Jonah Cook (Vladimir). Photo © Wilfried Hösl |
Le Ballet d'État de Bavière vient de reprendre La tempête de neige (Der Schneeturm) du chorégraphe russe Andrey Kaydanovskiy, un spectacle qui fut créé au Théâtre national de Munich en avril 2021 sur une musique spécialement composée par Lorenz Dangel. Le ballet est basé sur la nouvelle homonyme que Pouchkine écrivit en 1830 et qui relate les amours contrariées de Maria Gavrilovna (la Marja du ballet) et de l'enseigne Vladimir Nikolaïevitch. Les parents de cette jeune fille de bonne famille s'opposent fermement à cette relation en raison de la différence de classe des deux jeunes gens qui décident de se marier dans le plus grand secret et imaginent un moyen de se rendre discrètement à l'église chacun de son côté. Mais une tempête de neige arrive, le blizzard empêche le jeune homme de parvenir à l'église et le hasard veut qu'un autre homme, le colonel des husssards Bourmine (le Burmin du ballet), vienne juste à ce moment s'abriter dans l'église. Dans la confusion et la pénombre Bourmine est entraîné vers Maria par le pope qui bénit leur union. Sans nouvelles de sa fiancée, Vladimir doit partir pour la guerre et meurt au combat. Quatre ans plus tard, Maria et Bourmine se rencontrent et tombent amoureux l'un de l'autre d'un amour impossible puisque Bourmine est marié. Mais Bourmine finit par avouer la vérité et raconte à la jeune femme les circonstances de son mariage forcé. Tout est bien qui finit bien, le quiproquo est levé et les deux jeunes gens se rendent compte que leur union a déjà été consacrée.
On est dans la tradition du ballet narratif. Le décor minimaliste de Karoline Hogl suggère par un simple contour de néons parfois multiplié la maison des parents de Marja. Le premier tableau présente le père et la mère dignement assis sur des chaises avec au centre Marja qui porte une grosse boule à neige, un lourd objet sphérique de verre contenant de l'eau, des paillettes blanches et une petite maquette de maison qui est sans doute la maison familiale. Ils posent comme pour une photographie, au grand dam de Marja, qui est debout, montre des signes d'impatience, ne parvient pas à garder la pose et veut se débarrasser de la boule à neige encombrante et trop lourde, ce qui n'est pas au goût de ses parents autoritaires qui l'en empêchent. La boule risque de tomber mais les serviteurs veillent à la casse et rétablissent constamment l'équilibre de la jeune fille.
Comme souvent dans les ballets narratifs, la pantomime tient une grande place dans le ballet et les danseurs y excellent, spécialement Ksenia Ryzhkova, première danseuse au Bayerisches Staatsballett qui danse Marja, et Jinhao Zhang (Bourmine), lui aussi premier danseur depuis cette saison. Comme dans un film muet il s'agit d'expliquer l'histoire au public par des gestes, des mimiques et des attitudes fort soulignés. On se rendra vite compte de la portée symbolique de cette boule trop lourde à porter qui va accompagner tout le spectacle : la boule c'est la famille, structure protectrice et contraignante, car elle est à la fois un boulet. Pour ce ballet, Andrey Kaydanovskiy recourt très souvent à des tableaux avec arrêt sur image certes d'une très belle esthétique mais qui ont à la fois tendance à ralentir la progression du spectacle au point qu'on a souvent l'impression que la danse ne vient qu'en intermède des tableaux et de la pantomime : des épisodes dansés semblent venir s'intercaler dans l'exposition narrative mimée. Le spectacle ne parvient ainsi, surtout dans la première partie, à trouver son rythme, les passages statiques semblent l'emporter.
Photo © Katja Lotter |
Le corps de ballet s'en vient présenter des numéros de danse d'ensemble par couples plutôt traditionnels, soulignant peut-être que les jeunes gens ont à se marier. Ce sont surtout les beaux costumes d'Arthur Arbesser qui retiennent l'attention, tous différents et d'une palette de coloris qui s'harmonisent très heureusement. On a l'impression d'assister à un défilé de mode. Trois courtisans viennent importuner Marja de leurs avances. Le premier pas de deux de la soirée, celui de Vladimir (Jonah Cook) et de Marja est de belle facture. L'épisode de la tempête est traité par de la neige qui tombe en abondance et par des personnages-flocons, de pied en cap tout de blanc vêtus, qui luttent un moment contre le blizzard avant d'être emportés. Plus tard, le pope est magnifiquement dansé par le bondissant pirouettant Shale Wagman, au costume flamboyant qui pourrait le faire passer pour un diable, un des moments les plus animés de la soirée. Marja dépérit ; alitée elle fait d'horribles cauchemars représentés par le procédé bien connu d'ombres chinoises surdimensionnées et menaçantes.
Dans la seconde partie, c'est la fête au village, les villageois célèbrent la fin de la guerre, avec quelques blessés sur un podium dont un soldat qui a perdu un pied ou un autre en chaise roulante. Des danses par couple rappellent les vertus du mariage. Burmin entre en collision avec Marja. C'est le coup de foudre. Le numéro de danse de d'Osiel Gouneo qui interprète Belkin, le très souriant ami et confident de Burmin, est de haute volée. Suit l'épisode de la reconnaissance, celui où Burmin et Marja se rendent compte du quiproquo du mariage, qui est intelligemment traité en flash-back : on revoit la tempête de neige et la substitution involontaire de Vladimir par Burmin. La fin du spectacle constitue à notre sens le plus beau moment du spectacle : le pas de deux amoureux livre enfin une émotion trop longtemps attendue, d'une belle inventivité chorégraphique, sensible et touchante. On peut apprécier les qualités des premiers danseurs, Ksenia Ryzhkova et Jinhao Zhang, qui donnent la pleine mesure de leur art, même si dans ce cas les costumes des danseurs, surtout celui de Burmin, trop enveloppant, empêchent quelque peu d'apprécier toute la finesse de la performance.
L'Orchestre de l'État de Bavière, sous la direction de Gavin Sutherland, un spécialiste de la direction de musique de ballet, accompagne avec vigueur l'intéressante composition du wurzembourgeois Lorenz Dangel qui mêle des rythmes contemporains comme le beat ou la musique électronique, pour certains comparables aux musiques de films ou de comédies musicales, des interventions plus populaires du bandonéon, à des pastiches de musique plus anciennes. On se laisse conquérir par cette musique symphonique multidimensionnelle qui évoque les déchaînements du blizzard ou de la guerre, un bal ou une fête foraine et finalement l'entrée plus paisible dans un mariage d'amour conduit par le hasard.
On passe une agréable soirée, parfois un peu longuette, à apprécier l'esthétique trop superficielle d'un ballet qui ne semble pas trouver son rythme et qui ne parvient pas à convier l'émotion malgré les beautés d'une musique innovante.
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