Compte-rendu de la représentation du 16 mai 2022
A.Kent (Almaniva), A. Zhilikhovsky (Figaro)
© W. Hösl / Bayerische Staatsoper |
La production du Barbier de Séville de Rossini qui vient d'être représentée figure depuis 1989 au répertoire du Bayerische Staatsoper. La mise en scène de Ferruccio Soleri, qui fait ses preuves depuis plus de trente ans, n'a pas pris une ride, et cela tient au fait qu'elle colle parfaitement au projet du compositeur. Soleri avait fait ses débuts au Piccolo Teatro di Milano comme acteur sous la direction de Giorgio Strehler, et l'on sent encore le génie du maître à l'oeuvre dans sa mise en scène. L'influence du théâtre italien est manifeste, et notamment celle de la pratique des œuvres de Goldoni et de l'art de la Commedia dell'Arte : les pantomimes sont réussies, les caractères typés jusqu'à la caricature, les costumes emphatiques, et notamment ceux du Docteur Bartolo, correspondent bien à l'esprit du livret original de Sterbini. Le metteur en scène cultive l'art du tableau vivant. Il fait un usage sobre du décor à plateau tournant qui reconstitue la demeure d'un riche patricien de Séville : à la façade avec balcon qui donne sur la place succède l'intérieur de la maison du Docteur Bartolo où il tient sa pupille Rosina sous séquestre, qui ne peut communiquer que par son chant et des billets vite passés comme les copions d'un élève qui craint le châtiment. Le Barbier de Séville est une oeuvre facile d'accès pour des spectateurs qui voudraient découvrir l'opéra: l'enjouement de la musique et de l'action, une mise en scène qui rend la compréhension de l'oeuvre aisée, beaucoup d'humour et la possibilité d'apprécier en life les prouesses des professionnels du bel canto.
La reprise du mois de mai était confiée pour la partie musicale aux soins attentifs et compétents du maestro Maestro Antonino Fogliani avec une distribution de rêve comprenant notamment plusieurs jeunes solistes étoilés. Antonio Fogliani avait fait des débuts remarqués dans le Viaggio a Reims au Festival d'Opéra Rossini de Pesaro de 2021. Depuis 2012, il fait office de directeur musical du Festival Rossini de Wildbad depuis 2012. Grâce à son talent original, il s'est rapidement imposé sur la scène internationale comme l'un des musiciens les plus appréciés de sa génération et tient son rang parmi les plus grands chefs rossiniens de l'heure. Apprécié pour son approche analytique et philologique des partitions, énergique et précis au pupitre, on le sent fasciné par l’écriture belcantiste, en particulier celle de Rossini. Hier soir, on a pu savourer une direction très attentive aux chanteurs, laissant libre cours à l'ornementation et à la virtuosité des vocalises. Le maestro ne recherche pas seulement l'éclat, mais favorise la mise en lumière d'un monde de sentiments riches en nuance, notamment dans l'expression de la pudeur, qu'il estime importante dans la composition rossinienne.
A. Zhilikhovsky (Figaro), A.Kent (Almaniva), V.Berzhanskaya (Rosina),
M.Kiria (Bartolo) © W. Hösl / Bayerische Staatsoper
Le ténor anglo-australien Alasdair Kent, qui interprète le comte Almaviva, a lui aussi fait ses débuts européens à Pesaro en Belfiore dans Il Viaggio a Reims. Ce jeune chanteur à la voix solaire s'est livré à d'étincelantes ornementations, un feu d'artifices mélodique suscitant l'émotion d'un public ravi. La technique et le phrasé lyrique du legato sont impeccables. Il rappelle Rockwell Blake dans l'art de la pyrotechnie vocale et par l'intensité de l'expression. Il est aussi un acteur doué : ses simulations du soldat ivre et du maître de musique obséquieux et nasillard Don Alonso participèrent de la réussite de la soirée.
Le très talentueux baryton moldave Andrey Zhilikhovsky donne un Figaro d'un charisme étourdissant avec un jeu de scène naturel, explosif et puissant. Il se livre moins au jeu des ornementations qu'Alasdair Kent mais privilégie la justesse et l'expressivité, son chant est à l'aune de son expression corporelle, tout son être irradie. Son interprétation " Largo al factotum " est un régal et un modèle du genre : Andrey Zhilikhovsky semble se jouer des difficultés techniques de cet air semé d'embûches.
La mezzo-soprano russe Vasilisa Berzhanskaya, qui a notamment étudié à l’Académie Rossini de Pesaro sous la direction d’Alberto Zedda, fait elle aussi preuve d'un technique des plus remarquables dans son incarnation de Rosina. Meilleure jeune chanteuse de l'année aux International Opera Awards 2021, elle séduit dès son premier grand air, " Una voce poco fa", avec son charme apparemment innocent. Elle fait la démonstration de l'étendue de sa voix puissante et corsée dans le médiun, avec des vocalises ornées de belles descentes dans les graves et de la facilité dans les aigus.
Ces trois jeunes talents rencontrent l'extraordinaire performance de Misha Kiria, un baryton géorgien dont la puissante stature et la rondeur donnent à elles seules du poids au personnage de Don Bartolo, dont il détaille avec finesse la psychologie, avec des moments de douceur qui tempèrent la tyrannie du bonhomme, et avec un sens prodigieux du comique scénique. Lui aussi sait se jouer des difficultés techniques du rôle, son "A un dottor della mia sorte" laisse sans voix notamment dans la maîtrise du sillabato.
En Don Basilio, la basse Adam Palka interprète sa " Calunnia " avec une voix large au phrasé percutant. Il compose un Basilio inhabituellement jeune et décontracté. Eliza Boom, membre de l'Opera Studio depuis la saison dernière, reçoit des applaudissements mérités pour l'air de Berta " Il vecchiotto cerca moglie". Le Fiorello de Theodore Pratt fut lui aussi fort apprécié.
Les soirées de répertoire du Bayerische Staatsoper peuvent procurer de grands bonheurs aux amateurs, quand on sait le soin de la Maison apporte à la programmation. La composition d'un bouquet exquis de jeunes chanteurs de grand talent, un orchestre confié aux soins d'un expert, le dynamisme de la musique, tout concourt à l'enchantement d'un public qui n'a bien entendu pas ménagé ses applaudissements.
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