Un court extrait du Temps retrouvé, le dernier volume d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, évoque le meurtre de l'archiduc Rodolphe par une princesse russe. On est en temps de guerre, la première guerre mondiale, et le narrateur évoque une soirée chez les richissimes Verdurin. Les habitués dont attablés et le Dr Cottard souffle à l'oreille du narrateur un potin concernant la mort de l'archiduc :
[...] La maîtresse de la maison, qui va me placer à côté d’elle, me dit aimablement avoir fleuri sa table rien qu’avec des chrysanthèmes japonais, mais des chrysanthèmes disposés en des vases qui seraient de rarissimes chefs-d’œuvre, l’un entre autres, fait de bronze, sur lequel des pétales en cuivre rougeâtre sembleraient être la vivante effeuillaison de la fleur. Il y a là Cottard, le docteur et sa femme, le sculpteur polonais Viradobetski, Swann le collectionneur, une grande dame russe, une princesse au nom en or qui m’échappe, et Cottard me souffle à l’oreille que c’est elle qui aurait tiré à bout portant sur l’archiduc Rodolphe [...]
Ce n'est qu'un infime détail de cette oeuvre immense qu'est La Recherche, mais il est significatif de la réception française du drame de Mayerling : Proust meurt en 1922 et Le Temps retrouvé, le dernier des 7 volumes de l'opus magnum de l'écrivain qui fait partie des manuscrits inédits de Proust, ne paraîtra qu'en 1927. L'action du dernier volume se passe pendant la première guerre mondiale. Et voilà que nous nous retrouvons en présence de la femme qui aurait asssassiné l'archiduc Rodolphe ! ... du moins selon le très potinier De Cottard, qui se vante souvent d'être au courant de tout.
L'énigme de Mayerling fera ensuite encore couler beaucoup d'encre. Au moment de la publication de Rodolphe. Les textes de Mayerling, je n'étais pas encore au courant de cette citation proustienne, une lacune aujourd'hui comblée.
Rodolphe. Les textes de Mayerling
Les diverses versions du drame de Mayerling sont présentées dans le recueil Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).
Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.
Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :
1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger
Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.
Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook.
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