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mercredi 24 mai 2023

Vladimir Jurowski dirige l'Orchestre d'État de Bavière. Vaughan, Schumann et Mahler pour le dernier Concert d'Académie de la saison.

Vladimir Jurowski

Pour le 6ème Concert d'Académie du Bayerische Staatsorchester, le Maestro Vladimir Jurowski a établi un programme remarquablement bien équilibré, y conviant, outre l'orchestre dont il est le directeur musical, des interprètes renommés : le pianiste allemand Gerhard Oppitz pour interpréter le Concerto pour piano et orchestre de Schumann et la soprano américaine Louise Alder pour chanter "Das himmlische Leben" dans le quatrième mouvement de la 4ème symphonie de Mahler. Et comme le dit ce texte extrait du recueil Des Knaben Wunderhorn, nous avons ressenti des plaisirs célestes ("Wir genießen die himmlische Freuden"), Gerhard Oppitz et les musiciens du BSO se sont montrés les dignes parents de Sainte Cécile ("Cäcilia mit ihren Verwandten sind treffliche Hofmusikanten"), la voix d'ange de Louise Alder a enchanté nos sens et éveillé la joie dans nos coeurs ("Die englischen Stimmen ermutern die Sinnen, dass alles für Freunden erwacht.") En un mot comme en cent, Vladimir Jurowski nous a offert une soirée paradisiaque.

La Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis (Fantasia on a Theme by Thomas Tallis ou Tallis Fantasia) est une œuvre pour double orchestre à cordes du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams. Composée en 1910, elle fut jouée pour la première fois en septembre de la même année à la cathédrale de Gloucester pour le Three Choirs Festival, sous la direction du compositeur. Il a révisé ensuite à deux reprises la partition, en 1913 et en 1919. L'œuvre tire son nom de l'auteur de la mélodie originale, Thomas Tallis (vers 1505-1585). Le thème  de Tallis est l'un des neuf qu'il a composés pour le Psautier de 1567 de l'archevêque Matthew Parker. Vaughan Williams s'inspira souvent de la musique de la Renaissance anglaise, ici pour cette fantaisie dans le style de l'ère élisabéthaine qu'il a écrite pour un orchestre à cordes étendu, composé de trois parties : un orchestre à cordes, un ensemble constitué d'un pupitre de chaque section, et un quatuor à cordes solistes, — ce qui la rend proche du concerto grosso. La Fantaisie, —  16 minutes d’admirables variations, dans une atmosphère à la fois noble et poétique, — consacra la célébrité du compositeur, qui ouvrit la voie à la renaissance de la musique anglaise au 20ème siècle en en donnant une des plus belles pages jamais composées. 

Ce sont environ 60 instrumentistes à cordes que dirige Vladimir Jurowski, qui est parvenu à rendre l'impression qu'ont pu vivre les premiers auditeurs de l'oeuvre. Jurowski et les musiciens ont construit une cathédrale auditive et le public a pu vivre le privilège de se sentir élevé dans la théâtralité verticale du gothique perpendiculaire. Ce fut comme si nous étions magiquement transportés dans l'extraordinaire environnement sonore de l'église de Gloucester. La magie d'ailleurs est familière de ce lieu, puisque la cathédrale servit au tournage des films Harry Potter, en devenant l'école de sorcellerie et de magie Poudlard. Une oeuvre à l'étrangeté sublime, qui nous emporte, lorsqu'elle est rendue avec une telle intensité, dans les résonances de ses basses profondes et dans des émotions à nulles autres pareilles.

Gerhard Oppitz

Robert Schumann acheva la composition de son Concerto pour piano en la mineur op. 54 en 1845, qui est aussi l'année de sa création à Dresde. C'est le seul concerto pour piano que le compositeur allemand acheva, au départ d'une Phantasie pour piano et orchestre, écrite en 1841, sur laquelle il greffa un intermezzo et un finale. Il fut créé à Dresde le 4 décembre 1845 sous la direction de Ferdinand Hiller, dédicataire de la pièce, avec au piano Clara Schumann, la femme du compositeur. C'est aujourd'hui l'un des concertos pour piano les plus joués et enregistrés de la période romantique.

On est séduits par cette belle composition claire et accessible qui commence par un allegro magistral, mouvementé et puissant, qui en expose l'idée principale, qui se voit ensuite développée jusqu'à la conclusion. Vladimir Jurowski souligne admirablement la richesse de l'orchestration, ses couleurs et sa vigueur, à côté de la douceur infinie d'adorables modulations, et fait entrer l'orchestre en dialogue parfait avec le pianiste. Et quel pianiste ! Gerhard Oppitz s'est forgé une renommée internationale pour ses interprétations et son expertise de la musique du romantisme allemande, et notamment de Brahms et de Schubert. C'est sur un Steinway qu'il a interprété la musique de Schumann en en rendant le lyrisme avec une clarté éblouissante, une virtuosité supérieure et inspirée, un sentiment de la forme qui ont fait revivre la beauté poétique de cette œuvre majeure du romantisme allemand. Le public lui fit une ovation enthousiaste. 

Louise Alder

Vladimir Jurowski dirige en seconde partie de la soirée la Symphonie n°4 en sol majeur de Mahler, une œuvre d'un compositeur qui le passionne et dont il a déjà donné un enregistrement magistral en 2019, qui fait référence, avec le London Philarmony Orchestra et la soprano russe Sofia Fomina. L'oeuvre revient une nouvelle fois à Munich, ville où elle avait été créée en novembre 1901 aux concerts Kaim sous la direction du compositeur. C'est un régal de pouvoir réentendre cette symphonie aux accents joyeux rendue par un orchestre d'une telle qualité  et dirigée par un tel Maestro. Jurowski s'attache à rendre la maîtrise technique de la composition avec ses harmonies et ses timbres raffinés. On suit les enchantements et les craintes d'un enfant, avec des thèmes ravissants et tendres, des évocations animalières, son sommeil peuplé de rêves heureux, étranges dans la nuit parfois hallucinée et inquiète, mais que vient calmer une berceuse chantée par les anges. La quatrième partie, plus brève que les précédentes, se caractérise par l’intervention d’un solo de voix de femme,  un lied charmant interprété par la délicieuse soprano américaine Louise Alder. Mahler réutilisa le lied Das himmlische Leben (La vie céleste), tiré des lieder Des Knaben Wunderhorn qu'il avait mis en musique. Il avait composé le Lied en 1892, alors qu'il dirigeait sa deuxième symphonie. Le BSO a eu l'excellente idée d'inviter Louise Alder pour l'interpréter. La soprano nous charme depuis 4 ans au BSO (Gretel, Marzelline, et il y a peu une sublime Fiordiligi). Son interprétation met en valeur toutes les nuances du Lied qui présente une vision d'apparence enfantine naïve du paradis, mais avec des accents ici plus intenses, fougueux ou dramatiques et là, au final, plus délicats et mystérieux.

Le public est aux anges et salue longuement tous les instrumentistes que le Maestro prend soin de mettre en valeur. Une très grande soirée dont le festin final des anges rejoint l'élévation toute religieuse de l'entame. 

Crédit photographique : Wilfried Hösl

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