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jeudi 15 avril 2021

Le roman d'amour de la Pompadour d'Autriche — Catherine Schratt

Le roman d'amour de la Pompadour d'Autriche, dû à la plume d'un certain Pierre Ducis et présenté par le journal Ce Soir comme " un récit historique où revit Vienne la belle ", y parut en feuilleton  à l'été 1938. Il met en scène les relations de l'empereur d'Autriche avec la comédienne Catherine Schratt. Le roman d'amour de la Pompadour d'Autriche était illustré par Nitro, certainement un pseudonyme. À noter que je n'ai pu trouver ce roman édité en livre ni d'information précise sur son auteur.


Le titre est accrocheur. Le premier extrait donne le ton...  Les lectrices et lecteurs apprécieront. Pour ma part, je ne retrouve pas dans ce chapitre la Catherine Schratt dont les historiens ont vanté l'extrême délicatesse et la réserve,

SOIRÉE DE GALA AU BURGTHEATER

    Ce soir-là — celui de la première représentation de La Dame de Coeur — le directeur du Burgtheater était bien content. il en avait toutes les raisons, car chaque fois que le chef des services attaché à la personne de Sa Majesté lui annonçait que l'empereur allait assister au spectacle, plus de cent billets étaient vendus d' office. En effet, à ces occasions, plus d'une centaine d'agents de police « en bourgeois » prenaient place au parterre et dans les balcons afin de veiller sur la sécurité de François- Joseph.
    La cérémonie de l'entrée de l'empereur se déroula comme d'habitude. Vers le milieu du premier acte, le spectacle s'arrêta, coupé net ; l'orchestre attaqua le Gott erhalte, les acteurs, sur la scène figés dans un garde à vous impeccable, s'inclinèrent dans la direction de la grande loge impériale ornée aux armes de la famille Habsbourg dans laquelle l' empereur, entouré de sa suite, venait de faire son entrée. Des applaudissements retentirent, quelques cris discrets « Hoch ! » se firent entendre, puis le spectacle reprit.
    Sur la scène, le couple d' acteurs le plus remarquable de la capitale impériale, Catherine Schratt et Girardi, était en train de remporter un succès mérité.

    Ce fut, en particulier, Catherine Schratt, l'incarnation la plus parfaite de la Viennoise, jeune femme d'un charme exquis et d'une gaieté débordante, qui se distingua ce soir-là par son esprit délié et par son jeu plein d'entrain. Le public qui, comme toujours, observait attentivement toutes les réactions de l'empereur, fit une constatation étonnante : à plusieurs reprises, François-Joseph avait souri !
    Les gens se penchaient vers leurs voisins, en attirant l'attention les uns des autres sur cet événement extraordinaire. En effet, personne n'avait vu sourire. François-Joseph depuis la mort de l'archiduc Rodolphe.
    Chose étonnante entre toutes, et qui combla de ravissement l'assistance ; quelques saillies de la jeune comédienne endiablée, qui se surpassait ce soir-là, réussirent même à provoquer le rire sonore du monarque. Les gens n'en croyaient pas leurs yeux.
    Aussi le public fut-il content d'apprendre, à la fin du premier acte, que le souverain venait de donner l'ordre au comte de Paar, son aide de camp, de lui présenter Catherine Schratt.

Catherine la jalouse

    Ce n'était un secret pour personne à Vienne que l'éminent couple d'artistes qui s' accordait si bien sur la scène était uni dans la vie par les liens d'un amour proverbial. C'était un véritable amour de comédiens où, bien souvent, à l'idylle, succédaient des scènes de jalousie violentes au cours desquelles plus d'une fois, les amoureux en venaient aux mains.
    Le rideau venait de se baisser après le dernier rappel.
    Dans sa loge, Catherine Schratt était en train de changer de costume pour le deuxième acte, lorsque, tout d'un coup, son esprit fut effleuré par une suspicion atroce. La loge voisine, celle de Girardi, qui n'était séparée de la sienne que par une mince cloison, lui semblait tout à fait déserte. Aucun bruit n'y trahissait la présence de quelqu'un. Où était donc Girardi ?
    Sans plus hésiter, vêtue seulement d'un peignoir, Catherine sortit dans le couloir et poussa la porte de la loge de Girardi.
    Elle était vide. Ses craintes étaient donc justifiées ! Sur la pointe ,dès pieds, elle avança dans le couloir-jusqu'à la loge de l'une de ses rivales, Hélène Odillon et colla l' oreille contre la porte. L'instant d'après, elle reconnut la voix étouffée de Girardi.

Un pugilat à trois

    Dans sa vie, Catherine avait un principe : réfléchir, c'est perdre du temps. La frêle porte ne put résister à la pression de son épaule. Une seconde plus tard, le personnel du théâtre accourait de toutes parts, alerté par le bruit d'une lutte sauvage où dominaient des voix féminines. Cheveux défaits, robes déchirées, les deux femmes roulaient par terre, échangeant coups de poings et coup d'ongles. Girardi essaya de s'interposer pour séparer les deux ennemies. Mal lui en prit : son geste eut pour tout effet de réaliser l'alliance des deux femmes qui se jetèrent sur lui d'un commun accord et il fallut l'intervention de ses collègues réunis pour l'arracher à leurs griffes.

L'envoyé du souverain

    Tout à coup, la porte du couloir s'ouvrit pour donner passage au comte de Paar, l'aide de camp de Sa Majesté, qui s'avançait d'un pas plein de dignité, accompagné du directeur courbé en deux : ils venaient pour conduire Catherine Schratt à la loge impériale.
    Les deux hommes firent quelques pas, puis s'arrêtèrent, éberlués, devant le spectacle pour le moins inattendu qui s'offrait à leurs yeux. Tout le personnel du théâtre était là, groupé en cercle autour de deux femmes et d'un homme qui se battaient avec acharnement, en s'apostrophant d'épithètes peu flatteuses.
    Le scandale semblait inévitable. Que faire ? Comment présenter à Sa Majesté l' actrice, couverte de horions et de traces de griffes, dont les vêtements pendaient en lambeaux ?
    La présence de l' envoyé impérial calma les esprits exaltés et mit fin à la bataille. Tous les présents, y compris le comte, s'employèrent à faire disparaître en hâte les marques de la bataille sur le visage de Catherine.
    Grâce à l'habileté du maquilleur et au dévouement de ses collègues, quelques instants plus tard, Catherine, le cœur battant et les joues en feu, flanquée du comte de Paar, put enfin franchir le seuil de la loge impériale.

Singulière audience

    François-Joseph reçut la jeune actrice avec bienveillance. Catherine était encore sous l'effet de la scène qui venait de se dérouler et son cœur battait la chamade, mais l'accueil gracieux que lui réservait Sa Majesté fit rapidement disparaître sa nervosité et son émotion. Au bout de quelques instants, elle retrouva sa bonne humeur débordante et son esprit. Aux questions de l'empereur, elle répondit avec promptitude et non sans y mettre son grain de sel.
    Peut-être Catherine avait-elle la langue un peu plus déliée que d'habitude ce jour-là ; toujours est-il qu'elle eut l'heur de dérider le visage du monarque que même les membres de son entourage le plus intime n'avaient pas vu sourire depuis des dizaines d'années. Les gens de la Cour présents dans la loge assistaient à cette scène extraordinaire non sans quelque étonnement. L'attitude de Catherine semblait, en effet, exempte de toute gêne et ils savaient fort bien que l'empereur ne pardonnait pas la moindre infraction à l'étiquette.
    Quant à l'impératrice, elle se sentait mal à l'aise au cours de cette singulière audience. Elle n'en croyait pas ses oreilles, entendant rire son auguste époux qu' elle savait renfermé et morne. Pour elle, cette actrice, un peu trop impertinente peut-être, n'était qu'une jeune Viennoise insignifiante, dépourvue de tout intérêt. Trop indifférente, elle ne partageait point l'attitude scandalisée qui se lisait sur les figures des membres de la suite. Pourvu que l'empereur fût content, elle n'y trouvait rien à redire.
    Enfin, François-Joseph daigna donner congé à Catherine Schratt. L' audience était terminée.
    Le directeur du théâtre qui raccompagna Catherine Schratt à sa loge après l'audience ne lui cacha pas son bouleversement.
    — C'en est fait de ta carrière, Catherine, dit-il avec un sourire amer. Tu t'es conduite d'une façon inqualifiable. Tu pourras aller en province tout recommencer et cela te regarde. Mais ce qui est plus grave, c'est que moi aussi, je perdrai ma place à cause de toi.
    Pour toute réponse, Catherine se contenta de sourire.
    Pressentait-elle déjà que le pessimisme du directeur était sans fondement ?
    L'incident n'eut, en effet, aucune suite tragique. Durant toute la soirée l'empereur resta de très bonne humeur, ce qui ne laissa pas d'intriguer son entourage.
    Le lendemain, le directeur, qui s 'attendait au pire, se précipita sur les journaux. Quel ne fut pas son soulagement lorsque, au lieu d'y trouver la nouvelle de sa destitution, il n'y put lire que les critiques les plus flatteuses, concluant toutes par la fameuse phrase : « Sa Majesté tint à plusieurs reprises à exprimer son plus vif contentement. »
    [...]

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