Le Crépuscule des Dieux — Louis II de Bavière traité royalement
Visconti, prince et homosexuel, ne pouvait pas manqer d'être tenté par le personnage de Louis II de Bavière, roi à 19 ans, mort fou à 40 ans.
Comme souverain, il ne fut pas si fou que ça, paraît-il. Il eut en tout cas cette qualité — rare chez les rois — d'être plutôt antimilitariste. Il refusa de faire la guerre, et s'il finit par se rattacher à l'empire de Bismarck, ce ne fut pas sans s'y être opposé.
Mais de cela, Visconti nous parle peu.
Aristocrate et marxiste, il y a chez lui cette nostalgie des temps révolus, qu'il condamne bien sûr, mais qu'il s'acharne à ressusciter. Par le miracle du cinéma, il peut se donner la joie de revivre ce temps-là. Révolutionnaire par les idées, il est toujours à la recherche du temps perdu.
Regardez comme il se régale à reconstituer les fastes de la petite cour de Bavière. C'est comme si vous y étiez : rien ne manque, tous les détails de la cérémonie sont là, ainsi que tous les personnages, avec leurs costumes, leurs uniformes. La parade est organisée au millimètre. Joli morceau, travail d'orfèvre.
Visuellement, c'est toujours d'une grande beauté, d'un raffinement de couleurs, d'un bonheur constant dans le choix des paysages, des décors.
Décors reconstitués, scènes tournées sur les lieux mêmes, châteaux extravagants, tout a été reconstitué par un Visconti qui nous donne là son testament cinématographique ; le film durait quatre heures, il l'a réduit à trois et la continuité s'en ressent. C'est plutôt dans le rythme qu'il est long. Visconti a du mal à quitter ces lieux, ces bonnes manières, ces gens si bien élevés, cette vie somptueuse, cette si élégante Sissi et ces jolis garçons.
Il y a Richard Wagner aussi, que Louis II couvrit d'or, d'amour, d'admiration ; mais pour Bayreuth et la tétralogie, plutôt macache. Ce qui intéresse Visconti, c'est le chemin de la folie chez Louis II de Bavière.
Film somptueux donc, avec une remarquable interprétation de Helmut Berger mais il faut ausssi féliciter son maquilleur. La triste histoire de ce roi nous est contée par bribes amoureusement fignolées.
Et alors ? C'est beau, c'est mélancolique, c'est lent, on admire le travail d'artiste.
Michel Duran.
Coupure de presse — Le Canard enchaîné (23.03.1973) |
L'article est signé Michel Duran, un pseudonyme de Michel Durand (1900-1993). Auteur dramatique, acteur et décorateur. - Scénariste, dialoguiste et metteur en scène de cinéma. Critique de cinéma au "Canard enchaîné" (1937-1940 et 1957-1974). Il a également publié sous le nom de Michel Mourguet et de Michel-Joseph Durand.
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