Un article du Matin du 10 juillet 1906 (aussi dans le Gaulois du 12 juillet 1906)
BOUTIQUE DE REINE
C'est un tout petit magasin d'ouvrages de dames et de broderies pour enfants, 3, rue Saint-Roch, à deux pas des Tuileries. Pour un peu, l'on passerait sans le voir, tant l'aspect en est sobre et discret. L'enseigne modeste Aux Ouvrages calabrais ne dit rien tout d'abord. Mais l'ensemble est si élégant, si blanche la devanture, d'un blanc silencieux et doux, si blanches les dentelles et broderies exposées, que l'on se sent gagné par cette blancheur qui caresse l'œil et le charme, blancheur chatoyante et multicolore presque, comme si, à mesure que le regard s'y appuie, le blanc, s'éveillant, se mettait à chanter. Quelle main de fée, quels doigts de grâce et de caprice ont mis en ordre, et parfois en désordre, joli, pimpant, affriolant, ces coussins, ces sachets, ces colifichets-et ces fouffes ? L'on s'arrête, l'on entre, l'on veut savoir. et l'on apprend la très charmante et très touchante histoire que voici.
Il y a un an que se produisit, on s'en souvient, le terrible tremblement de terre qui ruina la Calabre et jeta dans la misère plus de cinquante mille infortunés. Le premier mouvement de générosité fut admirable et de toutes parts les dons affluèrent. Mais, l'enthousiasme tombé, d'autres sinistres accaparèrent l'attention, et les malheureux Calabrais, continuant à subir les conséquences du désastre, aujourd'hui oublié, se trouvent dans un état de misère profonde.
C'est alors qu'une reine, leur reine, celle qu'ils avaient, il y a cinquante ans, réduite à l'exil, mais qui, devant le malheur de ses sujets, sentait renaître et refleurir toute sa tendresse pour eux, eut l'idée, pour leur venir en aide d'une façon constante, efficace, de fonder là-bas, dans le pays, des ouvroirs où les brodeuses et les dentellières exécuteraient leurs ouvrages, et de faire vendre à Paris les produits de leur travail. Et voilà comment S. M. Marie-Sophie, reine de Naples, des Deux-Siciles et de Jérusalem, duchesse de Parme, de Plaisance et de Castro, grande-duchesse de Bavière et de Toscane, est devenue directrice d'un magasin d'ouvrages de dames, 3, rue Saint-Roch, à deux pas des Tuileries.
Elle y vient tous les jours, presque, donner ses instructions, s'enquérir de la vente. Elle préside elle-même, avec des mains à la fois pieuses et coquettes, à l'étalage, en belle place, des soies brochées, couleur de soufre, de pâle azur, de rose douloureux et tendre, que l'or et l'argent des broderies traversent comme des rayons frémissantes, chefs-d'œuvre de grâce, de patience, que de pauvres mains de femmes du peuple ont exécutés, point à point, là-bas, dans les longues journées tristes, et que des mains de reine, de reine exilée (car c'est elle la reine en exil de Daudet) aux gestes lents et graves, pleins de douleurs anciennes, s'efforcent de rendre coquets, riants, gracieux à l'œil (car il faut attirer le chaland, et la charité, qui est une science exacte, veut des mains diligentes).
On comprend maintenant d'où vient le charme exquis de l'étalage la main d'une reine a froissé ces dentelles et les a faites plus jolies, plus précieuses, de même que le parfum d'une rose délicate reste un peu de temps encore aux doigts qui l'ont touchée.
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D'autres détails sont mentionnés dans La Liberté du 9 juillet 1906 :
Il existe à Paris un magasin tenu par une reine. Il est sis au numéro 3 de la rue Saint-Roch, et une majesté authentique, l'ex-reine de Naples, Marie-Sophie, y vend des broderies., Il faut dire qu'elle , ne poursuit, ce faisant, aucun but commercial ; la pensée qui la guide est toute charitable, et c'est au bénéfice de ses compatriotes éprouvés par le tremblement de terre des Calabres qu'elle opère. On y trouve des sachets exquis et puis des coussins agrémentés des plus délicieuses broderies, des dentelles au fuseau, des layettes, des chemins de table. Quant la reine préside à la vente, on distribue aux acheteurs des bouquets de violettes aux couleurs des Deux-Siciles.
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