Therese et Heinrich Vogl en Sieglinde et Siegfried (répétition générale de 1870) |
Aujourd'hui, il y a 150 ans jour pour jour, la Walkyrie était créée au Théâtre national et de la Cour de Munich par ordre du roi Louis II de Bavière et contre la volonté de Richard Wagner. Pour célébrer dignement cet anniversaire, Munichandco vous offre les articles que le Guide musical et le Ménestrel, célèbres hebdomadaires musicaux de l'époque, consacrèrent de janvier à novembre 1870 à la création de cet opéra, le Ménestrel reproduisant ici et là le Guide musical. Nous terminons notre dossier avec l'article de l'anti-wagnérien Petermann dans la Revue britannique, qui s'applique à dénigrer le chef-d'oeuvre de Richard Wagner de sa plume trempée dans l'acide.
Le Guide musical
20 janvier 1870
MUNICH. — Les rôles de la Walkyrie de Wagner sont déjà distribués.
Mais les répétitions ne commenceront qu'après le retour de Mlle Stehle, qui
chantera le rôle de Brunhilde et qui donne en ce moment des représentations à
l'étranger.
3 mars 1870
MUNICH. — Les répétitions de la Walkyrie,
de R. Wagner, ont commencé le 20 février ; la première représentation aura
lieu vers la fin du mois de mars. On travaille jour et nuit aux machines et aux
décorations.
M. Wullner, maître de chapelle de la cour, paraît décidé à renoncer à la
direction de l'orchestre de l'Opéra et il fera bien.
Richard Wagner aura terminé cette année la troisième partie des Nibelungen.
Il s'occupera ensuite delà composition de son Bouddha et de son Perceral,
dont les textes sont déjà achevés. Wagner compte avoir écrit, d'ici à quatre
ans ces nouvelles partitions qui serviront de couronnement à son œuvre. Il
s'occupera alors, plus directement qu'il ne l'a fait jusqu'à présent, de la
représentation de ses ouvrages conformément à ses intentions
7 avril 1870
MUNICH. — La première partie des Nibelungen de Richard Wagner sera
décidément représentée dans le courant du mois de mai. Le roi a donné l'ordre
de hâter les préparatifs, de telle sorte que la Walkyrie, aussi bien que
l'Or du Rhin, puissent être joués avant son départ pour la campagne. La
reprise de l'Or du Rhin donnera lieu à une mise en scène entièrement
nouvelle ; les machines et les décors, aussi bien que ceux de la Walkyrie,
seront exécutés d'après les indications du machiniste Brandt, de Darmstadt. Ces
travaux sont déjà terminés et mis à la disposition de l'intendance. Sous le
rapport musical, les choses sont loin d'être aussi avancées ; pour la Walkyrie,
à part les études particulières de quelques chanteurs et chanteuses, comme Vogl
(Siegfried) et Mme Vogl (Sieglinde), Mlle Stehle (Brunhilde), Bausewein
(Hunding), rien n'a encore été fait jusqu'à présent, parce que la mal heureuse
question du chef d'orchestre n'est pas encore résolue. Dans les circonstances
actuelles, on ne peut songer ni à Bulow ni à Richter, et quant aux maîtres de
chapelle présents, MM. Wullner, Meyer, Zenger, personne, en haut lieu ni
ailleurs, ne veut en entendre parler. Aussi, l'intendance se trouve-t-elle dans
un grand embarras, d'autant plus que sa tentative pour décider Wagner à désigner
pour la Walkyrie un chef d'orchestre à son gré, semble avoir échoué
contre le refus obstiné du compositeur de se mêler des affaires du théâtre de
Munich.
2 et 9 juin 1870
RICHARD WAGNER & L'OPERA DE MUNICH.
M. le maître de chapelle Esser ayant demandé à Richard Wagner s'il y avait
quelque espoir de voir représenter la Walkyrie sur le Théâtre royal de
Munich, dans un temps plus ou moins éloigné, et notamment si l'illustre
compositeur prêterait son concours à l'étude de son œuvre, il a reçu la réponse
suivante et l'a livrée à la publicité, selon le désir exprimé par l'auteur :
Mon estimable ami,
La question que vous m'adressez au sujet du caractère de la représentation
projetée de ma Walkyrie à Munich, m'est parvenue, dans ces derniers
temps, des côtés les plus différents. Je désire y répondre une fois pour
toutes, et c'est pourquoi il me serait très-agréable de vous voir donner à ma
réponse la publicité que vous jugerez convenable.
Je suis redevable à la magnanimité de mon auguste protecteur, le roi Louis
II de Bavière, non-seulement de ce que mes créations et mes travaux artistiques
ne soient pas entièrement disparus, comme cela était facile à prévoir, de ce
qu'il soit encore question des ouvrages qui ont suivi le Lohengrin, mais
surtout de ce que je puis, après onze années d'interruption, reprendre la
composition de mon Anneau des Nibelungen, et, comme j'en suis sûr à
présent, le ter miner réellement.
Ce qui rend cet immense bienfait plus fécond encore, c'est la persuasion
que m'a donnée mon généreux protecteur, qu'après complet achèvement, mon œuvre
serait aussi représentée entièrement selon mes intentions. Je ne doute
aucunement qu'on ne me mette un jour à même de faire représenter l'Anneau des
Nibelungen de la manière que j'ai exactement indiquée comme indispensable
dans la préface dont j'ai accompagné la publication du poème. J'espère arriver
dans le courant de l'année prochaine à la fin de ce travail fatigant de la
composition musicale de la dernière partie aussi ; et rien alors ne s'opposera
plus, pour ce qui me concerne, à la représentation de l'ensemble en 1872.
Comme j'avais à obtenir surtout, pour l'exécution de mon ouvrage, le temps
et les délais nécessaires, je crus me rendre digne de cette faveur en m'attachant
à réaliser, dans la mesure du possible, le désir témoigné par mon auguste
protecteur, de connaître dès à présent quelques parties de mon œuvre. Il y a
environ deux ans, comme il y avait apparence que je pourrais acquérir une influence
suffisante sur les agissements artistiques du théâtre royal de Munich, il
m'était permis aussi d'espérer qu'en accomplissant le vœu si honorable pour moi
de mon généreux protecteur, loin d'être infidèle à mes principes artistiques,
je les favoriserais bien plutôt, en préparant peu à peu le terrain propre à la
réalisation de mes tendances.
Ainsi que vous l'avez déjà appris d'autre part, je dus bien vite renoncer à
l'espoir de me maintenir dans un accord salutaire avec l'administration du
théâtre royal. Il ne me restait donc d'autre parti à prendre que de laisser le
théâtre royal de Munich, tel qu'il est, suivre sa voie sans m'en occuper
davantage, mais d'un autre côté, puisque ce désir persistait eu haut lieu, de
ne mettre aucun empêchement à la représentation souhaitée des parties détachées
de mon ouvrage.
Par suite du bienveillant accomplissement de ma prière à ce sujet, je suis
aussi dispensé de toute obligation de prêter ma coopération à ces représentations
partielles, et certes, je me sens ainsi déchargé d'une exigence très-pénible.
La représentation prochaine de la Walkyrie sera-t-elle rendue possible ?
Cela m'est aussi inconnu qu'il me serait difficile de deviner si elle pourrait
réussir, dans le cas où elle serait possible. Quoi qu'il en soit, le désir qui
provoque ces représentations est respectable pour moi ; c'est en même temps un
heureux signe de la persistance vivace de la généreuse sympathie à laquelle
non-seulement j'ai à rendre grâce de pouvoir achever mon œuvre, mais à laquelle
je devrai certainement d'en voir une noble représentation.
Alors seulement, je prendrai encore part à une représentation publique.
Mais jamais plus je n'écrirai un ouvrage pour nos théâtres d'opéra, ni ne leur
en livrerai un seul ; avec les Maîtres Chanteurs, je suis entré en
contact pour la dernière fois avec ces théâtres.
En voilà assez là-dessus ! Maintenant, recevez encore mes félicitations
d'être arrivé aussi dans un asile qui vous préserve de tout rapport ultérieur
avec le système et le théâtre d'opéra allemand.
Salutations cordiales de votre dévoué,
Richard Wagner.
Triebschen, près de Lucerne, 16 mai 1870.
26 mai 1870
MUNICH. — Après de longues recherches, l'Opéra a enfin découvert un chef
d'orchestre pour diriger la Walkyrie de Wagner. C'est M. Marpurg,
actuellement maître de chapelle en second à Darmstadt.
2 et 9 juin 1870
CARLSRUHE. — Notre maître de chapelle M. Lévi avait été choisi par M.
l'intendant de Perfall pour diriger à Munich la Walkyrie de Wagner. Après
de longues négociations, M. Lévi se déclara prêt à se mettre à la tête de
l'orchestre, si le compositeur lui-même en tombait d'accord. Mais l'attitude
réservée que garde Wagner au sujet de l'Opéra de Munich rendait une entente à
peu près impossible. Des scrupules purement artistiques ont décidé M. Lévi à
renoncer, par égard pour les désirs du compositeur, à cette occasion séduisante
de faire valoir sur une des principales scènes de l'Allemagne son remarquable
talent de chef d'orchestre.
MUNICH. — Par suite du refus de M. Lévi, c'est M. le maître de chapelle
Wullner qui prendra le bâton de com mandement à la première représentation de
la Walkyrie. Cette solennité est ajournée jusqu'après les vacances d'été ; elle
aura lieu dans la deuxième quinzaine de ce mois.
16 et 23 juin 1870
MUNICH. — La première représentation de la Walkyrie de Richard Wagner est
fixée au dimanche 26 juin.
30 juin et 7 juillet
MUNICH. — La première représentation de la Walkyrie de Richard
Wagner a eu lieu, comme on l'avait annoncé, le dimanche 26 juin. Elle n'a pas
duré moins de cinq heures, en y comprenant les entr'actes, d'une longueur
démesurée, à la vérité. Sans pouvoir être comparée sous aucun rapport à celle
des Maîtres chanteurs, l'exécution a été aussi satisfaisante qu'il soit
possible de se l'imaginer sans une entente préalable entre le compositeur d'une
part, le chef d'orchestre et les chanteurs de l'autre. Des progrès très-sensibles
ont été réalisés depuis la représentation de l'Or du Rhin; les
exécutants et le public à leur suite, comprenant déjà mieux le nouveau style
propre à la trilogie des Nibelungen et que l'on pourrait appeler 1a
troisième manière de Wagner ; car elle diffère, non-seulement de celle du Tannhaeuser
et de Lohengrin, mais de celle de Tristan et Isolde et des Maîtres
chanteurs.
Les impressions du public à la première audition peuvent se résumer ainsi :
au premier acte, enthousiasme croissant depuis le commencement jusqu'à la fin.
A la chute du rideau, on rappelle M. et Mme Vogl (Sieglinde et Siegmund), le
maître de chapelle M. Wullner, le machiniste Brandt, le peintre-décorateur
Jank.
Au deuxième acte, qui renferme quelques longueurs, Mlle Stehle (la Walkyrie
Brunhilde) s'élève à une grande hauteur tragique, surtout dans sa scène avec
Siegmund ; elle obtient à son tour les honneurs du rappel. Le troisième acte
est applaudi avec transport d'un bout à l'autre ; tous les artistes sont
rappelés, y compris les huit Walkyries qui se sont réellement distingués dans
leur scène colossale.
A la deuxième représentation, la salle était comble ; les résultats ont été
à peu près les mêmes, sauf une intensité plus grande encore dans les
applaudissements après le magnifique duo du premier acte.
Le roi n'assistait ni à la première ni à la deuxième représentation, mais
il assistera à la troisième qui est annoncée pour le 10 juin et qui sera
précédée, à trois jours d'intervalle, du prologue l’Or du Rhin. Comme les
deux ouvrages sont étroitement liés l'un à l'autre, tant sous le rapport
dramatique que sous le rapport musical et même thématique, il a été décidé
qu'ils alterneraient sur l'affiche. Le répertoire pour le mois de juillet est
dès à présent fixé comme suit : l'Or du Rhin le 7, le 14 et le 21,
la Walkyrie le 10, le 17 et le 23.
14 et 21 juillet
MUNICH. (Correspondance particulière). — Je crois utile d'ajouter quelques
particularités aux renseignements un peu optimistes que vous avez publiés sur
la représentation de la Walkyrie.
Je ne fais aucune difficulté de convenir que l'exécution était aussi bonne
qu'elle pouvait l'être en dehors de l'influence personnelle de l'auteur ; le
chef d'orchestre, les chanteurs et les instrumentistes ont fait de leur mieux,
mais je me hâte d'ajouter que ce mieux est encore à mille lieues du bien. A
chaque instant, la diction mesurée du compositeur est remplacée par de
languissants points d'orgue ou des queues de dragon à l'italienne. Quant aux
mouvements, je me bornerai à signaler la chanson du printemps, prise au moins
le double trop vite, comme s'il s'agissait de la Belle Hélène. Le même
reproche peut s'adresser, quoique dans une proportion moindre, à l'ouverture.
En général, on peut dire que M. Wullner ne s'écarte pas d'un iota de cette
manière traditionnelle de battre la mesure, contre laquelle Wagner s'est élevé
dans sa brochure sur l'art de diriger l'orchestre. Les violons manquent
d'ampleur et de noblesse, surtout dans le portamento ; un grand nombre de
passages remarquables sont par-là complètement perdus pour le public.
L'orchestre se compose de 106 exécutants (16 premiers violons, 16 seconds, 12
altos, 10 violoncelles, 8 contrebasses, 2 harpes, 8 cors, 4 trompettes, 4
trombones, 1 tuba, etc.) Quant à la mise en scène, à part le feu d'artifice de
la fin, elle est réellement par trop enfantine. L'attelage de béliers de
Fricka, chef-d'œuvre de mécanique primitive, a produit un effet comique.
En somme, l'apprentissage ne fait que commencer pour les Nibelungen.
Il est à prévoir que nous aurons encore à subir des centaines d'exhibitions
médiocres sur tous les théâtres de l'Allemagne, avant qu'on puisse songer
sérieusement à organiser pour la trilogie qui sert de couronnement à l'œuvre de
Wagner, des représentations modèles comme celles qui viennent d'avoir lieu à
Weimar, avec des artistes et devant un public déjà initié au style de Tannhaeuser
et de Lohengrin qui, eux aussi, avaient eu d'abord à faire leurs
années de purgatoire. E. K.
28 juillet et 4 août
MUNICH. — La mise en scène de la Walkyrie a coûté environ 100,000
florins. Kindermann et Mlle Stehle ont reçu chacun 500 florins par représentation
et 50 florins par répétition ; les autres artistes qui tenaient les principaux
rôles ont touché 200 florins par représentation en sus de leurs appointements.
WEIMAR. — A la suite des brillantes représentations d'opéras de Wagner,
Liszt a quitté Weimar pour se rendre à Liebenstein, auprès du duc de Meiningen,
puis à Munich, où il a assisté à la représentation de la Walkyrie. Il
est parti ensuite pour Oberammergau, dans l'intention d'y voir jouer le célèbre
mystère de la Passion. Il compte passer quelques mois en Hongrie, chez son ami
le baron d'Augusz. Il est douteux qu'il retourne à Rome ; car il a reçu du
grand-duc de Weimar une invitation très-pressante de séjourner ici l'automne et
l'hiver prochain.
8 septembre 1870
MAYENCE. — La maison Schott de Mayence vient de publier la partition pour
piano à deux mains de l'Or du Rhin et de la Walkyrie de Wagner.
La deuxième partie des Nibelungen (Siegfried) paraîtra avant la fin de
l'année en partition complète pour piano avec texte.
24 novembre 1870
MUNICH. — Mlle Schefzki, engagée à l'Opéra par ordre exprès du roi, après
avoir joui d'un traitement d'attente sur la caissette et avoir reçu un certain
nombre d'éventails, de bouquets et de parures comme marques de haute faveur, a enfin débuté, dans le rôle de Frika de la Walkyrie de Wagner. Elle a
fait preuve d'un remarquable talent de tragédienne ; mais il serait difficile
de déterminer dès à présent quel emploi elle pourra tenir comme chanteuse ; sa
voix, qui n'a ni les registres élevés du soprano ni les cordes graves du
contralto, possède trop peu d'étendue pour qu'il lui soit possible d'aborder
avec avantage les rôles de mezzo-soprano. Pendant la représentation, S. M. a
fait parvenir à Mlle Schefzky un magnifique bouquet. Mlle Stehle, qui chantait
le rôle de Brunehilde, a reçu le lendemain une lettre autographe, dans laquelle
le roi lui exprimait sa satisfaction en termes des plus flatteurs.
Le Ménestrel
Le Ménestrel, 30 janvier 1870
A Munich, on s'occupe
déjà du nouvel ouvrage de Richard Wagner, la Walkyrie. Tous les rôles
sont distribués. Mais les répétitions ne commenceront qu'après le retour de Mlle
Sthele [sic, pour Stehle], qui chantera le rôle de Brunehilde, et qui donne en
ce moment des représentations à l'étranger. Sans doute les fidèles de Wagner,
qui siègent à Paris, organiseront un petit pèlerinage, bien que cela ne leur
ait pas trop réussi pour les Maîtres Chanteurs.
Le Ménestrel, 10 avril 1870
MUNICH. — La première
partie des Nibelungen de Richard Wagner sera décidément représentée dans
le courant du mois de mai. Le roi a donné l'ordre de hâter les préparatifs, de
telle sorte que la Walkyrie, aussi bien que l'Or du Rhin puissent
être joués avant son départ pour la campagne. La reprise de l'Or du Rhin
donnera lieu à une mise en scène entièrement nouvelle ; les machines et les
décors, aussi bien que ceux de la Walkyrie, seront exécutés d'après les
indications du machiniste Brandt, de Darmstadt. Ces travaux sont déjà terminés
et mis à la disposition de l'intendance. Sous le rapport musical, les choses
sont loin d'être aussi avancées ; pour la Walkyrie, à part les études
particulières de quelques chanteurs et chanteuses, comme Vogl (Siegfried) et Mme
Vogl (Sieglinde), Mlle Stehle (Brunhilde), Bausewein (Hunding), rien n'a encore
été fait jusqu'à présent, parce que la malheureuse question du chef d'orchestre
n'est pas encore résolue. Dans les circonstances actuelles, on ne peut songer
ni à Bulow ni à Richter, et quant aux maîtres de chapelle présents, MM.
Wullner, Meyer, Zenger, personne, en haut lieu ni ailleurs, ne veut en entendre
parler. Aussi, l'intendance se trouve-t-elle dans un grand embarras, d'autant
plus que sa tentative pour décider Wagner à désigner pour la Walkyrie un
chef d'orchestre à son gré, semble avoir échoué contre le refus obstiné du
compositeur de se mêler des affaires du théâtre de Munich. (Guide musical.)
Le Ménestrel, 29 mai 1870
A Munich, on a enfin
trouvé un maître de chapelle pour diriger les études du nouvel opéra de Wagner,
Valkyrie [sic]. C'est M. Marpury, de Darmstadt.
Le Ménestrel du 12 juin 1870 (via le Guide musical).
— Carlsruhe. — Notre
maître de chapelle M. Lévi avait été choisi par M. l'intendant de Perfall pour
diriger à Munich la Walkyrie de Wagner. Après de longues négociations, M. Lévi
se déclara prêt à se mettre à ta tête de l'orchestre, si le compositeur lui-même
en tombait d'accord. Mais l'attitude réservée que garde Wagner au sujet de
l'opéra de Munich rendait une entente à peu près impossible. Des scrupules
purement artistiques ont décidé M. Lévi à renoncer, par égard pour les désirs
du compositeur, à cette occasion séduisante de faire valoir sur une des
principales scènes de l'Allemagne son remarquable talent de chef d'orchestre.
Le Ménestrel, 3 juillet 1870
C'est bien dimanche
dernier, comme nous l'avions annoncé, qu'on a donné à Munich la première
représentation de la Walkyrie, le nouvel opéra de Richard Wagner. Tout
Munich était sens dessus dessous : une quantité d'étrangers, beaucoup de
Français notamment, s'étaient donnés rendez-vous en cette ville. Il y a eu
succès après le 1er et le 3e actes, sifflets et applaudissements mélangés après
le 2e acte. On cite surtout un grand duo d'amour, une pure merveille,
paraît-il. Les correspondances s'accordent à trouver dans cet opéra un style
tout nouveau, qu'on n'a encore remarqué dans aucune des œuvres du même auteur.
Il est notoire, d'ailleurs, que Wagner change de manière à chaque nouvel
ouvrage. Aurait-il enfin trouvé la bonne ? — La mise en scène splendide est due
au célèbre machiniste Brandt. Le maître de chapelle de la cour, M. Wullner, a
dirigé l'orchestre avec grande intelligence. On a beaucoup remarqué l'absence
du roi de Bavière ; en revanche l'empereur de Russie devait assister à la
représentation. Voici comme était distribué l'ouvrage : Mlle Stehle (la
Walkyrie Brunnhilde), M. Kindermann (Wotan), Mme Vogel (Sieglinde) et M. Vogel
(Siegmund) ; les rôles secondaires de Hunding — l'époux de Sieglinde — et de
Fricka — l'épouse de Wotan — remplis par M. Bausewein et par Mlle Kaufmann.
Le Ménestrel, 10 juillet 1870
MUNICH.
— Aux seconde
et troisième représentations, le succès de Walkyrie s'est consolidé, nous dit
M. Gustave Lafargue du Figaro : « Le prix des places a été augmenté ; un
fauteuil de balcon se paye, lorsque Walkyrie est sur l’affiche, neuf
francs au lieu de sept ; un fauteuil d'orchestre, sept francs au lieu de cinq.
Les deux premières représentations ont produit 20,000 fr., résultat inouï pour
Munich. La direction de l'Opéra royal a, d'ailleurs, bien fait les choses :
elle a dépensé, nous assure-t-on, 100,000 fr. pour monter la nouvelle œuvre de
Wagner. Les meilleurs amis de Wagner, MM. Liszt, Esser, Tausig, Richter, ceux
de Londres, de Paris et de Saint-Pétersbourg, ne se sont pas montrés à la
première de Walkyrie ; par contre, les maîtres des chapelles
royales et impériales de toute l'Allemagne semblaient s'y être donné
rendez-vous ; parmi eux on remarquait M. de Hülsen, surintendant des théâtres
royaux de Prusse; M. Radecke, maître de la chapelle royale de Berlin ; MM.
Herbeck et Lewy, maîtres de la chapelle impériale et royale de Vienne ; M.
Reiss, de Cassel ; M. Lévy, de Carlsruhe ; M. Stoneway, de New-York, etc. Et
pendant ce temps le deus ex machina se cache à Lucerne.
— Le roi de Bavière
veut cumuler, son ambition n'a plus de bornes. Ce porte-couronne, comme dirait
Victor Hugo, vient de se constituer directeur de théâtre et en même temps
éditeur de musique. Il vient d'acquérir l'Action théâtre et aussi trois
partitions de Richard Wagner : Rheingold, Walkyrie et un autre
ouvrage encore à naître, se réservant d'en traiter à sa guise avec les
directions étrangères. Il assure en compensation à Wagner une rente annuelle de
16,000 fr., ce qui permettra au bruyant maître allemand de faire le jeune homme
à Lucerne.
Le Ménestrel, 31 juillet 1870
— Franz Listz a quitté
Weimar. Il est allé à Pesth en passant par Munich, où il a entendu le Rheingold
et les Walkyries de son ami Wagner.
— Malgré la guerre,
on continue de parler en Allemagne d'un petit congrès pacifique des auteurs et
compositeurs dramatiques, qui se tiendrait à Nuremberg, le 20 septembre, à l’effet
de constituer en Allemagne une association semblable à celle des compositeurs
et auteurs dramatiques français. Tous les compositeurs de l'école nouvelle
auraient envoyé leur adhésion, sauf Richard Wagner.
— La Presse musicale nous apprend que Camille Saint-Saens l'a échappé belle.
Revenant de rendre visite à Richard Wagner, à Munich, il se trouvait dans le
train qui a déraillé sur le chemin de fer de Lyon. L'éminent artiste,
heureusement, en a été quitte pour quelques contusions sans gravité et pour la
légitime émotion que lui a causé le navrant spectacle dont, après l'accident, il
a été témoin.
La Revue britannique
La Revue britannique, juillet 1870
L'événement artistique du jour est la représentation des Walkyries à
Munich, le deuxième ouvrage de la trilogie musicale des Niebelungen. Le
ban et l'arrière-ban des wagnériens s'étaient, comme d'habitude, donné rendez-vous
dans la capitale de la Bavière, et quelques-uns venaient de fort loin ; car le
wagnérianisme est une religion qui a ses bonzes, ses derviches et ses fidèles,
et Munich est la Mecque de l'art de l'avenir. Chaque représentation nouvelle
est un mystère ; on n'y chante pas, on y officie, et avant même que la toile
soit levée, les croyants ont déjà le front dans la poussière et l'esprit ravi
en extase. La musique de Wagner ne se discute pas, on y croit ou l'on n'y croit
pas : c'est comme le spiritisme et les tables tournantes ; il suffit
quelquefois d'un incrédule pour tout faire manquer, et pour que quelques
néophytes s'imaginent, à certain sourire moqueur, qu'ils sont dupes d'une
mystification. Aussi est-ce avec le plus grand soin qu'est trié le public des
premières représentations. Il faut dire le mot de passe ou l'on n'est point
admis dans cette « vente » parmi les farouches carbonari de l'art nouveau. Quel
enthousiasme, quel ravissement, quel délire dans cette salle pleine des fidèles
de la religion wagnérienne ! Plus la musique est lourde, fatigante à suivre,
insensée, décousue et haletante, plus les bonzes redoublent d'exclamations
admiratives. Chacun voulant passer pour plus fort que son voisin, c'est surtout
aux passages absolument incompréhensibles qu'on se pâme et qu'on est saisi d’une
admiration épileptique. Après les séances du spiritisme, rien ne peut donner
une plus pitoyable idée de l'infirmité humaine que la représentation d'un opéra
de Wagner
Il faut voir avec quel air de mépris ou de pitié les illuminés traitent les
mécréants, ceux qui ne sentent pas les beautés de la musique du Manitou. De
telles manifestations de l'art, disent-ils, sont au-dessus des épaisses
intelligences du vulgaire ; M. Wagner ne s’étonne pas de ce qu'il est incompris
de ses contemporains ; c’est forcé ; du haut des sommets où il trône dans sa
gloire, il attend sans impatience le verdict de l'avenir. Son royaume n'est pas
de ce monde.
Dans le Rheingold, qui fut donné l'an passé, est compris en germe
tout le sujet de la trilogie. L'anneau magique dérobé par Wotan, et dont la
possession donne la puissance suprême, cet anneau devient le motif des autres
drames. Tous ceux entre les mains desquels il tombe sont voués à la
malédiction. Wotan, que nous voyons le posséder encore, au commencement du
drame des Walkyries, a bien la suprême puissance, mais il est forcé de haïr
tout ce qu'il a aimé et de tromper tous ceux qui mettent sa confiance en lui.
Ainsi il doit sacrifier Sigmond, qu'il aime, dans son combat avec Hunding, et
chasser du Walhalla la walkyrie Brunebilde, sa propre fille, parce qu'elle a
protégé ce même Sigmond.
Mais j'en resterai là de mes explications, qui pourraient bien être plus
nébuleuses que le texte.
On comprend de quel pauvre intérêt doit être forcément un drame qui met
continuellement en scène des abstractions mythologiques, et d'une mythologie
très-imparfaitement connue des spectateurs.
Encore cette fois le poëme est écrit en vers allitérés. C'est un tour de
force dont peu de philologues seraient capables, et qui montre bien les
aptitudes diverses dont est doué Wagner. Son intelligence, capable d'une telle
patience et de tels efforts, est bien plutôt celle d'un savant que d'un
artiste. Cette recherche d'archaïsme dans la forme littéraire, et qui a dû
coûter tant de peine à l'auteur, est complétement inutile du reste au point de
vue musical. Toutes ces préciosités du style disparaissent totalement dans le
chant. Quant à la conception du drame, aux idées poétiques, elles font aussi
complètement défaut à M. Wagner que les idées musicales. Je vois bien chez lui
un curieux, un savant, un versificateur patient, capable de faire des
acrostiches et des poëmes allitérés, ce qui est tout un, mais un poëte, je ne
le vois pas. L'auteur des Walkyries, encore une fois, n'est pas artistiquement
organisé ; il eût pu faire un mathématicien, un archéologue, un botaniste,
aussi bien qu'un musicien ; le souffle, l'inspiration lui manquent ; il a des
ragoûts d'harmonie, des curiosités d'orchestration qui rappellent, comme
recherche, l'allitération de ses vers, mais une inspiration quelconque, il n'en
a jamais eu. Cependant un philologue a pris la plume pour écrire une brochure,
dans laquelle il prouve que si l'on veut se donner la peine de lire
attentivement les drames de Wagner, on y trouvera des beautés poétiques de
premier ordre.
Malgré le public d'initiés qui remplissait la salle, le succès des Walkyries
n'a pas été ce qu'on attendait. Après le premier acte, les applaudissements,
nombreux d'abord, sont toujours allés décroissant ; à la fin du troisième et du
dernier acte, les pauvres initiés, soumis à cette haute pression de la musique
wagnérienne, compliquée de la chaleur, n'avaient plus seulement la force
d'élever les mains pour applaudir.
Ce qu'il y a de mieux réussi dans le nouvel opéra, ce sont les décors ; la
mise en scène est réellement splendide. La réputation de Brandt, notre célèbre
machiniste, s'en augmentera encore.
L'orchestre, composé de cent musiciens, sous la direction de M. Wullner,
maître de chapelle de la cour, s'est acquitté avec une grande intelligence de
la tâche toujours si ardue d'exécuter la musique de Wagner. Le nombre des
instruments à vent avait été doublé.
Petermann
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