Sieglinde (Lise Davidsen) et Siegmund (Klaus Florian Vogt) |
La Walkyrie s'ouvre sur un décor presque traditionnel. La cabane de Hunding comporte bien un frêne qui fut un jour puissant, sauf qu'il s'est ici effondré, qu'il est couché à terre, ayant brisé une grande vitre dans sa chute, et qu'aucune épée n'y est enfoncée. Siegmund trouvera un revolver sous l'arbre déchu, l'arme habituelle de la mise en scène de Valentin Schwarz dont les personnages font grand usage. On aperçoit une machine à laver dans une pièce adjacente au séjour, ce qui, avec les costumes d'Andy Besuch, nous rappelle que l'action nous est contemporaine. La nuit est tombée, Siegmund et Sieglinde circulent dans la cabane munis de lampes torches, se croisant sans se rencontrer. Siegmund examine des portraits ou des photos sans doute de famille accrochés à un petit pan de mur. C'est un des leitmotivs de la mise en scène : les personnages sont en quête de leur propre histoire. La contemplation de photos de famille pose un jalon vers la reconnaissance prochaine du frère et de la soeur, dans cette rencontre qui se fait d'abord à tâtons. Mais la véritable surprise n'est pas là : Sieglinde est enceinte avant même d'avoir renconté Siegmund. On peine à croire que ce soit des oeuvres de Hunding, tant les rapports de ce couple forcé sont haineux, sauf si ce brutal l'a violée. Des indices de mise en scène semblent plutôt attribuer la paternité à Wotan, une scène de l'inceste familial ordinaire. Plus tard, lorsque Brünnhilde en fuite conduira Sieglinde épuisée vers leurs soeurs et demi-soeurs, Wotan s'approchera de sa fille enceinte affalée à terre par lui ôter le panty slip, on ne saura si c'est pour lui faire l'amour, ce qui me paraît improbable, pour l'avorter (ce qui ne déplairait pas à Fricka) ou plus probablement parce que l'accouchement est proche. L'inoubliable Lise Davidsen, qui interprète le rôle, joue aussi bien qu'elle ne chante. La mise en scène la contraint à la déambulation alourdie et pénible d'une fin de grossesse. Admirable interprétation, sans doute éprouvante, d'une jeune femme épuisée et accablée qui rampe à quatre pattes, se soutient à peine ou se laisse tomber à terre.
Le deuxième acte s'ouvre sur le décor le plus extraordinaire de cette Walkyrie. On est au Walhalla, où l'on retrouve le même type de parquet somptueusement marqueté déjà vu dans le Rheingold, mais en bien plus grande dimension. La petite pyramide lumineuse dans sa vitrine a été développée à gauche de la scène : le flanc du mur de roches du Walhalla, construit par les géants de la légende, est recouvert d'une demi pyramide de verre dont la structure rappelle celle de la pyramide du Louvre. Le mobilier est semblable à celui du Rheingold, de même que la bibliothèque, mais tout semble plus luxueux encore, le clan Wotan s'est encore enrichi, comme si c'était le destin des riches et des puissants de ce monde de s'enrichir toujours et encore. Une petite serre d'intérieur renferme des plantes vertes. C'est dans cette serre que s'insinuera plus tard pour s'y cacher Brünnhilde, de retour au Walhalla. Le décor d'Andrea Cozzi est bien architecturé, à gauche encore une volée d'escalier menant à une mezzanine.
On assiste à une scène de funérailles : les protagonistes et des enfants se recueillent assis de part et d'autre d'un cercueil blanc posé sur tréteaux et fleuri de couronnes. Un grand portrait où l'on croit reconnaître le visage de Freia porte un ruban funéraire. La pourvoyeuse des pommes de vie est donc morte ? Le crépuscule des dieux est déjà annoncé, peut-être ont-ils fait des réserves mais leur destin est inéluctable. Fricka, en grand habit de deuil, est la maîtresse des lieux. Dominatrice et puissante, elle soumettra Wotan à sa volonté. C'est son grand acte, elle croit tenir les clés du royaume.
La chevauchée des walkyries a déjà abondamment mouillé les plumes de la critique, c'est une des plus colorées de l'histoire. Ces dames hautaines et méprisantes sont installées dans leur salon de beauté privé, piaillant et couinant, portant des masques de réjuvénation et des vêtements d'un luxe criard, se faisant livrer dans leur poulailler haut de gamme des chaussures Louboutin ou autres, servies par une armée de soubrettes et de valets. Princesses régnantes soumises à leur seul géniteur, elles font trembler les serviteurs qu'elles fouettent au moyen de rubans de satin. Une scène débordante d'un humour ironique, une forme d'esprit incisive dont se sert le metteur en scène à divers moments de cette première journée.
Wotan atterré. Brünnhilde et Grane vus de dos. |
Les adieux de Wotan à la Walkyrie sont par contre une scène d'un grand dépouillement qui fait appel au jeu poignant des protagonistes. Seule une pyramide de verre en fond de scène. Les faisceaux lumineux de deux projecteurs qui serviront peut-être aussi à symboliser le cercle de feu qui entoure la Walkyrie sur un rocher lui aussi inexistant dans la mise en scène.
La seule flamme que l'on verra, c'est celle d'une bougie posée sur une desserte amenée par Fricka, qui propose la coupe de la réconciliation à son mari. Fricka qui a provoqué la mort de Siegmund, entraîné celle de Sieglinde, qui a soumis les walkyries en les transformant en grandes bourgeoises enfièvrées de consommation et de luxe, qui croit avoir vaincu la fille préférée de Wotan, lui offre en fait la coupe de sa propre victoire. Mais Wotan la dédaigne pour la vider et y jetter son anneau de mariage, dans un geste symbolique de séparation définitive, puis s'en ira, se saisissant d'un chapeau à large bord que Fricka a apporté. Il reprend son chemin de Wanderer.
On sait que Cornelius Meister est arrivé à Bayreuth en dernière minute pour remplacer quasi au pied levé Pietari Inkinen empêché par la maladie. Alors que le directeur musical de Stuttgart a déjà dirigé le Prologue et la Walkyrie dans son opéra, il n'est pas familiarisé avec la fameuse fosse couverte du Festspielhaus et n'a pas bénéficié du temps nécessaire aux répétitions. Sa prestation n'en est que plus honorable et je ne puis en rien m'associer aux huées haineuses qui ont accueilli les premières et la deuxième soirée du Rheingold. Hier soir, après quelques légers accrocs au cours du premier acte, l'osmose avec le chant magnifique a joué et l'orchestre a pu déployer les ors luxuriants de la musique de Wagner.
Siegmund, enfant de l'amour et du malheur, orphelin blessé et épuisé, est porté par Klaus Forian Vogt, qui chante aussi le rôle-titre dans Lohengrin cet été à Bayreuth, dont la voix s'est corsée et cette légère raucité convient bien au romantisme douloureux et passionné de Siegmund, et à ses élans victorieux que son propre père a brisés. Le lyrisme cantabile de son chant d'amour "Winterstürme wichen dem Wonnemond" est admirable. Lise Davidsen en Sieglinde est sans conteste la reine de la soirée avec cette voix d'un volume et d'une puissance d'évocation incomparables qui nous pétrit d'émotions, avec en apex sa grande scène finale du troisième acte "O hehrstes Wunder! Herrlichste Maid!" à l'approche de la mort. On retrouve Georg Zeppenfeld dans le rôle de Hunding qu'il chante avec de belles couleurs dans les graves. Entendre la grande mezzo wagnérienne Christa Mayer en Fricka est toujours une expérience tétanisante, elle est superbe dans l'expression de la colère d'une maîtresse femme sûre de son fait et inflexible. Elle est sans crainte face au dieu qui lui tient lieu d'époux et de constructeur, et qui ne peut résister à sa volonté inflexible d'exterminer ses bâtards ! Iréne Theorin porte le rôle de Brünnhilde avec un charisme quelque peu entravé par une gestuelle fort répétitive et mécanique. La voix, d'un beau volume, quelque peu affectée par un vibrato incertain, paraît chercher son chemin dans l'art des contrastes pour mieux le trouver dans une expressivité qui émeut. Last but certainly not least, Tomasz Konieczny a livré un des meilleurs Wotan que nous ayons jamais entendu, avec une puissance, une endurance sans faille pour ce rôle si difficile à porter, une humanité profonde et tragique dans son extraordinaire monologue du deuxième acte, un sens raffiné des nuances, notamment dans le final si triste, si douloureux où c'est la voix d'un homme brisé qui s'élève à peine pour un dernier baiser à la walkyrie sacrifiée.
Le public à offert une énorme ovation acclamée et trépignée aux chanteurs de la Walkyrie.
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