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La musique en conversation — Vito Priante, Pavol Breslik, Kristin Sigmundsson,
Diana Damrau, Michael Nagy, Tanja A. Baumgartner
Le Festival d'Opéra de Munich vient de connaître sa deuxième première avec le Capriccio , la dernière oeuvre lyrique composée par Richard Strauss, qui fut créée à Munich en 1942. Íl s'agit du troisième avatar de la belle mise en scène de David Marton qui avait été montée à Lyon en 2013 puis reprise à Bruxelles en 2016. Le chef Lothar Koenigs avait quant à lui déjà dirigé l'oeuvre à Bruxelles où la basse islandaise Kristinn Sigmundsson avait également interprété le rôle du directeur La Roche. Le magnifique décor unique de Christian Friedländer a dû être adapté aux dimensions de la scène du Prinzregententheater. Sauf pour le rôle du directeur, c'est une nouvelle distribution qui reprend la production à Munich, avec en artiste étoile la soprano bavaroise Diana Damrau qui fait une prise de rôle éclatante en comtesse Madeleine.
Monsieur Taupe (Toby Spence) et les trois danseuses. |
Le livret situe l'action au 18ème siècle. David Marton la déplace en 1942, au moment de création de l'oeuvre, comme en témoignent les costumes de Pola Kardum. Si la mise en scène reste essentiellement centrée sur la thématique du livret, ce déplacement temporel permet d'ajouter à la représentation les épineux problèmes auxquels Richard Strauss, — dont la belle-fille et les petits-enfants sont juifs et qui a travaillé avec Hofmannstahl, mort trop tôt pour être inquiété, et Stephan Zweig, — a été confronté au temps de la dictature national-socialiste. David Marton évoque les compromis de Strauss et les horreurs de la persécution antisémite dans sa mise en scène en ajoutant une caractéristique au personnage du souffleur, monsieur Taupe, dont le nom de famille est bien choisi puisqu'il souligne simplement avec humour la vie souterraine du métier exercé : monsieur Taupe est ici aussi un odieux indicateur nazi au service du régime, habile à débusquer les Juifs. On le surprend en train de se livrer à des mesures anthropométriques sur les nez et les proportions de la boîte crânienne des trois danseuses dont il va organiser l'exil vers les couloirs de la mort. Il fait subir le même sort au couple de chanteurs italiens. Monsieur Taupe et les serviteurs eux aussi infiltrés sont habillés de gabardines inquiétantes. Et quand la comtesse, partagée entre son amour pour le musicien et son amour pour le poète, chante dans son grand air final "nun stehst du selbst in Flammen und kannst dich nicht retten" et "Willst du zwischen zwei Feueren verbrennen ?" ("à présent tu te trouves toi-même dans les flammes" et "Veux-tu brûler entre deux feux?"), alors que circulent dans le théâtre les fantômes des trois danseuses, le public, s'il veut bien ouvrir les yeux, ne pourra manquer de faire le rapprochement avec la monstrueuse incinération dans les fours crématoires. La mise en scène est ainsi faite que la question qui est au coeur de l'opéra, — la musique prime-t-elle sur la poésie ou inversément ? —, paraît à présent bien futile.
Le décor qui occupe toute la scène jusqu'aux cintres présente en coupe longitudinale le théâtre à l'italienne du couple fraternel que forment le comte et la comtesse : à gauche la scène qui surplombe les dessous de scène, aux fonctions multiples (trou du souffleur, vestiaires et salle de répétition pour la danse), à droite les rangées de sièges et les loges. David Marton a réussi un chef-d'oeuvre d'animation déplaçant les protagonistes et même le mobilier d'un endroit à l'autre. "Panta rhei", tout est constamment en mouvement, et cela sauve cet opéra de "conversation pour musique" farci de dialogues parfois très verbeux, d'une de ses embûches les plus fréquentes, l'ennui. On ne s'ennuye pas un seul moment au Capriccio de Marton ! La mise en scène et les décors dévoilent aussi fort bien la mécanique des mises en abyme du livret : le théâtre dans le théâtre, avec l'effet poupée russe du théâtre dans le théâtre dans le théâtre, lorsque se produit le couple de chanteur italien ou lors des intermèdes dansés par les ballerines. Mise en abyme ouroborique aussi lorsqu'à la fin de l'opéra un nouvel opéra est commandité au directeur et aux deux adversaires dont le sujet ne sera autre que le déroulemement de l'opéra auquel on est en train d'assister.
À la complexité du scénario correspond celle de la musique que Lothar Koenigs détaille avec autant de précision que de maîtrise et de raffinement. Le maestro et l'orchestre rendent cette musique complexe parfaitement compréhensible, ils la donnent à voir en quelque sorte, ils la détaillent. Cet opéra est difficilement accessible parce qu'il est fait pour un public extrémement cultivé : aux citations de Ronsard ou de Pascal du livret, à la connaissance nécessaire de la querelle qui opposa les piccinistes conservateurs aux gluckistes novateurs s'ajoutent les entrelacs et les juxtapositions de la musique qui passe d'un type d'expression à l'autre, de l'opéra bouffe à la déclamation mélodique, et varie les styles en apparence opposés, tout en citant souvent avec humour Couperin, Rameau ou Gluck et en pratiquant l'autocitation de motifs venant d'Ariane à Naxos, du Chevalier à la rose ou de Daphné. Cette complexité passe mieux quand on l'expose. Et c'est un enchantement depuis le fabuleux sextuor du jusqu'à la fin. Lothar Koenigs et l'orchestre sont parvenus à faire apprécier la richesse cette composition qui comporte tant de pastiches de formes anciennes de la musique du 18ème siècle : musiques de danses, fugue, romance, arioso, duo, trio, quatuor, ensemble orchestral.
Diana Damrau (comtesse Madeleine)
Tous les interprètes du Capriccio munichois participent de la même excellence. La Kammersängerin Diana Damrau réussit une magnifique prise de rôle en comtesse Madeleine à laquelle elle apporte son charisme et sa sensibilité exquise. Une prise de rôle très attendue puisque la pandémie avait conduit à différer la production. Aux scintillements dorés de sa robe correspondent les ors de son timbre, sa facilité dans les aigus et un piano de toute beauté. Le baryton Michael Nagy interprète d'une voix solide un comte dont les argumentations peinent à résister aux vues contradictoires de la chanteuse Clairon interprétée par l'envoûtante mezzo-soprano Tanja Ariane Baumgartner. Pavol Breslik met tout le rayonnement lumineux de son ténor au service du personnage de Flamand confronté au poète Olivier du baryton bien tempéré de Vito Priante. Une des meilleures interprétations de la soirée est celle du directeur La Roche par la basse islandaise Kristinn Sigmundsson avec une voix et une présence scénique percutantes très ovationnées. Toby Spence compose un Monsieur Taupe discret et convainquant de malignité. L'intendant de Christian Oldenburg est lui aussi fort acclamé.
L'orchestre et son chef, la mise en scène et les interprètes sont parvenus à captiver le public et à rendre accessible une oeuvre difficile et exigente dont ils ont fait miroiter les beautés.
Prochaines représentations les 20, 23, 25 et 27 juillet. Places restantes.
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