QUELQUES INSTANTS AVEC LES LUTHIERS
Le bois est une des matières premières les plus importantes dans la vie de tous les jours, mais aussi la matière la plus précieuse pour la fabrication des violons.
Les luthiers, lorsqu'ils le peuvent, recherchent la compagnie des bûcherons. Il s'agit pour eux de découvrir de beaux fûts d'érable et de pin dont ils ont besoin pour fabriquer leurs instruments. Les fûts doivent être dépourvus de rameaux et leur bois facile à fendre.
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Un maître luthier digne de ce nom reconnaît la valeur du bois aux cercles concentriques très serrés qui, en outre, indiquent l'âge de l'arbre. Seules les meilleures essences peuvent être utilisées pour lui.
Entre Karwendel et Wetterstein se niche Mittenwald, berceau de la lutherie en Allemagne.
Il y a environ 300 ans, le fils d'un tailleur, Mathias Klotz, quitta son pays natal pour aller apprendre en Italie l'art des luthiers.
La légende raconte qu'il passa ses premières années d'apprentissage avec Stradivarius et Guarnerius chez le grand maître Amati.
En 1683, après vingt années d'études, il revint avec le titre de maître et transforma la ville où il avait vu le jour en une seconde Crémone, ou presque.
Aujourd'hui encore, on trouve à Mittenwald des ateliers qui datent de cette époque et où l'on fabrique des violons dont la réputation dépasse de beaucoup les frontières de l'Allemagne.
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A l'Ecole Professionnelle d'Etat, l'on cultive et l'on enseigne l'ancienne tradition des luthiers, et l'on apprend aux élèves à fabriquer les violons entièrement à la main.
L'enseignement, basé sur les vieilles méthodes de travail artisanal, dure trois ans et demi.
On exige des élèves des mains habiles, de bons yeux, des dons musicaux et un amour sans limite de la profession de luthier. Chaque élève apporte son propre violon à l'école, car les cours techniques s'accompagnent d'une formation musicale.
Telles des tranches de gâteaux dans une pâtisserie, on prépare les morceaux de bois destinés à la fabrication après les avoir débités dans le fût de l'arbre.
Chaque planche porte le millésime de l'année.
Les planchettes s'empilent dans le dépôt de l'Ecole. Le bois sèche et repose au moins 15 ans avant d'être utilisé.
Les bois d'érable et de pin venus en grand nombre de l'étranger sont entreposés depuis plus de 30 ans.
Si l'on heurte ces planchettes l'une contre l'autre, elles résonnent comme des cloches.
Le bois d'érable sert à fabriquer le dos des violons. Le bois de pin, toujours prêt à vibrer, est utilisé pour faire la table de ces instruments.
Des élèves du monde entier font leur apprentissage de luthier dans les ateliers de l'école.
Collés dos à dos, les bois destinés à former les tables et les dos attendent d'être façonnés.
Les éclisses qui constitueront les flancs si finement cambrés du violon ne doivent pas avoir plus d'un millimètre d'épaisseur.
Six petites cales en bois de pin immobilisent la forme sur laquelle on fera le violon.
Tous les violons ne se ressemblent pas. Ils varient selon le goût de chacun et les différences dans la finesse de l'ouïe.
Les minces éclisses sont cambrées à chaud, posées puis ajustées. Une fois collées aux petites cales, on les voit déjà esquisser l'ébauche clairement reconnaissable du futur violon.
Cette ébauche est posée sur le bois de la table d'harmonie et du dos avant d'être façonnée à la scie. La table et le dos, découpés dans du bois plein, sont légèrement galbés. De leur degré de finition dépendra la beauté du son de l'instrument.
Seule une oreille exercée peut percevoir les modifications constantes de la sonorité.
Le bois se fait de plus en plus mince, les outils de plus en plus délicats. Un micromètre indique les moindres irrégularités.
Par les « ouïes » étroites découpées dans la table, l'air contenu à l'intérieur sortira en vibrant. Ensuite, on colle la « queue » du violon faite de bois de pin et qui a pour mission de répartir sur toute la table d'harmonie les longues vibrations des cordes de ré et de sol.
Une fois les éclisses et le dos bien fixés, on retire la forme et le violon reçoit la marque de l'école. Avec l'encollage de la table, le violon reçoit sa forme définitive.
Pour l'embellir, mais aussi pour le protéger contre d'éventuelles fissures, on garnit la jointure du dos et de la table d'une bande de bois de placage noir et blanc.
Dans un bloc d'érabie, on découpe le manche du violon, la crosse, la fine volute qui sert de signature au luthier.
La crosse posée, on met en place le sillet ou « touche » et, pendant près de six mois, on va exposer le violon à l'air. Sous l'effet de l'humidité, de la sécheresse ou du froid, l'instrument prendra une teinte foncée.
A l'air, le corps blanc de l'instrument brunit, les différentes parties s'ajustent et le violon acquiert peu à peu une personnalité.
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En cours d'études, on insiste particulièrement sur les disciplines générales, le dessin et l'étude du violon.
Très vite, les élèves apprennent à jouer en orchestre.
Seuls le développement de plus en plus poussé des facultés artistiques et l'éducation constante de l'oreille permettent au luthier de créer un instrument de réelle valeur.
Avec une laque qu'il prépare lui-même en partant des résines naturelles pures, il passe lui-même plusieurs couches sur les violons.
De nombreux luthiers gardent jalousement le secret de leurs mélanges et, de nos jours, nous ignorons encore avec quels ingrédients étaient laqués les anciens violons italiens.
Maintenant, il faut terminer l'instrument. On pose tour à tour les chevilles et le cordier faits en dur et noir bois d'ébène.
Enfin le violon reçoit son « âme », un petit morceau de bois de pin cylindrique.
Coincé et non point collé entre la table d'harmonie en pin tendre et le dos en érable dur, il communique les vibrations de l'une à l'autre.
La fabrication de l'archet fait également partie de la formation des élèves.
On étire les cordes sur le chevalet découpé à la main. Le violon est prêt.
Pour la première fois, l'instrument tout neuf va retentir. Mais afin de donner au violon un timbre riche et pur, on modifie un peu la position de l'âme.
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Chaque année, de nouveaux élèves s'inscrivent pour apprendre le noble métier de luthier qui cependant ne semble pas faire beaucoup d'adeptes.
Chaque année aussi on expose les meilleurs travaux des élèves et il arrive parfois qu'un violon particulièrement réussi trouve sa place dans un grand orchestre.
Source : texte publié dans le Porteur de flambeau, Paris, mars-avril 1959, via Gallica/BnF
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