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vendredi 5 mars 2021

Sopot en Pologne redeviendra-t-il le Bayreuth du Nord ? Jolanta Łada-Zielke s'entretient avec Tomasz Konieczny.

 

Photo ©  Igor Omulecki

Un entretien de la journaliste germano-polonaise Jolanta Łada-Zielke avec Tomasz Konieczny. 

Tomasz Konieczny, le chanteur d'opéra baryton-basse de renommée mondiale, est un interprète renommé des plus grands rôles wagnériens. L'artiste met actuellement en œuvre son nouveau projet, le Baltic Opera Festival, programmé pour la période du 19 au 26 juillet 2021 à l’ Opera Leśna (Opéra de la forêt) de Sopot et au Shakespeare Theatre de Gdańsk. L'événement reprend la tradition du Festival qui avait lieu ici de 1909 à 1944, au cours duquel principalement des opéras de Richard Wagner ont été mis en scène. C'est pourquoi les mélomanes de ce temps appelaient Sopot „Bayreuth des Nordens" ( le Bayreuth du Nord.)

Pendant la célébration du centenaire de l'Opéra de la Forêt en 2009, a été présenté „L’Or du Rhin" de Richard Wagner, dans lequel tu as chanté le rôle d'Alberich. Est-ce alors que t’es venue l'idée de réactiver le festival ?

T.K. Dans le passé, il y avait déjà eu plusieurs tentatives de réactivation du festival de Sopot. Wolfgang Wagner, entre autres, avait voulu le faire. En 1985, le Grand Théâtre de Łódź a mis en scène „Die Walküre” à l'Opéra de la Forêt, et en 2000, l'Opéra de la Baltique de Gdańsk y a présenté „Tannhäuser". Les gens étaient donc conscients que cet endroit est lié à la tradition wagnérienne, qui peut y être poursuivie d'une manière ou d'une autre. La mise en scène de l’ “Or du Rhin” en 2009 avait été réalisée à l’initiative du maestro Jan Latham Koenig, un chef d'orchestre d'origine juive. Daniel Kotliński, qui s’y était également intéressé, y avait chanté Donner. Je ne pouvais pas m'en occuper à ce moment-là, parce que j'avais d'autres projets. Les années suivantes, j'ai chanté dans les festivals de Salzbourg et de Bayreuth. Et enfin cette année, la pandémie 2020 est arrivée, si difficile pour la culture. J'ai décidé de réaliser ce projet avec un groupe de «passionnés», aussi pour donner des possibilités du travail, au moins  à certains des employés de l'industrie de l'art.

Qui soutient vos actions?

T.K. Nous avons le soutien de nombreux politiciens et diplomates polonais et allemands. Nous avons déjà le patronage du Président de la République de Pologne, le Dr Andrzej Duda. Katharina Wagner, l'arrière-petite-fille du compositeur, est également membre du comité d'honneur du Festival.

L'acoustique était et est toujours un grand avantage de l’Opera Leśna?

T.K. C'est la forêt qui donne une si bonne acoustique, car les arbres influencent une meilleure émission du son dans l'espace. Maintenant, après une rénovation majeure de l'Opéra de la Forêt, son toit en dôme s'étend sur toute la scène, ce qui renforce encore cette résonance.

Les chanteurs qui ont participé aux premières éditions du Festival, craignaient au début que les bruits de la forêt ne perturbent les spectacles. Mais après les premières répétitions, ils se dirent ravis. Lily Hafgren-Dinkela raconte comment, lors de la répétition générale de „Walküre" une libellule aux ailes dorées était venue se poser sur son décolleté. La chanteuse trouvait, qu'aucun autre théâtre ne pouvait lui fournir de telles impressions.

T.K. Le Festspielhaus de Bayreuth peut offrir des impressions similaires encore aujourd'hui. Lors de l'une des représentations de "Lohengrin" en 2018, des chauves-souris qui vivaient dans les combles du théâtre,  ont volé sur la scene, ce qui n’est pas étonnant, le bâtiment étant en bois, sans climatisation. Pour l'Opéra de la Forêt, la presse de l’époque mentionne que les oiseaux chantaient avec Brünnhilde. C'est ce qui fait le charme de ce type de lieu.

Dans le programme de la première édition du festival,  il y a „Le Vaisseau fantôme" (Der fliegende Holländer) de Wagner, que tu mets en scène et dans lequel tu chantes le rôle-titre. Il a été joué pour la dernière fois à l'Opéra de la Forêt pendant la guerre, en 1940-41. Pourquoi-l’a-tu choisi pour cette ocasion?

T.K. C’est pour des raisons pratiques. En 2023, je chanterai le Hollandais au Metropolitan Opera de New York, c’est pourquoi je souhaite chanter ce rôle au préalable sur d’autres scènes. À l'été 2020, je l'ai joué au Festival d'Opéra de Mikulov (Weinviertel Festspiele). Je le chanterai à l'Opéra Bastille et dans plusieurs autres endroits. Ensuite, cet opéra est relativement court, il convient donc bien pour la première édition du festival, pour introduire progressivement le public au monde des œuvres de Wagner. De plus, il sera parfait dans une ville balnéaire, dans un décor forestier et sous un toit qui ressemble à une grande voile. Les conditions acoustiques sont parfaites pour cette pièce. L’autre opéra mis en scène pendant le festival sera „La Flûte enchantée” (Die Zauberflöte) de Mozart, qui sera aussi présentée en septembre au festival Mozart im Chiemgau avec des chanteurs locaux.

Les conditions de l'Opéra de la Forêt étaient idéales pour "L'Anneau du Nibelung", c’est ce qui fait qu’avant la guerre, il y fut souvent joué. Au départ, on présenta seulement les trois opéras sans le prologue de «L'Or du Rhin», car le réalisateur Hermann Merz n'en avait pas la moindre idée. Mais à partir de 1938, toute la tétralogie y fut représentée.

T.K. Il y a une tradition dans de nombreux opéras du monde que la mise en scène de „L’Anneau..." commence par sa deuxième partie – „Walküre".  Nous avons déjà mis en scène „L'Or du Rhin" en 2009, et nous n'allons donc pas le répéter pour l'instant. Si nous voulions montrer tout „l'Anneau du Nibelung”, cela demanderait beaucoup plus de temps et de travail. Nous devrions donner une partie de la tétralogie chaque année pendant les quatre prochaines années. Nous sommes juste avant la première édition du Baltic Opera Festival et nous n'avons pas encore de telles opportunités pour planifier le répertoire quatre ans à l'avance.

Une œuvre polonaise sera-t-elle jouée pendant le Festival?

T.K. Oui, ce sera une oeuvre de jeunesse moins connue de Karol Szymanowski, son opérette „Loterie pour maris, ou le fiancé numéro 69", qu'il a composée sur le modèle des opérettes viennoises. Peut-être la montrerons-nous également au festival du Chiemgau. La première édition du Baltic Opera Festival se terminera par un concert de gala avec des songs de George Gershwin.

Qui verrons-nous et entendrons-nous sur la scène de l'Opéra Leśna?

T.K. Dans les parties solos, nous entendrons, entre autres, Małgorzata Walewska, Izabela Matuła, Stefan Vinke, Piotr Buszewski, Rafał Siwek et Rayan Speedo Green, qui sera notre „cerise sur le gâteau" car il apparaîtra dans la „Loterie pour les maris ". Nous aurons donc un chanteur de couleur dans l'opérette polonaise. J'attends toujours la confirmation de la participation des autres solistes. J'ai aussi décidé d'impliquer les étudiants et les diplômés de l'Académie d'Opéra du Grand Théâtre de Varsovie dans la „Loterie ...”et le Gala de Gershwin. Pretty Yende, l'une des meilleures sopranos du monde, se produira également au Gershwin-Gala. Nous serons accompagnés par l'Orchestre Philharmonique de Chambre de Sopot dirigé par Wojciech Rajski.

Il est bon que le casting soit international, car c’étaient principalement des chanteurs allemands qui avaient participé au festival d'avant-guerre.

T.K. C'était normal à l'époque. Il n'y avait pas de tradition internationale, même si parfois des grandes stars  étaient engagées, par exemple au Metropolitan Opera.Cela était dû au fait que les livrets des opéras étaient traduits dans la langue du pays où ils étaient joués. Dans la Pologne de l'entre-deux-guerres, Wagner était chanté en polonais, en France en français. Dans les pays germanophones, par exemple en Autriche, tous les opéras ont été chantés en allemand encore longtemps après la seconde guerre mondiale. A cet égard, l'Américain George London (1920-1985) avait fait sensation : après être venu en Europe, il a chanté toutes les parties dans les langues originales, bien qu'il ne les connaisse pas et n'ait pas réussi à les apprendre  toutes.D'autre part, l'histoire du festival Wagner à Sopot est impressionnante, comment il s'est développé à merveille, bien que, malheureusement, les nazis l'ont qualifié de „bastion de la culture allemande dans la  ville libre de Gdańsk". L'échange de chanteurs entre l'Opéra de la Forêt et le Festival de Bayreuth était intéressant.

Exactement! Frida Leider est devenue célèbre grâce au Festival de Sopot. En 1921-1927, elle avait chanté dans „Fidelio", „Walküre", "Götterdämmerung" et „Tannhäuser". En 1928, elle fut engagée à Bayreuth pour le rôle de Kundry.

T.K. C'est très excitant, car cela témoigne à quel point le niveau du Festival à Sopot était élevé. De plus, Sopot, en tant que ville balnéaire attrayante, a attiré des touristes d'autres pays dans l'entre-deux-guerres, y compris de riches Polonais qui venaient s'y détendre, mais aussi pour y assister à des spectacles d'opéra. Nous voulons également redonner vigueur à cet élément traditionnel. Nous souhaitons que des invités étrangers viennent au festival pour participer à des événements artistiques de grande valeur et apprendre quelque chose sur notre pays.

Comment résoudre-tu la question de la chorale? Les chœurs sont les plus touchés par la pandémie parce qu'ils ne se produisent pas du tout ou dans une composition très limitée pour maintenir les distances prescrites. Cette année, il y a également une nouvelle mise en scène du Vaisseau fantôme" à Bayreuth et des discussions sont en cours pour limiter au minimum le nombre de choristes, ou jouer la partie de la chorale en voix off. Mais je ne peux pas imaginer „Der fliegende Holländer" sans la participation de la chorale.

T.K. Il s'agit de limiter le contact de la foule de personnes qui chante dans la chorale avec les solistes, pour ne pas les infecter et, bien sûr, que les choristes ne s'infectent pas non plus les uns les autres. À Bayreuth, il est compréhensible que des mesures radicales doivent être prises, car le public est concentré dans un espace défini, le théâtre n'est pas climatisé, il est donc nécessaire de protéger non seulement les chanteurs, mais aussi le public. Les conditions à l'Opéra Lesna sont légèrement meilleures, car les représentations se dérouleront en plein air. La scène est plus grande là-bas qu'à Bayreuth, nous pouvons donc organiser l’installation du public correctement. Mais faire chanter le chœur  en off, c'est pour moi une solution trop artificielle, presque de la castration. Dans ma production du „Holländer", il serait acceptable que les choristes chantent avec des masques.  Quoi qu'il en soit, le chœur sera réduit à soixante personnes: quarante d'entre ells constitueront le „chœur principal", et les vingt personnes restantes seront le „chœur fantôme". Mais tout dépend de la manière dont la situation évoluera d'ici juillet, si les restrictions sont toujours en vigueur et à quelle espèce de restrictions nous seront soumis.

Résumons tous les avantages de cet événement artistique: son caractère international, l’ancrage dans la tradition, la présence de stars de renommée mondiale, les débuts de jeunes chanteurs et du travail pour des gens de l'industrie de l'art.

T.K. Et encore une chose importante: les performances d’Opera Leśna se déroulent à l'extérieur, ce qui réduit le risque d'attraper le virus, si la pandémie est toujours présente. Les personnes âgées, qui sont le plus à risque, peuvent venir à nos représentations et aux concerts sans crainte. Les ventes de billets ont commencé en mars. De plus, le Baltic Opera Festival tombe une semaine avant le début des Bayreuther Festspiele 2021. Ceux qui n'obtiennent pas de billets pour le Festspielhaus, je les invite cordialement à venir à Sopot.

Merci pour cet entretien !

Le programme détaillé du festival peut être consulté sur le site: https://www.balticoperafestival.com/en/

Contacter la journaliste Jolanta Łada-Zielke via son facebook: https://www.facebook.com/jolanta.lada.7

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