière l'écran. Parfois un passage se crée parce qu'une ombre de l'ici est produite par un mouvement que reproduit en inversion un danseur ou une danseuse de l'au-delà de l'écran. Les mouvements sont lents, comme contemplatifs, ils sont dansés sur The Hidden Face. une composition de John Tavener pour contre-ténor, hautbois et cordes. Le spectacle de danse et des jeux d'ombres se termine de manière ouroborique : les sept danseurs et danseuses s'écartent lentement et la danseuse exécute de l'autre côté de la toile son mouvement dans le silence.
Le chorégraphe se fait philosophe. Il pose diverses questions sur le temps, qui est un terme aux multiples acceptions et qui ne se peut définir que dans un contexte. Le temps est-il une variable théorique ? Est-il une distorsion cognitive ? Une illusion ? Dans une salle de spectacle, plusieurs temporalités se rencontrent : celle des danseurs qui est différente de celle ses spectateurs, des temporalités qui sont définies par les codes propres au spectacle.
La danse a une relation très particulière avec notre expérience sensorielle du temps. La perception du spectacle permet-elle parfois de traverser le temps et d'arriver un instant à la contemplation de l'éternité immobile ?
La nostalgie d'un soutien en temps de crise — c'est autour de ce thème que tourne la chorégraphie de Fran Diaz, que l'Espagnol vivant en Allemagne, ancien danseur de Goecke, développe avec huit danseuses et danseurs. Le titre The Habit est à la fois une allusion à la force de l'habitude et à un habit de prêtre. Les questions générales de foi jouent également un rôle central dans cette œuvre. Les différentes séquences développent une ambiance surréaliste, presque psychédélique, qui plonge le public dans une sorte de rêve fiévreux.
MARION MOTIN : "LE GRAND SOT"
La Française Marion Motin a été formée à la danse classique et contemporaine et a également intégré le hip-hop dans son langage chorégraphique. Ses premiers projets ont été réalisés pour Madonna, le rappeur Stromae, le créateur de mode Jean-Paul Gaultier ou le ballet de l'Opéra de Paris. En 2020, elle a créé Le Grand Sot lors d'un lockdown Corona sur un stand en Normandie. On a pu en voir la scène initiale du Boléro de Maurice Ravel, une fascinante chorégraphie de groupe pour 16 danseurs, dont la transe et la frénésie pourraient se prolonger à l'infini, n'étaient les limites des capacités humaines des danseuses et danseurs que l'intensité de la chorégraphie semble mener au bord de l'épuisement.
Sur scène, un groupe de sportifs — une sorte de microsociété autonome — se bat avec l'esprit d'équipe, l'ambition personnelle et l'échec, l'ambition, le dépassement de soi et l'échec sous le prétexte d'une compétition qui mène inéluctablement au naufrage, un thriller chorégraphique inspiré par la gestuelle des sports nautiques. L'humour et une ironie aussi amusante que mordante sont au rendez-vous de la chorégraphie qui met en scène des danseurs et danseuses divisés en en deux groupes qui se font face de part et d'autre de la scène. Ils sont habillés de vêtements de sport aux couleurs flashy et portent tous des lunettes de sport noires. Le spectacle commence avec le plus beau jeu de fesses de l'histoire de la danse. Une danseuse au dos nu et d'une musculature parfaite, les bras tendus, présente une paire de fesses magnifiques qui se mettent à exécuter des mouvements alternés de gauche à droite comme si elles étaient indépendantes du reste du corps dont aucun muscle ne bouge ne fût-ce que d'un fifrelin. Hallucinant et hilarant. Elle est ensuite rejointe par les autres danseurs qui répètent le mouvement mais sans qu'aucun ne parvienne à la perfection magistrale de la première danseuse. Ce sont bientôt seize culs qui se balancent sous les yeux d'un public au comble de l'amusement.
Marion Motin s'écarte résolument des codes traditionnels de la danse, une attitude qu'elle avait déjà exprimée dans une note qu'elle avait écrite pour le programme de la première série de représentations du Grand Sot en France :
" Savoir écouter un groupe, savoir s'écouter soi-même et savoir écouter l'environnement. C'est un thème récurrent dans mes spectacles, car la vie me semble être une question d'équilibre. L'évidence de la nature et la complexité de l'être humain sont mes principales sources d'inspiration. La mer, l'eau posent le cadre de la pièce, comme un élément devant lequel nous devons rester humbles et qui peut se retourner contre nous à tout moment. J'ai choisi des danseurs aux personnalités très marquées. Ils sont prêts à s'unir, mais aussi à se déchirer. Dans Le Grand Sot, nous choisissons de danser. Danser pour ressentir, danser, pour transmettre, danser pour éliminer, danser pour transcender. Alors, dansons !"
Les troupes du Ballet de l'État de Bavière et du Ballet junior de Bavière ont fait passer au public une soirée absolument fabuleuse et furent saluées par des applaudissements et une ovation délirantes.
Distribution
Musique Cucina Povera et Ben Vince
Décors Fran Diaz et Manuel Cornelius
Costumes Fran Diaz
Lumières Christian Kass
Avec Carollina Bastos Dani Gibson Marta Navarrete Villalba Phoebe Schembri António Casalinho Robin Strona Rafael Vedra Shale Wagman
Chorégraphie, scène, costumes Marion Motin
Musique Maurice Ravel
Lumières Judith Leray et Marion Motin
Production Caroline Bouquet
Avec Maria Chiara Bono Sinéad Bunn Rhiannon Fairless Jasmine Henry Mariia Malinina Elisa Mestres Chelsea Thronson Anastasiia Uzhanskaia Margaret Whyte Konstantin Ivkin Nikita Kirbitov Vladislav Kozlov Sava Milojević Florian Ulrich Sollfrank
L'ÉTERNITÉ IMMOBILE
Chorégraphie, scène, costumes Nicolas Paul
Musique John Tavener
Lumières Christian Kass
Avec Madeleine Dowdney Elvina Ibraimova Eline Larrory Bianca Teixeira Severin Brunhuber Matteo Dilaghi Andrea Marino Ariel Merkuri
ALL LONG DEM DAY
Crédit photographique © Nicholas MacKay
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