Mária Celeng, Anna Agathonos © Christian POGO Zach |
Le metteur en scène Ben Baur a conçu un décor sinistre pour Eugène Onéguine au théâtre munichois de la Gärtnerplatz. Toute l'action se déroule chez Madame Larine dont la pièce de séjour aux hautes fenêtres garnies de persiennes la plupart du temps fermées donne sur une campagne russe que l'on ne verra jamais. Deux grands rideaux vert-de-gris peuvent être tirés de cour en jardin pour permettre des changements de décor minimalistes. Lorsqu'ils sont à nouveau ouverts, c'est le mobilier ou son absence qui suggèrent un lieu différent : un lit a été placé, ou le cercueil de la gouvernante morte d'un arrêt cardiaque, des fleurs sont apportées dans des seaux en fer blanc, ou bien l'espace a été vidé de son mobilier pour le duel. Les persiennes sont parfois ouvertes pour davantage de lumière, mais les spectateurs ne voient jamais la campagne. Les lieux sont éclairés d'une lumière jaunâtre par des lampes à incandescence qui forment les feux de la rampe. L'atmosphère est oppressante, les personnages enfermés dans leur psychisme paraissent incapables de s'en évader. Prisonniers de leurs affects, emportés par les tempêtes de leurs passions intérieures, ils évoluent comme en huis clos. Ce n'est que dans la scène finale, alors qu'Onéguine tente de persuader Tatiana de tout abandonner pour le suivre, que la jeune femme, à présent mariée au comte Gremine mais toujours amoureuse d'Onéguine, prend la décision plus rationnelle du devoir.
Comme la fosse d'orchestre du théâtre ne laisse place qu'à un orchestre d'une bonne vingtaine d'instrumentistes, le théâtre a passé commande d'une version musicale réduite de l'opéra au compositeur russe Pjotr Alexandrowitsch Klimow. Mais quelle qu'en soit la qualité, cette orchestration ne peut rendre compte de la richesse et de l'opulence de la musique de Tchaikovski. Le chef Anthony Bramall met certes toute sa compétence au service de la musique, accentue le pathos en faisant monter la puissance dramatique des violons et des cuivres, mais sans parvenir à atteindre le lyrisme, l'exacerbation et la fièvre inhérentes à la partition originale.
Emma Sventelius, Alexandros Tsilogiannis, Matija Meić, Choeur
© Christian POGO Zach
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Ce sont les chanteurs et les choeurs qui sauvent la soirée. Anna Agathonos remporte la palme du jeu théâtral : sa composition de la vieille nourrice Filipevna est magistrale. La soprano hongroise Mária Celeng reçoit une longue ovation pour son grand air de la lettre et réussit fort bien le passage du rôle de la jeune fille innocente, romantique et impulsive du premier acte à celui de la dignité d'une femme adulte devenue riche comtesse par le mariage. Le baryton croate Matija Meić est un Onéguine de belle tenue, il compose un personnage arrogant, brutal, sans grande allure et plutôt négligé dont on se demande bien ce que la pauvre Tatiana a bien pu lui trouver. Matija Meić a la puissance et la voix du rôle, avec une remarquable pratique du russe et une belle projection. Alexandre Tsilogiannis donne un Lenski bien campé, son Kuda kuda, très applaudi, aurait cependant pu recevoir plus de nuances dans l'expression du pathos. Le couplet de monsieur Triquet chanté et caricaturé par Juan Carlos Falcón est un des meilleurs moments de la soirée. Martin Hausberg prête les belles profondeurs graves de sa basse au Comte Gremine. Ann-Katrin Naidu donne une belle allure à Madame Larine et la suédoise Emma Sventelius, qui vient d'intégrer cette saison la troupe du théâtre apporte tout son charme à Olga.
Prochaines représentations les 21 et 26 décembre 2021 et les 8 et 15 janvier. Dates et conditions à vérifier sur le site du théâtre.
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