Sara De Greef, Joel Di Stefano © Marie-Laure Briane |
Grande première au théâtre de la Gärtnerplatz avec la création mondiale de Der Sturm (La tempête), une nouvelle chorégraphie de la norvégienne Ina Christel Johannessen, une des artistes de danse les plus célèbres de Scandinavie, qui travaille pour la première fois à Munich. Avec sa compagnie Zero Visibility Corp. (créée en 1996), l'artiste scandinave fait vibrer le public dans le monde entier avec des œuvres aussi fascinantes que dérangeantes qui explorent les contraires en perpétuel changement. Johannessen est connue pour ses créations visuelles très énergiques, s'impliquant dans l'éclairage, la scénographie et le choix des musiques constituées d'œuvres électroniques originales de compositeurs internationaux, et de réécriture de fragments d’œuvres du passé. Partant de l'idée d'un corps pensant, d'une expression énergique et poétique de l'intellect et du cœur, elle travaille en dialogue intime avec les danseurs, dans une relation basée sur la confiance mutuelle.
L'inspiration de Der Sturm se nourrit de La Tempête de Shakespeare, sur laquelle Ina Christel Johannessen jette un regard neuf : la chorégraphe s'est fixé pour objectif de mettre en contraste le dernier chef-d'œuvre du dramaturge anglais avec notre société de consommation contemporaine. Travaillant pour la première fois à Munich, elle veut, avec sa création, s'opposer résolument à l'autodestruction de notre société occidentale : "Si nous tuons la nature, tout retombe sur nous-mêmes. Je veux trouver, avec les moyens de l'art, un moyen de pouvoir sauver la nature ". La chorégraphe, qui a visité en 2017 les archives de semences du Spitzberg, menacées par le dégel mondial, leur a déjà consacré sa pièce très remarquée Frozen Songs. La critique de la consommation et le changement climatique sont au coeur de ses grands thèmes.
Der Sturm n'est pas un ballet narratif avec des personnages reconnaissables, on chercherait en vain à identifier précisément les personnages de l'oeuvre de Shakepeare. Au début du spectacle on voit bien une tempête projetée en vidéo sur une toile d'avant-scène, mais lorsque le rideau se lève, on se retrouve dans un désert. Il y a une grande jetée où un navire devrait se trouver. Au lieu de cela, une épave se trouve à proximité. Dans le programme, Johannessen évoque le Kazakhstan, " où se trouvait autrefois la mer d'Aral désormais asséchée et où des épaves sont désormais visibles dans le désert - comme un rappel douloureux d'actions humaines inconsidérées." La chorégraphie va exprimer le chaos, la confusion dans l'intrigue qui résultant de l'hyperconsommation et de l'incommensurable démesure de la dépense énergétique. Des groupes de quatre ou cinq danseurs, que leurs membres relient, expriment un tiraillement continuel, ils sont reliés mais désunis dans des relations symbiotiques parasitaires. Plus loin, la danse très théâtralisée évoque le problème des migrations provoquées par le déréglement climatique : il y a une scène où l'on voit un groupe de personnes épuisées marcher et marcher, qui sont contraintes de poursuivre leur progression malgré leur exténuation et le manque d'eau. Pauvre refuge, l'ancienne jetée leur offre un moment de l'ombre pour s'abriter. Plus avant encore, des danseurs semblent vouloir s'approprier le corps d'une danseuse qui les repousse. Puis viendront de rares mouvements de danse plus synchrones et plus apaisés. Vers la fin du spectacle apparaissent des personnages mythiques vêtus de costumes extravagants et végétalisés qui symbolisent sans doute l'espoir écologique du retour à une vue harmonieuse en communion avec la nature. Après la tempête et le chaos, après la désertification et les souffrances que s'auto-inflige l'humanité, se dessine la possibilité d'un avenir plus radieux. Une possibilité de rédemption existe, mais qui ne se matérialisera qu'au prix d'un changement radical, une nouvelle vie, neutre en CO2.
Luca Seixas © Marie-Laure Briane
De très nombreuses musiques différentes peuvent être entendues dans cette pièce de théâtre : des fragments d'œuvres de Georg Friedrich Handel, Luc Ferrari, Alfred Schnittke, Frédéric Chopin, Tommy Jansen et Sofia Gubaidulina. La chorégraphe se dit fascinée par la façon dont le Français Luc Ferrari réalise sa prise de son : " Ces enregistrements ne sont souvent rien de plus que de capturer des moments quotidiens (capturés avec un microphone à 360 degrés). et ces éléments sont souvent répétés et modifiés, c'est un travail de composition complexe. Ces pièces ressemblent à de la musique classique, mais les éléments individuels ne sont pas constitués de tonalités musicales, mais d'effets sonores. La musique commence parfois doucement et se termine dans un chaos total - comme une tempête.
Les quelques musiciens sont présents sur scène, les instruments, quelques violons, le piano et de nombreux accordéons, jouent un rôle important dans le spectacle visuel. En soi, l'accordéon symbolise l'air lui-même et la respiration, même sans tonalités musicales. Un moment d'exception est l'extraordinaire interprétation de l'accordéoniste Konstantin Ischenko : " L'air et le vent jouent un rôle crucial dans The Tempest de Shakespeare. Les vents forts peuvent tout détruire, mais les vents doux font de la musique." , ce que la complexité aérophonique de l'accordéon est capable d'exprimer. Un garçon soprano chante un air de l'opéra Alcina de Haendel qui répète la question " Perché ? Perché ? / Pourquoi?" L'enfant nous interroge. Il nous demande ou demande au monde : " Pourquoi cela nous arrive-t-il ?" Les danseurs deviennent à leur tour musiciens. De grands récipients en plastiques colorés, ce plastique qui a investi le monde entier, sont recyclés en tambours que se mettent à battre les danseurs. vers la fin, le jeune soprano lance une tonalité récurrente, comme un avertissement, le dernier peut-être avant la fin possible de l'humanité, un avertissement qui doit inciter à la plus grande prudence.
Plus qu'une chorégraphie fascinante, extrêmement exigeante pour les danseurs, cette soirée tendue et terriblement inconfortable, appelle à l'urgence du réveil et à la radicalité du changement.
Direction musicale, Michael Brandstätter ; Mise en scène et chorégraphie, Ina Christel Johannessen ; Assistance chorégraphique, Patrick Teschner ; Décors, Kristin Torp : Costumes, Bregje van Balen ; Lumière, Peter Hörtner ; Vidéo, Meike Ebert / Raphael Kurig ; Ballet du Staatstheater am Gärtnerplatz, Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz.
Prochaines représentations de la saison : 28 mai, 1, 12 et 25 juin, 12 et 15 juillet.
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