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samedi 10 octobre 2020

L'entrevue des deux empereurs à Salzbourg en 1867 (1)

Voici un article de l'Annuaire encyclopédique de 1867  (n° VII, publié à Paris) qui relate et analyse le voyage qu'effectuèrent l'empereur Napoléon III et l'impératrice Eugénie à Salzbourg pour y rendre visite au couple impérial autrichien. La rencontre des deux empereurs y est considérée du point de vue français. En illustration, les caricatures du Kikeriki d'août 1867, un hebdomadaire satirique autrichien, rendent un son de cloche fort différent.

Le rendez-vous. Napoléon III fait une déclaration d'amour à Dame 
Autriche. Bismarck du haut de l'arbre lui fait un pied de nez.
(Kikeriki, août 1867)

Entrevue de Salzbourg

  L'année 1867 a été l'année par excellence des voyages princiers et des entrevues de souverains. Nous avons énuméré, à la suite de l'article consacré à l'Exposition universelle, tous les empereurs, rois et princes qui se sont donné rendez-vous à Paris. L'impératriee des Français a fait elle-même, le 21 juillet, à la reine d'Angleterre, dans l'île de Wight, une visite dans laquelle on s'est empressé de voir le symptôme d'une nouvelle alliance anglo-française. Mais on commençait à parler, dès cette époque, d'un autre voyage qui devait avoir dans toute l'Europe un immense retentissement. L'empereur Napoléon devait, disait-on, se rendre en Autriche pour faire à l'empereur François-Joseph une visite de condoléance au sujet de la fin malheureuse de son frère Maximilien pour examiner avec lui la situation de l'Europe au point de vue des intérêts communs de la France et de l'Autriche. La bataille de Sadova a établi, en effet, une étroite solidarité entre ces deux puissances si longtemps rivales. Les ambitions prussiennes menacent, d'un seul coup, l'Autriche d'une destruction complète et la France d'une véritable déchéance qui serait suivie peut-être, d'un démembrement. Les cabinets de Paris et de Vienne sont donc puissamment sollicités à entendre, à s'unir, à contracter une étroite alliance pour arrêter la Prusse sur la pente de ses ambitions et établir, pendant qu'il est temps encore, une juste pondération des forces  de l'Europe. Telle avait été la première impression du public dès qu'on avait appris la prochaine entrevue de Napoléon III et du chef de la maison de Habsbourg-Lorraine. 
    L'empereur Napoléon se; rendit d'abord au camp de Châlons ; l'Impératrice alla l'y rejoindre le vendredi 16 août, et, le 17, à huit heures du matin, ils partirent pour se rendre auprès de l'empereur d'Autriche. Ils trouvèrent à Carlsruhe le grand-duc et la grande-duchesse de Bade ; à Ulm; le roi de Wurtemberg, venu, pour les recevoir, de sa résidence de Friedrichshafen sur les bords du lac de de Constance ; à Augsbourg, le roi de Bavière, qui ne voulut les quitter qu'à la dernière station de son royaume. À Augsbourg, où, il était arrivé pendant la nuit, l'Empereur consacra sa matinée à d'intimes souvenirs. Il se plut à parcourir cette ville, habitée autrefois par la reine Hortense, et où il passa lui-même une partie de son enfance dans l'université allemande. À Munich, l'Empereur et l'Impératrice, virent les prin- . cesses de la famille royale de Bavière et ils arrivèrent le dimanche 18, vers cinq heures du soir, à Salzbourg, ville située près de là frontière de l'Autriche et de la Bavière, et où ils furent reçus par l'empereur et l'impératrice d'Autriche, par l'archiduc Louis-Victor et par les ministres et grands dignitaires de l'empire. L'accueil fut cordial ; mais l'Empereur avait reçu, sur le parcours du chemin de fer, des témoignages qui ne l'avaient pas moins impressionné. La- foule l'avait, sur plusieurs points, acclamé avec enthousiasme. Les peuples du Midi, les vrais Allemands, n'ont jamais oublié ce que la France a fait pour eux ; et leurs manifestations paraissaient prouver qu'ils fondent encore sur elle de grandes espérances. L'empereur Napoléon ne s'était fait accompagner d'aucun de ses ministres ; mais il trouva à Salzbourg M. de Gramont, ambassadeur de France à Vienne. L'empereur d'Autriche, au contraire, avait fait venir à Salzbourg, M. de Beust et la plupart des autres membres du cabinet, ainsi que M. de Metternieh ambassadeur d'Autriche à Paris, et un grand nombre de personnages distingués.
   Une foule compacte, qui se pressait à Salzbourg, dans la cour de la gare, accueillit l'empereur Napoléon par une triple salve de hourrahs ; les deux empereurs passèrent en revue la compagnie, des chasseurs d'élite qui avait été commandée pour cette circonstance et qui entonna l'air Partant pour la Syrie [1] ; ils se rendirent ensuite en calèche découverte à la résidence impériale, toujours acclamés par le peuple. Un spectacle féerique avait été préparé par l'ordre de François-Joseph en l'honneur de ses hôtes. Il les conduisit, après le dîner, au château de Klesheim, d'où le regard embrassait une vaste étendue de montagnes qui avaient été illuminées. Le lundi 19 août, après une promenade dans la ville, les deux empereurs eurent leur premier entretien ; dans l'après-midi, ils se rendirent au château d'Aigen. Le soir, Napoléon III eut un long entretien avec M. de Beust ; il assista ensuite, avec l'impératrice Eugénie et l'archiduc Louis-Victor, à la représentation qu'on donnait au théâtre, où il fut chaleureusement acclamé.
    Le lendemain (mardi 20), l'empereur Napoléon eut dès le matin un nouvel entretien avec le baron de Beust et, dans la journée, accompagné du feld-maréchal prince de la Tour et Taxis, il alla rendre visite au roi Louis Ier de Bavière, à Leopoldskron, où il se rencontra avec le grand-duc de Hesse, arrivé la veille. Le roi Louis Ier est le doyen des princes qui ont porté la couronne. Né à Strasbourg, le 25 août 1786, il abdiqua en faveur de son fils, le roi Maximilien, le 20 mars 1848, après un règne de 23 ans, et il est le grand-père du roi actuel. Sa soeur, la princesse Auguste Amélie, avait épousé en 1806 le prince Eugène de Beauharnais. Le même, jour eut lieu une première conférence entre le baron de Beust, le comte Andrassy, le prince de Metternich et le duc de Gramont.
    Le mercredi 21, Napoléon III visita le musée de Salzbourg ; les deux empereurs firent une excursion en voiture au château de Hellbrunn, accompagnés du prince, Charles-Théodore de Bavière. Une entrevue devait avoir lieu à Berchtesgaden, sur le territoire bavarois, entre l'empereur Napoléon et le roi de Bavière ; mais le conseil des ministres de Munich, —contrairement, assure-t-on, à l'avis du prince de Hohenlohe, —jugea prudent de déconseiller au roi cette démarche. Le soir, une fête brillante fut donnée à l'empereur et à l'impératrice, dans le parc de l'archiduc Louis-Victor. Le 22, de nouvelles conversations confidentielles eurent lieu entre les deux empereurs, entre Napoléon III et M. de Beust, entre M. de Gramont et les ministres autrichiens, et le vendredi 23, à 8heures du matin, l'empereur et l'impératrice des Français, accompagnés de l'empereur et de l'impératrice d'Autriche, de MM. de Beust, de Gramont, de Metternieh., etc., se rendirent à la gare, qui, avait, été pompeusement décorée. Le soir ils arrivaient à Strasbourg.
    L'opinion publique ne pouvait manquer de se préoccuper très-vivement d'une pareille entrevue. Les journaux de Vienne s'étaient élevés d'abord avec une grande énergie contre tout projet d'alliance austro-française, déclarant qu'elle n'aurait de raison d'être que dans le cas, assez généralement admis, où la Prusse et la Russie auraient contracté des engagements en vue d'une action, commune, mais ils finirent par incliner vers une union intime de l'Autriche avec la France. Ils n'oubliaient pas néanmoins combien il importe à l'Autriche de ne pas choquer les susceptibilités des Allemands. Ils insistaient donc pour bien faire comprendre à leurs compatriotes de l'ancienne confédération germanique, que Napoléon III et François-Joseph ne pouvaient avoir d'autre but que de préserver l'Eurrope des dangers du panslavisme. Cette manière de présenter la question n'est pas seulement habile ; elle est d'une rigoureuse exactitude ; car l'accord des cabinets de Saint-Pétersbourg et de Berlin, dont on a tant parlé depuis la bataille de Sadova, tend nécessairement à la destruction totale de l'empire d'Autriche. Or l'Autriche est la pierre angulaire de toute résistance contre la Russie, qui convoite en même temps la Galicie, la Bukovine, la Moravie, la Croatie et les provinces slaves de la Turquie.
    On ne pouvait manquer de comprendre à Berlin toute la portée du voyage de l'empereur Napoléon. Les journaux prussiens redoublèrent d'efforts pour fortifier les unitaristes et pour affaiblir les espérances que les partisans si nombreux de la forme, fédérative pouvaient fonder sur une alliance austro-française. Ils se mirent d'abord à soutenir avec persistance que l'empereur Napoléon était animé de sentiments éminemment pacifiques, et que l'entrevue de Salzbourg n'avait pas l'importance qu'on voulait lui donner ; mais une irritation profonde perçait sous toutes leurs paroles ; ils perdirent bientôt contenance, et se mirent à demander la formation, près des frontières françaises, d'un grand camp retranché pour remplacer la, forteresse de Luxembourg ; ils déclarèrent enfin que l'entrevue de Salzbourg était menaçante pour la Prusse.
   Il est impossible, quant à présent, d'exprimer une opinion bien formelle sur le résultat de ces conférences. Il paraît résulter des indications pleines de réserve des feuilles officieuses d'Autriche et de France, que les deux gouvernements sont animés du plus vif désir de maintenir la paix, mais qu'ils ont pris la ferme résolution de lui donner pour base les stipulations du traité de Prague, qui serait révisé, au sein d'un congrès européen, dans un sens favorable à l'Autriche et conforme au programme tracé par Napoléon III, avant la guerre de 1866, dans sa lettre à M. Drouyn de Lhuys, alors ministre des affaires étrangères. Les Danois du Slesvig [Schleswig] recevraient une pleine satisfaction ; l'indépendance de l'Allemagne du sud serait sauvegardée ; l'Autriche continuerait d'être une grande puissance allemande. Il a plu au roi Guillaume de couper l'Allemagne en trois tronçons ; c'était son programme d'avant la guerre et il l'a consacré par un traité solennel ; aujourd'hui, on le prend au mot ; on accepte le fait accompli, et on exige qu'il soit respecté comme la dernière garantie d'un équilibre qu'on ne peut, à aucun prix, sacrifier aux convoitises de la Prusse ; telle est l'opinion générale ; mais tout est mystère dans la diplomatie. [...]

[1] Partant pour la Syrie est un chant français dont la musique est attribuée à Hortense de Beauharnais et les paroles de Alexnadre de Laborde vers 1807. Il fut hymne narional officieux français joué lors de la plupart de cérémonies officielles sous le Second Empire.

Napoléon III au théâtre de Salzbourg
(Kikeriki août 1867)

 

Invitation à la lecture

    
J'invite les lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne à découvrir les textes peu connus consacrés à mon ami le prince héritier Rodolphe réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).

Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
   Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)



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