Aujourd'hui tu seras brûlée. Ton vieux corps aux tendresses décharnées sera livré aux chaudes caresses des flammes ; ces caresses que tu as tant aimées, ce seront les dernières après, ce matin, la caresse de ma plume et celle de mon coeur et, au moment de l'adieu religieux suranné que tu as souhaité, les tendres caresses mentales de ta fidèle amie et de ces dames qui t'ont soignée.
Ce matin, dès l'aube, j'ai comme tous les matins regardé la montagne bavaroise. Le coeur et la gorge serrés de savoir que ton corps allait connaître son dernier jour avant de partir en fumée et poussières, j'ai senti ta présence dans un petit nuage à gauche de la montagne, tu planais dans le creux des collines. À onze heures, au moment des funérailles lointaines, je gravirai le sentier du milieu, qu'ignorent la plupart des randonneurs, et qui mène à un oculus ourlé de verdure où je t'offrirai ma vue préférée du lac reflétant la montagne. Je pleurerai mon adieu comme je pleure en écrivant ce texte à toi dédié.
Tu as souhaité les rites catholiques de ton enfance. Je ne crois pas, mais je réciterai les mantras des Je vous salue Marie, je prierai en une boucle sans fin, je ne crois pas, mais je bercerai ton corps dans la caresse onduleuse des ondes litaniques. Au moment même de tes funérailles lointaines, je gravirai la montagne dans les murmures égrenés de ce chapelet qui m'a accompagné depuis mon enfance et sauvé de bien des angoisses. Je regarderai les fleurs alpestres et les moutons qui paissent, et sans les toucher sinon ci et là par une caresse je te cueillerai un éphémère bouquet de fleurs virtuelles, et quand j'arriverai dans l'oeil magique du point de vue je te l'enverrai par la voie des airs et des nuages.
Le bouquet descendra doucement dans l'église belge où peut-être notre amie commune te lira ce texte qu'elle m'a prié d'écrire à ton intention :
Notre grande amie
Miclo s’en est allée à l’âge de 93 ans. Nous l’avions rencontrée à la fin des
années 70, vers 1978. Nous fréquentions les mêmes ateliers d’analyse
transactionnelle et de dynamique mentale. Une période intense, riche de découvertes
et qui nous éveillait à nous-même et apaisait nos souffrances existentielles.
Ici nous pouvions crier à pleins poumons, pleurer à chaudes larmes ou échanger
des chaudes caresses et des énergies positives ; là nous planions
au-dessus de prairies enchantées pour aller vers des temples aux étages des
couleurs de l’arc-en-ciel pour rejoindre le divin et le spirituel, et
rencontrer le sage qui tenait une bibliothèque akashique qui renfermait toute
la science et les secrets de l’Univers.
Tout cela nous
unissait. Il y avait là Marie-Claire, Sylvie, Marie-Françoise, Dédé, Paul,
Roswitha, et bientôt vinrent Wally et d’autres encore. L’amitié s’était
rapidement installée entre nous et nous avons traversé toutes ces années dans
le partage de nos joies, de nos peines et de nos secrets aussi, ce fut une
vraie amitié, inconditionnelle.
Nous faisions des
fêtes et celles de Miclo, avec les dîners de Fidela, étaient réputées. Nous
buvions des champagnes rosés et des grands crus, l’alcool ne nous semblait alors
pas vraiment dangereux. Miclo était l'amie des rires et des fous rires, une
génie de l'esprit français et de ses fulgurantes fusées, de ses traits
spirituels et tranchants. Elle aimait la vie et les bons mots autant que la bonne
cuisine. Elle avait aussi tous les charmes discrets de la grande bourgeoisie
normande, elle qui avait fréquenté les bonnes écoles et les pensionnats
anglais.
Nous nous
retrouvions pour des escapades, aux Indes ou en Égypte, à Paris, en Corse, au
Coq sur mer, dans le manoir familial près de Cabourg ou dans ses délicieux
appartements de Trouville près des Roches Noires. Nous avons tout partagé, la
passion des voyages, celle de la culture et de la musique classique, les rires
et les malheurs.L’alcool qui nous
avait fait chanter hanta cependant la vie de ses proches et ce fut son rocher
de Sisyphe, car il fut son triste compagnon de route pendant des années en
ravageant ses proches dont elle ne parvenait pas à réparer les errements. Elle
souffrit avec dignité, et nous fûmes avec elle au moment des souffrances, comme
elle nous accompagnait en partageant les nôtres.Il y eut
Bruxelles, Paris et puis la longue période trouvillaise, et enfin, à la fin de
ce parcours si riche, elle revint à Bruxelles finir ses jours dans une belle
seigneurie. Elle avait perdu la vue, ne pouvait plus sortir, mais son esprit
restait lucide et vif, son humour était intact et la musique classique peuplait
ses journées. Elle eut la chance d’être bien accompagnée par des
aides-soignantes qui devinrent ses meilleurs soutiens ces dernières années. Ses
amis disparurent les uns après les autres, il en resta quelques-uns, qu’elle
put chérir jusqu’au terme de sa vie.
Nous lui disons
aujourd’hui adieu avec notre reconnaissance pour cette longue route cheminée de
concert. Adieu bonne amie, adieu et merci de nous avoir élu dans les splendeurs
et la chaleur de ton amitié. Nous entendrons encore longtemps ton rire
cristallin et nous souviendrons des fusées de ton esprit si agile, si vif.
Un tout grand
merci à Anna-Maria et à Despina, et aux autres dont je ne connais pas les noms,
à tous ceux qui furent d’un grand réconfort pour notre bonne amie et qui lui ont
tenu la main au moment des adieux définitifs.
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