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lundi 18 mai 2020

Richard Wagner et le champagne. Anecdotes (4) Les relations de Wagner et de Paul Chandon

Paul Chandon
Les relations du magnat du champagne Paul Chandon (1) avec Richard Wagner ont débuté en février 1858. C'est le peintre Ernst Kietz, portraitiste attitré des Chandon, qui leur présenta le poète-compositeur alors que Wagner lui rendait visite sur son chemin de retour de Paris à Zurich. Wagner fut accueilli deux jours dans la somptueuse résidence des Chandon, la résidence de Trianon (2). L'oeuvre de Wagner était connue du grand producteur champenois, amateur de musique, mélomane averti et organiste à ses heures, qui, jeune adulte, avait aux dires de Wagner assisté à la première de Rienzi à Dresde en octobre 1842. Lors de ce bref séjour, Richard Wagner dut jouer sur l’orgue Cavaillé-Coll à 18 jeux (3) du salon de musique, un orgue sur lequel Franz Liszt aurait souvent eu l'occasion de jouer. Wagner y aurait trouvé l'inspiration pour des pages de Tristan.

Wagner a consacré une page de Ma vie à son passage à Épernay :

[...] Je la [Paris] quittai donc d'humeur très joyeuse, le 2 février,  pour me rendre à Épernay où se trouvait mon vieil ami Kietz. Ayant été par hasard ami d'enfance de M. Paul Chandon, ce dernier avait eu pitié du malheureux peintre et l'avait recueilli chez lui en lui procurant une série de portraits à faire. Aussitôt arrivé, je fus emmené de force dans l'hospitalière maison des Chandon et je ne pus refuser de m'y reposer deux jours. Je trouvai en Chandon un admirateur passionné de mes œuvres, de Rienzi surtout, dont il avait vu la première à Dresde. On me fit visiter les fabuleuses caves creusées dans le sol crayeux de la Champagne sur une longueur de plusieurs lieues. Kietz était en train de peindre un portrait à l'huile et, de l'avis général, on pensait qu'il le finirait, ce qui m'intéressa vivement. Après bien des entretiens inutiles, je pus me libérer enfin, et abrégeant cette hospitalité inattendue, j'arrivai le 5 février à Zurich où d’avance j'avais invité mes amis à passer la soirée avec moi. [...] in Ma vie, tome 3, traduction Valentin, Plon-Nourrit, 1912, pp. 182-183.

En 1861, Wagner offrit au comte Paul Chandon deux billets pour la première de Tannhäuser à l’opéra de Paris. Paul Chandon lui apporta en reconnaissance une caisse de son meilleur champagne, la  «Fleur de jardin », qui devait être servi pour couronner le succès de l'auteur. Mais, on le sait, le succès fut loin d'être au rendez-vous et peut-être le champagne du généreux Chandon servît-il à noyer quelque peu les affres des déboires parisiens du compositeur, comme en témoignent deux passages de Ma vie et une lettre à Chandon datée du début du mois d'avril 1861 :

[...] L’étude de Tannhäuser se traîna donc dans ces conditions si peu favorables jusqu’à la répétition générale. Mes anciens amis, les compagnons de mes années passées, arrivaient en foule à Paris pour assister à la « gloire » de ma première. Il y avait Otto Wesendonck, Ferdinand Praeger, le pauvre Kietz auquel, par-dessus le marché, je dus payer le voyage et l’hôtel. Heureusement il y avait encore M. Chandon, d’Épernay, qui apportait une corbeille de « fleur du jardin », sa plus fine sorte de champagne : on devait la boire au succès de Tannhäuser. Bülow vint aussi, triste et accablé par ses propres soucis et espérant que le bon résultat de mon entreprise réussirait à le rasséréner et à lui redonner du courage. [...] Op.cit., p. 291.

Après la deuxième représentation :

[...] Mes amis furent bouleversés. Après la représentation, Bülow se jeta en sanglotant au cou de Minna ; celle-ci avait bien remarqué les grossièretés que ses voisins lui adressaient parce qu’ils avaient reconnu ma femme en elle. Notre fidèle domestique souabe, la brave Thérèse elle-même, avait été injuriée par un manifestant furieux ; mais s’apercevant qu’il comprenait l’allemand, elle lui avait lancé à la face un vigoureux « schweinehund » qui lui avait imposé silence pour quelque temps. Kietz avait perdu l’usage de la parole, et quant à la « fleur de jardin », de Chandon, elle languissait dans le garde-manger. [...] Op.cit., p. 298.

Lettre :

Au comte Paul Chandon de Briailles

Paris, 1er avril 1861

Je n’aurais jamais pu me consoler de mon chagrin ces dernières semaines, si je ne m’étais rappelé votre amitié. Croyez-moi, ce vin magnifique que vous m’avez envoyé s’est révélé le seul moyen de me rendre goût à la vie et je ne peux que vanter l’effet qu’il a eu sur moi et sur les personnes qui m’entouraient à un moment où il y avait tant de choses que je voulais oublier.

Par la suite, Wagner devait passer à plusieurs reprises passer commande à son " ami " Chandon, notamment en 1863 et en 1868. Je lis que les livres de compte de la maison Moët & Chandon gardent trace de plusieurs factures impayées pour des livraisons adressées à Richard Wagner.

Notes

(1) Le comte Paul Chandon de Briailles (1821-1895)
   
  Le nom de Chandon de Briailles est une des illustrations de la Champagne. Descendant d'une ancienne famille fixée à Epernay en 1816, M. Paul Chandon de Briailles était petit-fils de M. Jean-Rémy Moët, fondateur, en 1743, de la maison universellement connue depuis plus d'un siècle. 
   Né en 1821, M. Paul Chandon fut associé, puis directeur, de 1852 à sa mort, de cette grande maison qui a si puissamment contribué à la prospérité de la ville d'Épernay et du département de la Marne. Il s'allia, en 1850, à une grande famille chalonnaise par son mariage avec Mlle de Massiac, fille du marquis de Massiac. Ils eurent plusieurs enfants qui gardèrent précieusement les traditions : trois fils, MM. Raoul, Gaston et Jean Chandon de Briailles, et trois filles, Mmes les comtesses Amédée et Gaston de Maigret et Mme la comtesse Geoffroy d'Andigné.
   Selon un journal local, Paul Chandon « était un homme du monde à l’esprit fin et délié, d’un abord sympathique, d’un sens artistique très développé, surtout au point de vue musical. »

(2) La luxueuse résidence de Trianon fait partie d'un  complexe architectural, composé de deux pavillons identiques, que Jean-Rémy Moët fit édifier 1805 et 1817 pour ses deux enfants, Adélaïde et Victor : la résidence de Trianon fait pendant à l'hôtel Chandon. L’ensemble aurait été dessiné et supervisé par le miniaturiste et décorateur lorrain Jean-Baptiste Isabey,  qui dessina aussi un bassin de 50 mètres de long, en forme de bouteille de champagne, et ajouta une orangerie.La résidence de Trianon, qui resta longtemps l'hôtel particulier de la famille, est aujourd'hui inscrite au Patrimoine mondial de l'UNESCO.

(3) Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) est considéré comme l'un des plus importants facteurs d'orgue du xixe siècle.


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