Le 25 août 1911, le quotidien parisien Le Matin annonçait qu'il publierait prochainement en feuilleton les mémoires de Louise de Saxe. Le premier chapitre, où il est aussi question de l'impératrice Elisabeth parut le 2 septembre.
Le Matin du 25 août
La princesse Louise de Saxe a écrit ses souvenirs.
C'est le MATIN qui les publiera le premier.
Dans trois semaines le 15 septembre prochain doit paraître simultanément à Londres, à New-York, à Vienne, à Rome, un livre qui s'intitule Histoire de ma vie, et qui porte la signature de Louise de Toscane, ancienne princesse héritière de Saxe.
Ce sont les mémoires et souvenirs de cette princesse Louise, qui est née sur les marches du trône impérial des Habsbourg, qui aujourd'hui devrait être assise sur le trône royal de Saxe, mais qui, il y a quelques années, abandonna tout époux, enfants, cour, honneurs, prérogatives princières, pour vivre, à Genève avec le précepteur de ses fils, M. Giron, et qui, plus récemment encore, épousa un Italien sans naissance ni fortune, il signor Toselli.
Le Matin a jugé que le public français avait droit au moins autant que le public allemand, anglais ou américain à connaitre les révélations et la confession d'une femme dont les aventures ont occupé le monde entier; il a, en conséquence, obtenu les droits de traduction et de publication des souvenirs de la princesse Louise pour la France. Le Matin a même obtenu de faire connaître ces mémoires, à la fois dramatiques et sensationnels, avant quiconque en Europe et aux Etats-Unis tandis que le livre paraîtra dans les diverses capitales, comme nous le disions plus haut, le 15 septembre prochain ; nous en commencerons, nous, la publication le samedi 2 septembre prochain, et cette publication se poursuivra au jour le jour dans nos colonnes.
Ceux qui liront les mémoires de la princesse Louise liront le plus émouvant des romans, car c'est l'histoire douloureuse d'une femme qui fut infiniment plus malheureuse que coupable, qui souffrit dans sa dignité de princesse et dans son amour de mère, qui fut menacée de la plus terrible des prisons, celle où on enferme les fous, qui fut abandonnée de tous. Mais ceux qui liront ces mémoires auront aussi sous les yeux la plus étrange des pages d'histoire contemporaine : ils verront passer des silhouettes de rois et d'empereurs, celle amusante de Guillaume II et celle tragique de François-Joseph ; ils connaîtront les dessous de quelques-unes des cours princières d'Europe, celle de Saxe, qui relève d'Offenbach, et celle d'Autriche, qui appartient à Eschyle ; ils assisteront à la reconstitution du drame de Mayerling et ils entendront le récit du départ dé Jean Orth, que la princesse Louise fut la dernière à saluer lorsqu'il quitta l'Europe.
Nuls souvenirs ne fourmillent de plus d'anecdotes, n'appellent davantage ie sourire ou les larmes, et surtout ne portent mieux l'empreinte de ce que nous cherchons tous à connaitre la vérité.
Le Matin du 2 septembre
HISTOIRE DE MA VIE
CHAPITRE I
Education de princesse
Je naquis le 2 septembre 1870, au château impérial de Salzbourg. Mon père était Ferdinand IV, grand-duc de Toscane, et ma mère la princesse Alice de Parme.
A l'époque de mon enfance, le palais était l'endroit le plus triste et le plus sombre du monde, résidence certes de grande allure, mais très peu confortable, sans rien d'artistique ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Mal entretenu, il semblait, par endroits, tomber en ruines, et dans certaines pièces le papier, jadis somptueux, pendait en lambeaux, décollé et décoloré par l'humidité. De sinistres histoires de meurtres secret hantaient ce lieu sombre, et je me souviens combien, étant enfants, nous tremblions quand on nous disait que, la nuit, les portraits de la grande galerie s'animaient, et que les princes et les princesses défunts, quittant leurs cadres, erraient de pièce en pièce. Je me demande si le public se fait une idée vraie de ce qu'est une « éducation de prince ». De même que notre séjour ici-bas n'est, dit-on, qu'une préparation à une future existence, éternelle, de même la vie d'un enfant de roi n'est qu'une continuelle préparation à sa position future.
Pour ma part, je me fatiguai vite d'entendre toujours répéter les mêmes observations: " Ce n'est pas une façon convenable de monter en voiture " ou " Si Votre Altesse impériale désire devenir une vraie reine, Votre Altesse impériale fera bien d'apprendre à entrer dans un salon convenablement ! " Toujours la même histoire on ne nous élève pas pour nous-mêmes, mais on nous dresse à vivre que dis-je, vivre ? à « figurer » pour le public. Ma gouvernante, par exemple, ne manquait jamais de me dire que si Marie-Antoinette n'avait pas joué à la bergère, elle n'aurait pas été guillotinée ! Et la docilité de Marie-Louise m'était toujours jetée à la tête comme modèle d'état d'âme d'une parfaite princesse. Mais je sentais que je ne serais jamais une Marie-Louise il y avait toujours en moi-même une révolte contre cette tyrannie du cérémonial.
La révolte du bain
Mon premier acte d'insubordination eut lieu pendant le règne de ma gouvernante.
Un jour où j'avais été particulièrement diable, on me punit en me privant de ma leçon de natation, ce qui me fut un gros crève-cœur. L'après-midi, nous fîmes une promenade, mes frères, ma gouvernante et moi, jusqu'au petit lac qui était un lieu de rendez-vous d'été, pour les Salzbourgeois "chics". Il y avait des quantités de bateaux et nous nous embarquâmes dans le nôtre, avec ma gouvernante, pompeuse et raide comme la statue de la Responsabilité. Pour la foule des gens qui nous contemplaient de loin, nous avions l'air parfaitement tranquille de petits princes modèles, ce qui sans doute poussa mon frère Léopold à murmurer à mon oreille :
— Si on faisait quelque blague ?
Une inspiration me vint, et me tournaht vers ma gouvernante, je lui demandai si je pouvais me baigner. Comment ? Votre Altesse impériale n'y songe pas ! C'est tout à fait impossible.
— Vous ne voulez pas me permettre de me baigner ? demandai-je une seconde fois, à la joie de mes frères, qui pouvaient à peine contenir leurs rires.
— Certainement non !
Je ne perdis pas de temps, mais plongeai comme j'étais, tout habillée, et me mis à nager tranquillement, à la consternation des spectateurs de la rive et à la fureur de ma digne gouvernante, qui passait son temps à crier :
— Voulez-vous revenir, mauvaise enfant
Cependant je revins au bateau, sans m'être noyée puis trempée et encore sur la défensive, je rentrai au palais. Au haut du grand escalier de marbre, je rencontrai l'archiduc Louis-Victor, frère de l'empereur il me regarda avec ahurissement ; après quoi il éclata de rire.
— Eh bien, Louise, dit-il, d'où diable sortez-vous ?
— Du bain, répondis-je.
— Ça, m'en a tout l'air ! répliqua-t-il en regardant les petits ruisseaux qui prenaient leur source dans ma robe et coulaient de marche en marche. Et il me semble aussi, Louise, que vous n'en ferez jamais qu'à votre tête.
Puis ayant pincé amicalement mon épaule mouillée, il continua son cheKnia.
Un examen d'histoire
Mon éducation continua, monotone et sévère. Je travaillais neuf heures par jour et je dus étudier de façon à passer toute la série des examens universitaires. Chaque année je me rendais à Salzbourg pour mes épreuves orales, et je n'oublierai jamais certain examen d'histoire que je passai à l'âge de quatorze ans. On me demanda « ce que je savais » sur Marie-Thérèse, et à l'étonnement de tous, je répondis à haute Je trouve que Marie-Thérèse a eu parfaitement raison de choisir un mari qu'elle aimait au lieu de se laisser marier à n'importe qui car voilà qui est idiot !
Mais je m'arrêtai brusquement, voyant la figure horrifiée de mes examinateurs et de mon professeur d'histoire qui pâlissait à la pensée de la scène qui aurait lieu avec mes parents aussitôt qu'ils entendraient parler de ma tirade. L'on ne peut imaginer ce que fut ma vie d'enfant et de jeune fllle ; la vie au palais était plus ennuyeuse encore que la vie à Salzbourg, plus triste qu'une semaine de dimanches anglais. Toute littérature amusante était défendue, ainsi que tous journaux, sauf les revues catholiques ; on ne nous menait jamais à aucune exposition de peinture et rarement au concert ou au théâtre. Nos jours coulaient d'une façon vraiment monacale, à l'ombre de murs qui ressemblaient à des murs de couvent. Tout cela suintait la religion, les jésuites étant à Salzbourg, comme d'ailleurs dans les autres cours catholiques, le pouvoir derrière le trône.
Malgré que j'aie beaucoup souffert aux mains des prêtres, je m'en voudrais de les attaquer ; ici il y en a d'admirables, de ceux dont on fait les saints et les martyrs, mais il y en a d'autres aussi qui tirent avantage de leur profession de la façon la plus indécente; quelle jeune princesse n'a pas eu à répondre aux questions les plus indiscrètes de son confesseur ? Donne-t-elle à entendre qu'elle se plaindra à ses parents, le confesseur à son tour lui fait comprendre qu'il prendra les devants il informera les parents de la nature pervertie de sa pénitente, digne, dira-,t-il, d'être enfermée dans un couvent !
Les cheveux de l'impératrice
A l'âge de onze ans, on m'amena à Vienne, à la Hofburg, et c'est la que je vis une apparition : l'impératrice Elisabeth passant dans un corridor, telle un fantôme séduisant. Elle m'attira toujours étrangement, et il se peut que quelque secrète sympathie entre ses chagrins passés et mes futurs chagrins nous ait été un lien mystérieux et subtil.
L'impératrice était vraiment très belle, avec des cheveux admirables qui, défaits, l'enveloppaient entièrement, et qu'une femme de chambre était chargée du seul soin de coiffer. La cérémonie de la coiffure était rien de moins que bizarre : on étendait sur le tapis du cabinet de toilette un drap de toile blanche, puis l'impératrice s'installait sur une chaise basse au milieu de la pièce. Quand la femme de chambre, tout habillée de blanc, avait fini de peigner et d'échafauder la coiffure assez compliquée qu'aimait l'impératrice, elle devait compter tous les cheveux restés dans la peigne et la brosse, ainsi que ceux tombés sur le drap de toile blanche ; après quoi, elle devait annoncer à sa maîtresse le nombre de cheveux qu'elle avait perdus. Et l'impératrice, mécontente quand la quantité était considérable, faisait souvent passer un assez mauvais quart d'heure à la femme des chambre.
L'impératrice avait beaucoup d'autres manies plus ou moins excentriques et d'ailleurs connues de tout le monde. Je me souviens aussi d'un incident plus ignoré: à Linz, elle avait l'habitude de se promener dans les jolis bois qui font partie du parc du château, traînant à sa suite son lecteur grec. Un soir, elle sortit du parc, et comme elle se taisait, le lecteur se taisait ; aussi, et pendant huit heures, se promena-t-elle autour de Vienne, perdue dans les bois nocturnes et absorbée dans ses sombres pensées. Ce n'est, qu'au lever du jour qu'elle se retrouva en dehors de son domaine et toujours suivie d'un lecteur patient et fatigué.
Je vis l'impératrice Elisabeth en mai 1889, après la tragédie de Meyerling, lorsque je me rendis à Vienne pour recevoir l'ordre de la Stern Kreuz. Cet ordre est remis aux archiduchesses autrichiennes quand elles ont atteint leur majorité et cette cérémonie leur sert de présentation officielle à la cour. Ma mère m'amena à la Hofburg et l'impératrice nous reçut en audience spéciale. Elle était tout habillée de noir, et sous les plis de son voile de crêpe, sa figure semblait quelque fleur pâle et portait les traces de pleurs récents et continuels ; une habitude nerveuse la poussait à essuyer incessamment les coins de sa bouche avec son mouchoir. Je ne la revis jamais vivante. Mais près de son cercueil, dans le caveau des Capucins, je me rendis compte qu'enfin elle avait retrouvé le repos et le bonheur. Et je pouvais me l'imaginer, errant par les Champs-Elysées fleuris d'asphodèles, échangeant des paroles avec Heine et réunie enfin à son Rodolphe tant aimé.
Princesse Louise de Saxe.
Invitation à la lecture. Faites-vous plaisir !
Pour lire un extrait, cliquer sur l'ISBN sous l'image puis sur lire un extrait
ISBN : 9782322208371 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire