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lundi 31 août 2020

Un poème du recueil Orchestres de Léo Larguier, où il est question de Louis II de Bavière et de Helene von Dönniges-Racowitza

De Verlaine en 1886 à nos jours, Le Roi Louis II de Bavière a inspiré nombre de poètes français, dont nous avons recueilli les textes dans le recueil Le Roi Louis II de Bavière dans la poésie française (BoD, 2020) (1) 


Nous découvrons aujourd'hui, — un peu tard mais avec le bonheur de l'orpailleur qui vient de découvrir une pépite, — un poème de Léo Larguier qui a échappé à nos recherches. 

En 1914, l'écrivain Léo Larguier publiait son quatrième recueil de poèmes intitulé Orchestres. Le poème XLVI, sans titre, rappelle un épisode de l'enfance du futur roi Louis II de Bavière, alors prince héritier, avec lequel Helene von Dönniges avait été admise à jouer. Devenue par mariage princesse Racowitza, elle évoque ce souvenir dans Von anderen und mir. Erinnerungen aller Art qu'elle publia en 1909. On peut supposer que Léo Larguier en avait pris connaissance. Notre traduction de ce passage figure à la suite du poème. 

Les souvenirs de la princesse Racowitza furent traduits en francais dès 1910 par Jules Hoche et parurent sous le titre Princesse et comédienne, souvenirs de ma vie. On y peut lire, entre autres choses, qu'elle inspira la forme de l'Apollon de Carpeaux, dans l'immortel groupe de la Danse, ce grand ange dionysiaque et féminin qu'entourent les bacchantes, ce que Léo Larguier mentionne vers la fin de son poème. 

ORCHESTRES
XLVI

Comme vous m'émouvez, ô troubles héroïnes, 
Aventurières toujours tristes et divines : 
Wanda qui méprisiez votre sinistre époux 
Sacher Masoch, l'amant des fourrures ; et vous 
Hélène de Racowitza, belle et si rousse 
Qu'en un parc de Munich aux troncs jaunes de mousse, 
L'enfant royal qui devait être Louis Deux 
Croyant que le soleil mourait dans vos cheveux, 
Prit votre chignon d'or dans sa main potelée, 
Tandis que s'effaraient en tunique étoilée 
D'Aigles Noirs et de Croix de Fer, les chambellans.
Et que riait à vos cheveux, à vos rubans, 
Cette petite altesse en bonnet de dentelles 
Qui chérissait déjà les choses les plus belles, 
Et qui devait mourir dans le lac de Starnberg 
Pour avoir trop aimé les Cygnes de Wagner. 
Elisabeth, l'Impératrice vagabonde, 
Vous ressemblait, Hélène, et votre nuque blonde, 
Votre épaule de marbre et vos bras durs et beaux 
Firent pendant des nuits rêver le vieux Carpeaux 
Qui se levait plus tôt quand il vous avait vue 
Accoudée au balcon d'une loge, mi-nue, 
Dans les velours royaux des robes d'apparat, 
Par ces soirs de galas fleuris à l'opéra 
Qui sentent les gants blancs, les violettes de Parme, 
Et ce parfum léger qui, plus que tous, me charme, 
D'une robe de soie échauffée au soleil. 
Hélène de Racowitza, grand corps vermeil 
De princesse allemande et de fille guerrière 
De Sparte, j'eus voulu vous voir sous la lumière 
D'un lustre, et respirer, parmi les roses-thé, 
L'odeur d'œillet poivré de votre bras ganté.

Les souvenirs d'Helene von Dönniges, compagne de jeu du prince héritier Louis II de Bavière et modèle du sculpteur Carpeaux.

Helene von Dönniges, parfois écrit Helene von Döniges (Berlin-1845-1911), était la première des sept enfants du Professeur Wilhelm von Dönniges (plus tard diplomate), que le  prince Maximilien de Bavière , le futur Maximilien II, père du futur roi Louis II, appela à sa cour en raison de ses compétences scientifiques en tant qu'historien. 

Elle épousa le Valaque Janco Gregor von Racowitza (Iancu Racoviţă) et devint ainsi Princesse Racowitza. Le prince mourut jeune, et la princesse connut encore deux mariages, on la retrouve sous les patronymes de Helene Friedmann puis, après divorce et remariage, de Helene von Schewitsch. Elle fut écrivaine et actrice de théâtre, sous le nom de princesse de Racowitza.

C'est sous le nom de Princesse de Racowitza qu'elle publia en 1909 à Berlin (Gebrueder Paetel) Von anderen und mir. Erinnerungen aller Art, traduit en 1910 en anglais sous le titre An autobiography (New York, The Mac Millan Company). La princesse raconte dans le chapitre III qu'elle fut eut l'occasion de côtoyer la famille princière bavaroise et les jeunes princes royaux, dont elle fut une compagne de jeu. 


Voici une traduction libre de ce chapitre:

Le prince Louis avec tambour et blocs de construction
Chapitre III

[...] Ce qui va suivre provient d'histoires qui m'ont été racontées par la suite.

Quand j'avais environ dix mois, mes parents firent un séjour avec le couple royal, le prince héritier Max et la princesse Marie, à Hohenschwangau. Ma mère m'avait laissée avec la nourrice dans le jardin du petit château, mais la nourrice s'était éloignée et m'avait laissée seule.

La jeune princesse héritière se promenait dans une allée voisine, quand les pleurs d'un enfant attirèrent son attention. Elle se précipita vers l'endroit d'où provenaient les pleurs et lorsqu'elle me trouva allongée sur l'herbe, elle me reconnut aussitôt. La grande dame me prit dans ses bras  avec compassion, essaya de me réconforter et me porta vers ma mère, qui se hâtait dans notre direction. Avant de me remettre à ma mère, la princesse a pris mon petit poing de bébé, le secoua en direction de maman et lui dit:

«La petite Hélène ne doit pas être abandonnée comme cela, elle est née pour être aimée et elle va pleurer jusqu'à en mourir  si on la laisse seule."

Cette petite anecdote datant  de ma plus tendre enfance m'a souvent été racontée par ma mère.

Ah! Combien de fois ai-je plus tard pleuré amèrement  quand j'étais abandonnée par ceux qui étaient supposé m'aimer; mais alors, aucune gentille princesse ne vint pour m'emmener et me consoler dans ma solitude, et les «princes» qui se proposaient à cette fin comprenaient les termes «amour» et «être aimé» dans un sens tout à fait différent de celui qui avait animé  la bonne fée de mes premiers jours.

Parmi les souvenirs des années de ma première enfance, les plus marquants sont ceux  de mon amitié avec le prince héritier Louis, -qui devint plus tard le roi Louis II.- si l'on peut qualifier d' une épithète si sérieuse la camaraderie d'êtres si jeunes.

Le roi  Maximilien  II avait succédé à son père Louis Ier, qui avait  abdiqué à la suite de l'épisode de Lola en 1840, et mes parents appartenaient alors au cercle intime des jeunes monarques qui étaient  aimés de tous. Je fus choisie comme la camarade qui  convenait le mieux pour le prince héritier.

Nous nous sommes souvent rencontrés et fûmes initiés ensemble, par la baronne Meilhaus, sa gentille gouvernante, aux mystères profonds de la lecture, de l'écriture et de l'arithmétique.

Malgré les quantités de jouets mis à la disposition du prince Louis et du Prince Othon, nos jeux préférés étaient le produit de notre imagination.  Notre  idéal le plus élevé était d'«être des fées» . Nous transformions  rideaux et  portières  en vêtements fleuris et en  ailes , dans lesquels nous nous  drapions pour devenir   les héros et l'héroïne d'une grande aventure féerique et merveilleuse.

Peut-être était-ce à cette époque que fut semée en nous la semence qui devait fleurir  plus tard sous la forme du merveilleux attrait qu'exerça sur lui  l'art dramatique de Richard Wagner, et qui me porta sur les planches d'un théâtre célèbre.

Notre amitié a duré de nombreuses années, et je me souviens de plusieurs traits de ce roi, qui plus tard devint tellement  génial, et fut finalement si malheureux.

Il fut élevé très strictement, et  on lui apprit spécialement  à être aimable envers ses inférieurs. Un de nos jeux consistait à  nous pencher par la fenêtre et à cracher; je n'ai  aucun doute que ce fut moi qui en eut l'idée.

Bien sûr, la baronne  Meilhaus se trouvait bien loin de l'endroit où cela se passait.  Un jour, le vieux serviteur de mon père passait sous la fenêtre où nous nous tenions et reçut notre indésirable cadeau sur la tête. Nous étions presque morts de rire, tandis que le vieillard, en levant les yeux, criait avec colère: «Qui sur terre fait une telle saloperie?», lorsqu'il reconnut le prince héritier et s'arrêta tout net

Notre joie fut  de courte durée. Le destin nous rattrapa sous la forme de la baronne Meilhaus, qui nous attrapa  tous les deux et nous força à avouer; ce que nous fîmes en tremblant, mais tout à la fois  en nous réjouissant du succès de notre exploit. Elle avait l'air très sévère, et appelant le vieux serviteur, elle ordonna au prince héritier de s'excuser. Bien sûr, je fus obligée de faire de même. Le vieil homme en fut  très touché et embarrassé, mais quand il eut quitté la pièce, nous nous regardâmes avec des joues écarlates, et  le prince héritier me murmura aux oreilles: «Ce n'était vraiment pas gentil de notre part. Je suis désolé pour le vieil homme et je lui ferai un cadeau. "

Une autre des nos brillantes idées fut de décapiter quelques magnifiques grands soldats de plomb. Je m'étais tout à coup souvenue que dans le charmant conte de fées d'Andersen du vaillant soldat de plomb, le soldat développe un sentiment  si tendre pour la petite danseuse de papier, qu'il finit finalement par fondre dans un poêle; c'est cela qui m'avait amenée à  considérer les soldats de plomb comme des êtres vivants. J'avais raconté l'histoire à mon petit royal ami, qui se mit soudain commencé à pleurer amèrement au beau milieu de notre jeu, parce que nous avions tué tant de splendides petits soldats. Comme lui, je pleurai à chaudes larmes  jusqu'à ce que, étant  l'aînée, je réalisai que que ces soldats de plomb ne pouvaient être en vie comme  ceux du conte de fées d'Andersen; je me mis alors à le consoler.

Il fut d'accord avec moi, et très rapidement  nous entamâmes joyeusement un autre jeu.

Cette charmante amitié se termina un beau jour sur une querelle survenue à propos d'un livre d'images.

Qui voulait avoir le livre d'images, qui l'avait, je ne m'en rappelle  plus. Ce dont je me souviens, c'est que nous nous sommes tout à coup mis à nous battre, que j'ai frappé le prince héritier, et  que lui, étant finalement victorieux, a arraché une poignée de mes cheveux roux dorés et qu'il les brandissait dans son petit poing.

La baronne Meilhaus ne parvenait pas à pas nous séparer, car nous nous battions comme deux chats sauvages. Soudain, la reine se tenait devant nous et s'écriait: «Enfants! Comment pouvez-vous agir ainsi? Etes-vous devenus fous?" La reine Marie était une femme très belle et charmante, et je l'adorais. Sa présence me fit aussitôt reprendre mes sens.

Les deux pécheurs éclatèrent en larmes; la grande dame nous parla avec gentillesse, et nous fit présenter mutuellement des excuses et redevenir  amis - et  ensuite ma gouvernante vint me chercher pour me ramener à la maison.

Lorsque mon père entendit parler de la dispute - en dépit du pardon des parents royaux, qui considéraient la querelle comme une bêtise enfantine - les rapports intimes entre son Altesse princière et ma "sauvagerie " furent interrompus. Après que mon père m'ait parlé très sérieusement de ce qui s'était passé, il  ajouta: «On ne peut pas maltraiter ainsi son futur roi. Tu n'es pas digne de cette intimité privilégiée."

Ah! Cela m'a coûté beaucoup de larmes, car j'aimais le prince royal par-dessus de tout, et maintenant voila que je ne pouvais plus le visiter qu'à l'occasion de  son anniversaire ou de la fête de son saint patron. A ces occasions, comme il lui était interdit de manger des sucreries, je lui apportais la seule chose permise: une bonbonnière avec des crottes en  chocolat, qu'il partageait entre le prince Otto et moi-même. En grandissant, nous nous éloignâmes  de plus en plus, bien que jusqu'à ce jour mon cœur ait toujours gardé une profonde affection et une grande admiration pour ce roi malheureux. Il m'a sans doute oubliée! Beaucoup plus tard, quand je devins veuve, il me fit envoyer par son maréchal, Von der Tann, des bonbons de sa table avec les mots: «Salut à mon petit camarade de jeu sauvage». Cela mit  fin au rêve de mon enfance au sein du  palais royal.

© Traduction Luc-Henri Roger. 

Voici encore le passage des Souvenirs qui concerne la rencontre et les séances de pose chez le sculpteur Carpeaux, cette fois dans la traduction Hoche :

C'est le célèbre sculpteur Carpeaux que je connus d'abord et qui, tout de suite, voulut modeler mon buste. Je consentis à poser pour le Génie de la Danse, celui-là même qui figure dans le fameux groupe destiné à décorer les abords de l‘Opéra et qui fut plus tard l'objet d'une tentative de vandalisme dont tous les Parisiens se souviennent.

Carpeaux était un original dans toute l'acception du mot. Qu'on imagine un petit homme rabougri et hirsute surgi d'un monceau de choses hétéroclites et sales : tel il m'apparut pour la première fois dans son atelier.

Chose étrange : il adorait le luxe, le confort, l'aisance et ne manquait pas d'en témoigner partout ailleurs que chez lui. Un jour que je m'étonnais devant lui qu'il ne songeât point à s'organiser un intérieur en rapport avec ses gains considérables, il haussa les épaules, di- sant: « Comment diable faudrait-il s'y prendre ?... D'ailleurs, il y a toujours un tas de collègues, de confrères qui ont besoin d'argent... personne ne pourrait y suffire. »

Je crois bien que de Piennes eut un moment l'idée bizarre de me marier au grand artiste, mais il ne s'y entêta point, quand j'eus attiré son attention sur la chambre à coucher — salle à manger, cabinet de toilette — de l'illustre maître, le pêle-mêle horrifiant des brosses, des peignes, des objets de toilette en général et leur propreté douteuse. Ce qui n'empêcha pas Carpeaux d'épouser plus tard une femme du monde aristocratique et de s'organiser enfin une existence conforme à ses goûts.
 

Helene von Racowitza par Hans Makart
(1) Le Roi Louis II de Bavière dans la poésie française (BoD, 2020)Aussi disponible via les sites en ligne de la Fnac, d'Amazon, d'Hugendubel, etc. ou en commande libraire — ISBN : 9782322208371

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