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dimanche 20 décembre 2020

Un mariage à Miramar

 Un article de Léon Darcel dans le Figaro du 22 mars 1900


UN MARIAGE À MIRAMAR

    Aujourd'hui même, aux bords de la mer Adriatique, dans l'archaïque chapelle du château de Miramar, sera célébré le mariage de l'archiduchesse Stéphanie avec le comte de Lonyay. C'est dans la plus stricte intimité que s'accomplira la nuptiale cérémonie. Ni la mère du fiancé, ni la propre fille de l'archiduchesse, qui est dans la fleur de la seizième année, n'y assisteront. Les invités sont en tout petit nombre. Ainsi l'a voulu la noble veuve de l'archiduc-héritier d'Autriche, comme pour enfermer dans un recueillement jaloux l'existence si nouvelle qui commence pour elle aujourd'hui.
    L'empereur François-Joseph ne s'est pas sans douleur séparé de celle qui semblait appelée à ceindre le diadème impérial et qui, de sa libre volonté, renonce à tous les droits et prérogatives attachés au titre de princesse et à son rang à la Cour. Quand elle a quitté Vienne, ces jours-ci, le vieux souverain est allé la saluer à la gare et il est demeuré en tête à tête avec elle pendant un quart d'heure. Après l'avoir embrassée sur le front, il est resté sur le quai jusqu'au départ du train. L'archiduchesse avait les yeux mouillés de larmes. Le soir même, elle arrivait à Grignagno et descendait aussitôt à Miramar, dont elle adore le site enchanteur, incomparable. Qui n'a pas vu Miramar, disait l'infortunée impératrice Elisabeth, n'a pas vu la huitième merveille du monde. Ce nid de verdure, qui s'avance du rivage jusqu'au milieu des flots qui semblent le porter, a un caractère d'originalité et de poésie que ne présente aucune plage, aucune sinuosité de l'Adriatique. La mer y est plus admirable, le ciel plus pur, l'air plus doux. On dirait d'un rêve d'amour.
    Le palais, de style florentin le plus noble, s'élève tout à l'extrémité d'un promontoir naturel, flanqué de deux golfes de sable et de pins qui paraissent se dérober à l'intérieur des terres comme pour lui faire place. La construction, où la pierre et le marbre se juxtaposent et se mêlent, s'harmonise délicieusement avec la couleur bleue du ciel et des eaux et la forêt séculaire d'un vert sombre, à laquelle elle s'appuie. Au pied même des rochers battus par les vagues, s'étagent des terrasses couvertes de palmiers, d'orangers, d'araucarias, tapissées d'une flore tout orientale, et dominées par une haute tour carrée d'où l'œil embrasse tout le golfe de Trieste, de Capo d'Istria à Santa-Dona-da-Plaza, et distingue, par les temps clairs, à l'horizon lointain, la belle Venise,
    Rien de plus pittoresque et de plus saisissant que cette demeure unique au monde. On est sous le charme étrange .d'une fantastique vision. Dans le vestibule, qui regarde les jardins et la mer, les murs sont revêtus de lambris noirs relevés de filets d'or. Dans les galeries, les salons, les escaliers sculptés, partout des portraits historiques d'hommes de guerre vêtus d'armures, d'empereurs en costumes sombres, de femmes merveilleusement parées, aux cheveux chargés de perles, d'infantes aux lèvres rosés, de jeunes princes au teint pâle. On croirait voir revivre l'illustre famille des Habsbourg.
    C'avait été l'une des joies délicates du pauvre empereur Maximilien que cette collection de ces tableaux rares où se retrouvait l'histoire même de sa race. Quand il avait, ayant dit adieu à l'Italie perdue, à cette Vénétie dont il avait été le vice-roi, choisi cette pointe de Miramar pour y bâtir, suivant ses propres dessins, sa tour d'ivoire, il l'avait voulu orner, cette maison de ses rêves, en artiste passionné mais grave qu'il était. Là, Maximilien avait passé les heures les plus douces de sa vie en la compagnie de l'impératrice Charlotte.
    C'est de là aussi que tous deux étaient partis pour le Mexique. Un jour, elle était revenue seule. En se jetant, éperdue avec des sanglots, dans les bras de sa tante l'impératrice Elisabeth, qui l'attendait sur le seuil de Miramar, et en revoyant ce rivage, ces arbres, ce palais, qui chantaient le poème de sa jeunesse, l'impératrice Charlotte avait senti sa raison se troubler. Personne n'entre dans le petit château où pleura sa folie et qui, les fenêtres closes, envahi par le lierre symbolique, semble pleurer l'éternelle absente
    Miramar est tout frissonnant de cette mélancolie des augustes souvenirs. L'impératrice Elisabeth aima d'abord à s'y retrouver et en évoquer les réalités cruelles, quand elle abandonna les splendeurs de Vienne pour donner un libre cours à son incurable mélancolie. L'épreuve fut si douloureuse qu'elle n'y résista pas. Alors elle commença d'errer à travers le monde. Elle construisit Achilleion. Mais elle se lassa bientôt des horizons d'Ionie et on la revit à Miramar où la ramenait une attraction mystérieuse et où elle dit un jour, après la lecture d'une strophe de la Tempête, de Heine : « On ne doit croire qu'à une chose, à la grandeur du néant. » Que n'est-elle restée dans cette solitude de Miramar, qui aurait procuré la paix à son âme inquiète, et l'aurait sauvée du couteau de Lucheni!
    Mais, du moins, ce site, ce cadre, ce reliquaire de Miramar, avec les trésors que la nature et l'art y ont accumulés, sont-ils de la plus inspirante beauté. Il ne se pouvait rencontrer un lieu plus propice a abriter ce bonheur dans le mariage que l'archiduchesse Stéphanie a voulu trouver dans cette union toute d'amour. Que l'esprit des Cours et le scepticisme du siècle aient marqué leur étonnement de cette alliance, il ne lui importe guère. On sait que, très résolue, foncièrement indépendante, elle n'a voulu tenir compte que des inclinations de son cœur. L'archiduchesse, qui est la seconde fille du roi des Belges, a montré, dès l'enfance, combien elle était éprise des lettres et des arts.
    Il y a au château de Laeken, où elle naquit le 21 mai 1864, des esquisses et des aquarelles, signées de son petit nom, qui sont exquises, Elle a donné des nouvelles, composé plusieurs romances. Et on a d'elle des poésies charmantes, en notre langue qu'elle écrit et parle avec une parfaite pureté. C'est à elle que Czibulka, le tzigane devenu chef d'orchestre, dédia la célèbre gavotte qui fut baptisée de son nom et qui a fait le tour du monde.
    Grande, belle, aimable, d'une conversation enjouée, elle a toujours été entourée, dans la monarchie austro-hongroise, d'une estime à laquelle son long veuvage a ajouté les plus respectueuses sympathies. Son salon à Vienne était le foyer où se rencontraient toutes les hautes personnalités littéraires çè artistiques. 
    Le comte Lonyay est d'une vieille famille de Hongrie. Il était l'un des secrétaires de l'ambassade d'Autriche à Londres. Lorsque l'archiduchesse Stéphanie fit son dernier voyage à Londres, en 1898, il s'éprit pour elle d'une affection profonde. II n'osa pas toutefois s'ouvrir de ce sentiment à la princesse et se contenta de demander un poste en Orient. 
    Mais l'espace ni le temps ne purent avoir raison de l'amour. Cependant, avant de partir pour la Chine, il écrivit à l'archiduchesse une lettre dans laquelle il lui exposait l'état de son cœur et la raison de son éloignement. Mais le hasard est notre maître.
    Revenu en Europe deux ans après et attaché à l'ambassade de Rome, il s'y retrouva un soir, à l'ambassade d'Allemagne, en présence de l'archiduchesse. Il voulut se retirer. Elle le retint. Elle aussi l'aimait !
    N'est-ce pas une page de roman que ce mariage qui unit la ci-devant héritière du trône impérial d'Autriche à un noble Magyar, et se pouvait-il imaginer un cadre mieux adapté que Miramar à cette union où la politique n'entre pour rien, et qui est l'événement du jour de l'Europe mondaine ? 

Léon Darcel

Invitation à la lecture 


  J'invite mes lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus que j'ai réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).


Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):


   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.

   Comment s'est constituée la légende de Mayerling ? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.


Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :


1889 Les articles du Figaro

1899 Princesse Odescalchi

1900 Arthur Savaète

1902 Adolphe Aderer

1905 Henri de Weindel

1910 Jean de Bonnefon

1916 Augustin Marguillier

1917 Henry Ferrare

1921 Princesse Louise de Belgique

1922 Dr Augustin Cabanès

1930 Gabriel Bernard

1932 Princesse Nora Fugger


Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.


Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).


Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)


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