Albérich - fille du Rhin Crédit des photographies © Xiomara Bender/Tiroler Festspiele Erl |
Le Festival d'été du Tyrol à Erl a entamé la production d'un nouveau Ring wagnérien en donnant le Rheingold cet été. Le prologue de l'Anneau du Niebelung sera repris au programme de l'été prochain en en se voyant adjoindre la Walkyrie. Siegfried et le Crépuscule des dieux viendront s'y ajouter à l'été 2023 où deux cycles du Ring sont programmés au Passionsspielhaus (Théâtre de la Passion).
La mise en scène a été confiée à la Kammersängerin Brigitte Fassbaender, consécration d'une carrière d'une richesse inouïe. Grande mezzo-soprano, Madame Fassbaender a souvent interprété des rôles wagnériens avec les plus grands chefs : Waltraute avec Solti, Magdalene avec Kubelik, Floshilde avec Sawallisch, Fricka avec Karajan, Brangäne avec Kleiber,... Comme chanteuse, elle était considérée comme le prototype de l'actrice chantante, le mot est d'August Everding, car son art fut toujours lié à sa passion d'un jeu de scène nourri d'une pénétration psychologique des œuvres. Sa présence scénique était impressionnante, la perfection vocale se mariant avec une performance d'actrice complètement naturelle et authentique. À la fin des années 80, elle entama une grande carrière de metteuse en scène parallèlement à son métier de chanteuse d'opéra et de lieder, à sa vocation de professeure de chant ou de directrice de festival. Parmi ses très nombreuses productions, on épinglera deux mises en scène d'oeuvres de Wagner : deux Tristan und Isolde (Braunschweig 1996 et Innsbruck 2001) et un Rheingold à Innsbruck en 2009. Le Festival du Tyrol lui offre la possibilité de réaliser, à 82 ans magnifiquement portés, son premier Ring. On le comprend, les compétences accumulées dans ces divers métiers du théâtre sont en soi un gage de réussite et une aubaine pour les festivaliers.
Pour son second Rheingold, Brigitte Fassbaender s'est associée avec Kaspar Glarner, un décorateur et costumier qui a ces vingt dernières années beaucoup travaillé pour l'opéra, notamment avec Uwe Eric Laufenberg et Keith Warner. Cette fine équipe a été confrontée à la configuration scénique du théâtre de la Passion d'Erl dont la scène aux dimensions impressionnantes est dénuée de fosse d'orchestre et de cintres et ne dispose quasiment pas de dessous. Si des solutions sont possibles pour pallier le manque de machineries, elles se présentent moins quant à l'exécution musicale. L'orchestre doit en effet être nécessairement placé en fond de scène. Glarner le fait disparaître derrière un grand voile de gaze avec des lumières discrètes aux éclats dorés pour l'éclairage des partitions. Si comme à Bayreuth l'orchestre est quasi caché, on est évidemment loin de la fameuse acoustique conçue par Wagner avec l'installation du célèbre double abat-son de la colline verte.
Fafner, Fasolt, Freia et Froh |
Les dieux sont en plein déménagement, ils ont fait leurs caisses et leurs valises : côté cour, la scène est encombrée de caisses et de meubles. Le Walhalla n'est pas donné à voir aux spectateurs, les dieux le contemplent en fixant la salle, ce qui, non sans ironie, donne à comprendre que le public est assis au Panthéon ! Au finale, pour la montée au château, une rampe d'accès descend du côté cour vers le centre de la scène et les parois convexes des côtés de scène se voient colorées des couleurs de l'arc-en-ciel, un effet vidéo un peu décevant.
L'humour ponctue cette belle mise en scène marquée à la fois des coins de la critique sociale ironique et de la tendresse. Brigitte Fassbaender pose un regard pétillant de malice sur les travers de notre société et dénonce avec une une ironie mêlée de tendresse les vices et les faiblesses d'une société avide d'or, de pouvoir et de sexe. Les costumes colorés de Glarner expriment bien la psychologie des personnages et nous rions des trouvailles cousues de fil blanc au moment des métamorphoses d'Albérich qui apparaît sous la forme d'une grande tête de cobra dressant la tête et déployant sa coiffe menaçante avant de se transformer en crapaud de peluche. En fin de compte, les dieux embarquent par la passerelle sur le navire du Walhalla, rassurés d'avoir récupéré Freia et ses pommes d'or qui leur assurent la jeunesse, et ces bourgeois blasés ne se rendent pas compte, malgré les avertissements d'Erda, que leur Walhalla n'est jamais qu'un Titanic.
Si la direction d'orchestre d'Erik Nielsen n'est pas parvenue à soulever de grandes passions et me semblait manquer d'effets d'entraînement, une bonne troupe de chanteurs a par contre assuré le succès de la soirée. Le baryton basse Simon Bailey qui avait interprété Klingsor à Francfort et plus récemment à l'Opéra du Rhin donne un Wotan de belle tenue rendant fort bien les veuleries et les insuffisances de ce dieu magouilleur. L'Albérich de Craig Colclough recueille tous les suffrages, magnifique d'un bout à l'autre de son rôle, tout en puissance notamment dans le duo des Nibelungen avec le Mime du très imposant George Vincent Humphrey, qui est annoncé pour le prochain Siegfried. Le jeune Thomas Faulkner en Fasolt amoureux est une des bonnes découvertes de la soirée : une voix d'outre-tombe puissante, dramatique, avec une grande force de projection. Tout aussi remarquable est la prestation de Ian Koziara, un chanteur au ténor doté de douceurs lumineuses et de clartés sonores, avec un excellent jeu de composition du personnage de Loge, dont il rendait bien les stratagèmes emplis d'insinuations mielleuses.
Le beau Prologue que voilà, qui donne un goût de de reviens-y. Rendez-vous est pris pour la Walkyrie de l'an prochain.
Infos et réservations : https://www.tiroler-festspiele.at/
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