Avec le concept Heute is morgen (Aujourd'hui c'est déjà demain) le Ballet d'État de Bavière propose depuis la saison dernière à de jeunes chorégraphes la possibilité de présenter leurs créations sur la scène du Prinzregententheater. Cette année, on a pu apprécier le travail de trois chorégraphes qui ont aussi conçu les décors et les costumes de leurs spectacles : Özkan Ayik, Jonah Cook et Philippe Kratz ont donné à voir les directions dans lesquelles le ballet pourrait se développer à l'avenir. Trois nouvelles signatures artistiques accueillies avec chaleur et enthousiasme par un public de connaisseurs.
ÖZKAN AYIK — GRIS FONCÉ / DUNKELGRAU
Özkan Ayik signe sa troisième création avec le Bayerisches Staatsballett (la seconde dans le cadre de Heute ist morgen), sur une musique composée entre autres par le groupe The Vernon Spring. Pour Ayik, la couleur grise représente un monde intermédiaire, qui oscille entre les pôles blanc et noir. Le gris a donc quelque chose d'indécis, de changeant, qui invite à faire un choix. Huit danseurs vêtus de gris foncé évoluent dans un espace sombre. Dans des mouvements groupés on les voit souvent de dos exprimer leur intériorité sans qu'ils ne soient d'abord en communication les uns avec les autres, ce qui crée un effet d'isolement et de solitude au sein même de la foule. Un cône de lumière délimite ensuite l'espace de l'expression individuelle et permet à chacun des danseurs de sortir du moule commun, qui définit une gestuelle standard et obligée, et de l'anonymat. La fin de la chorégraphie est la plus heureuse, c'est le moment de la rencontre et de l'échange, de la sortie de l'isolement. Sans qu'il y ait de narration à proprement parler, on perçoit bien une progression qui va d'une expression de l'intériorité d'individualités isolées dans la masse qui leur dicte leurs mouvements vers une extériorisation d'abord individuelle puis dans la rencontre. Le jeu subtil des éclairages et des fumées (lumières de Christian Kass) qui baignent la chorégraphie est particulièrement réussi.
Played — J. Cook / K. Ryzhkova |
JONAH COOK — PLAYED
Jonah Cook, danseur étoile au Bayerisches Staatsballett, fait ses débuts en tant que chorégraphe. Dans cette pièce pour cinq danseurs, dans laquelle il est lui-même sur scène, il s'intéresse aux différentes facettes du jeu : le jeu de divertissement, comme celui que pratiquent les enfants, le jeu comme manipulation, l'action de personnes qui cèdent au caprice ou à la fantaisie, le jeu amoureux, les jeux sexuels, les jeux d'habillage et de déshabillage, de travestissement, les jeux des mauvais joueurs et ces jeux plus terribles, aux facettes sombres dans lesquelles le jeu tourne à la mort. La chorégraphie a été créée entre autres sur des morceaux de musique de Neil Young et d'Elvis Presley. Au départ, on pourrait trouver son ballet un peu simpliste, avec ce danseur qui jaillit du public, enjambe les rangs et déboule sur scène où il s'introduit dans un grand sac noir et y disparaît, jouant à se faire oublier, on pourrait aussi le trouver plutôt vulgaire. Mais très vite ces impressions disparaissent et on se met à apprécier ce ballet très animé, souvent acrobatique avec des éléments de mobilier, comme un grand canapé en cuir, qui deviennent des éléments de la chorégraphie, ce ballet très comique et humoristique (Jonah Cook est anglais, et les Anglais ont inventé l'humour, c'est bien connu !), souvent alcoolisé (les Britanniques ont aussi inventé le pub !), orchestré dans une mise en scène ébouriffante, avec des mouvements de danse et un décor étonnants, dont un vestiaire en fond de scène et des vêtements qu'on empile dans des valises trop petites et qui ne ferment pas. La chair est triste, hélas, et le sexe pas aussi satisfaisant qu'on l'aimerait, mais Dieu que c'est drôle et surtout superbement dansé ! Voilà des débuts bien prometteurs.
To get to become — Ensemble |
PHILIPPE KRATZ — TO GET TO BECOME
Le chorégraphe Philippe Kratz a été désigné chorégraphe de l'année 2020 par le magazine italien Danza&Danza et collabore souvent avec la Scala de Milan. Pour To get to become ce sont les grandes œuvres de l'écrivain américain James Baldwin, une icône du mouvement des droits civiques aux États-Unis, qui l'ont inspiré Philippe. La chorégraphie pour sept danseurs laisse entrevoir une sorte de constellation familiale, avec toutes ses dynamiques différentes d'association et de dispersion présentées dans des mouvements d'une technicité impeccable et raffinée. La structure se caractérise par une dispersion et un rassemblement permanents en groupe et en solo. Le tout est accompagné, entre autres, de la musique du groupe Gabriels. Kratz ne fait pas du Baldwin, mais s'est nourri de Baldwin. Il tente d'exprimer par le ballet les drames de la société humaine, les gouffres de la misère humaine. On voit des groupes sociaux se former, s'aligner et être emportés sur des lignes dans des progressions mécaniques avec des rapprochements alternatifs rapides des talons et des pointes, des évolutions qui rappellent le shuffle. Ici aussi, comme dans la première chorégraphie, le jeu des lumières, des flambeaux en fusées et des fumées (lumières de Carlo Ceri) est du plus bel effet.
Ces trois chorégraphies porteuses d'avenir ont séduit le public qui a réservé une belle ovation aux danseurs et aux chorégraphes.
Crédit photographique © Katja Lotter
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