Rechercher dans ce blog

lundi 15 juin 2020

Le Roi Louis II souhaita-t-il des photographies des plafonds de l'Hôtel de la Païva ?

Ancien hôtel de la Païva au 25, avenue des Champs-Élysées
  Au cours de mes fouilles en archéologie journalistique et littéraire ludwiguienne (— un adjectif/néologisme que j'utilise pour désigner tout ce qui concerne la vie et l'oeuvre du roi Louis II de Bavière —), au cours de mes fouilles donc, je suis tombé sur un délicieux potin de presse qui soulève un tout petit pan de la traîne royale : le roi Louis II aurait entendu parler de l'hôtel parisien de la fameuse Païva et aurait souhaité que l'on en fît photographier les plafonds. Que faut-il en croire ? 
  Je vous propose de lire l'article que le chroniqueur (ou le potinier) Louis Marsolleau fit paraître dans le quotidien Le XIXe Siècle du 4 février 1899, puis, si comme moi vous en avez été intrigué, de me suivre dans ma discussion du potin.

Extrait du journal le XIXe Siècle du 4 février 1899

EN PASSANT

   Revisons, mes frères ! car le propre de l'homme est d'errer, et il n'y a point de chose jugée à l'abri d'un démenti futur. Un exemple, entre mille.
   Si jamais femme, au monde fit causer sur elle, c'est bien la fameuse Païva, la propriétaire du non moins fameux hôtel de l'avenue des Champs-Elysées devenu aujourd'hui restaurant de nuit, la Païva des belles nuits du second empire, morte grande dame prussienne. comme il convient. On en racontait long... N'avait-on pas vu, un jour, le prince Clovis de Hohenlohe, ambassadeur d'Allemagne lui faire une visite officielle et même déjeuner à sa table ?
    C'était clair ! comme dit l'autre. Un diplomate ne fréquente pas chez une hétaïre à ce point perdue de réputation, s'il n'a pas à traiter avec elle de louches questions politiques ! — Or, la cause de ce rapprochement sensationnel était tout autre, on vient de l'apprendre ces jours-ci. Le roi Louis II de Bavière était, on le sait, un maniaque capricieux, une sorte de bébé souverain qui, aussitôt qu'il avait envie de quelque chose, voulait tout trépignant, cette chose, tout de suite.
   Or il avait pris à ce fou couronné, la fantaisie de posséder des photographies des plafonds célèbres du palais de la Païva. La Païva refusa net. C'est alors — car il ne fallait pas contrarier Louis II, — que les Bavarois supplièrent le prince de Hohenlohe d'intervenir. Le prince, avec ostentation, se rendit chez la Païva, accepta son déjeuner, et entre la poire et le fromage, obtint, de la courtisane flattée, l'autorisation de photographier les plafonds.
   Ainsi, en toute cette affaire qui si longtemps sembla ténébreuse, il n'y eut que l'exigence d'un dément et la vanité d'une fille. La preuve en est dans un récit documenté que vient de publier la veuve d'un ancien secrétaire de Louis II de Bavière, Mme Louise de Kobell.

                                                                                                     LOUIS MARSOLLEAU

Éléments d'analyse

La Païva

La Païva vers 1860
   Esther Lachmann, née Esther Pauline Blanche Lachmann et généralement connue sous le nom « la Païva », naquit à Moscou le 7 mai 1819. On la maria en 1936 à François Villoing, un modeste tailleur français dont elle eut un fils l'année suivante, mais cette vie l'ennuyait et elle s'enfuit avec un inconnu peu après la naissance de son enfant. Ses pérégrinations la conduisirent à Paris, où elle se prostitua, rencontra un pianiste célèbre, Henri Herz, qui tomba amoureux d'elle et lui fit connaître Liszt et Wagner, Théophile Gautier et Girardin. Après Herz elle eut de riches amants et après un passage par Londres elle revint à Paris où son mari revint la relancer, pour mourir en 1849. En 1851 elle se remaria avec un Portugais, Albino Francisco de Araújo de Païva, qui lui offre un hôtel au 28, place Saint-Georges. Le couple se sépara en 1852 et le mari s'en retourna au Portugal, mais Esther Lachmann garda son nom et se fit appeler Marquise de Païva, parce que cela sonnait bien, sans se préoccuper de ce que, en fait, son mari n'avait aucun titre de noblesse.
   En 1852, elle devint la maîtresse d'un richissime prussien, un cousin du chancelier allemand Otto von Bismarck, le comte Guido de Donnersmarck, originaire de Silésie. Entre 1856 et 1865, il lui fit construire le somptueux hôtel de la Païva et lui offrit encore en 1857 le château de PontchartainSon mariage avec le marquis de Païva est annulé en août 1871. En octobre 1871 elle épousa son amant prussien dans une église luthérienne de Paris. Donnersmarck fut ensuite nommé gouverneur de la Lorraine annexée.  Soupçonnée d'espionnage par le gouvernement français, elle fut contrainte de quitter la France en 1877. Elle se retira en Silésie avec son époux, dans le château de Neudeck, où elle mourut en 1884, à l'âge de soixante-cinq ans.

L'Hôtel de la Païva

   Construit entre 1856 et 1865 ou 66, il aurait coûté la bagatelle de dix millions de francs-or. Il fut dessiné par l'architecte Pierre Manguin dans le style alors à la mode  de la Renaissance italienne, et présentait le raffinement d'un jardin suspendu. On peut y admirer un grand escalier en onyx jaune d'Algérie, une salle de bains de style mauresque, de somptueuses cheminées par Barbedienne, des sculptures de Jules Dalou ou d'Albert-Ernest Carrier-Belleuse et des peintures de Paul Baudry pour le plafond du grand salon, où l'artiste a représenté le jour poursuivant la nuit.
  Les Frères Goncourt avaient pu visiter cet hôtel  et n'avaient pu manquer d'en faire en leur journal (entrée du 24 mai 1867) un commentaire assassin. Ils en avaient écrit que c'était « le Louvre du cul ». Et d'autres langues vipérines avaient collé un sobriquet médisant sur l'hôtel le surnommant Qui paye y va.

   Reste la question de savoir si le roi Louis II est passé devant l'hôtel de la Païva lors de ses séjours parisiens de 1867 ou de 1873. Et qui donc l'a informé de ses merveilleux plafonds ? On n'avait pas dû manquer d'évoquer au roi bâtisseur cette prestigieuse demeure caractéristique de l'architecture du Second Empire. Richard Wagner a-t-il mentionné l'hôtel dans ses conversations avec le souverain bavarois ?

Le Jour poursuivant la Nuit par Baudry
  En examinant les photos de cet extraordinaire hôtel de maître, je ne puis m'empêcher d'évoquer ici Linderhof et là le pavillon de Schachen. Les plafonds sont partout étonnants : ici un plafond en staff, à caissons et compartiments peints ton sur ton, avec la plupart des moulures dorées, là un  plafond, plat et décoré de petits panneaux en damier, reliés entre eux par des rosaces sculptées et dorées. Dans une pièce, Thirion a peint au plafond, entre quatre médaillons entourant des griffons le Génie traversant l'air. Dans une autre, le plafond, circulaire, en dôme, a pour ornements quatre Médaillons où sont peintes des figures de femme et des guirlandes vertes, et, sous une couronne dorée qui l'entoure, aux quatre angles, quatre Amours volettent, élevant dans leurs mains des banderoles agrémentées de devises anacréontiques. Ailleurs encore un plafond mauresque,entouré d'une corniche composée de petites glaces triangulaires, savamment distribuées et d'un aspect éblouissant...

Grand vestibule avec escalier d'onyx

Louis II et les photographies de monuments parisiens

   La passion du roi de Bavière pour la photographie est bien connue, de même que ses commandes de photographies de monuments français, celles notamment du château de Versailles. J'ai déjà mentionné dans un post qu'il avait fait demander aux Goncourt de lui procurer des photographies d’œuvres de leur collection.
 Le journaliste dit tenir son information d'un écrit de la marquise de Louise de Kobell. Clovis de Hohenlohe est bien ambassadeur d'Allemagne à Paris à partir de 1874. Tout cela tient bien la route et j'en conclus que ce récit de la requête de Louis II  et de la démarche d'Hohenlohe n'a rien d'impossible et est plausible.
   Un spécialiste de Louise von Kobell pourrait peut-être nous éclairer davantage. Toute communication est la très bienvenue. 

Le goût mauresque
Source : les photographies de l'hôtel proviennent d'une monographie d'Arsène Houssaye (1814-1896) intitulée L'hôtel Païva : ses merveilles ; Précédé de l'Ancien hôtel de la marquise de Païva, s.d.


Visites de l'hôtel : il est occupé depuis le début du 20e siècle par le Travellers Club. Des visites guidées de l’hôtel particulier de la Païva sont régulièrement organisées par l’association Paris historique, en partenariat avec le Travellers Club, pour découvrir ce lieu privilégié du Second Empire classé monument historique. Se renseigner auprès de cette association.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire