Un article de José Théry dans L'Oeuvre* du 21 mai 1941.
LES LOGIS PARISIENS DE RICHARD WAGNER
Richard Wagner ,en 1839, après avoir vécu difficilement à Magdebourg, à Könisberg et à Riga, arrive à Paris, avec sa femmeMinna et son terre-neuve. Les déboires ne l'épargnèrent point. Ainsi que ceux à qui la fortune est contraire, il dut changer fréquemment de logement.
En suivant un artiste dans ses différents domiciles, on connait mieux sa vie intime ; et puis, parmi ces étapes, on trouve celles qui de préférence appellent les pieux pèlerinages.
Nous devons à M. Roger Commault, qui s'intitule modestement « Collectionneur sur R. Wagner », les renseignements très précis que voici :
En débarquant à Paris, R. Wagner s'installe le 15 septembre 1839, 3, rue de la Tonnellerie, où il réside jusqu'au 14 avril 1840. Ensuite, il se transporte 25, rue du Helder et y séjourne du 15 avril 1840 à mai 1841. Quittant la rue du Helder, il se retire à la campagne, à Meudon, dans une petite maison, avenue du Château. Il y achève, en sept semaines, l'esquisse musicale du Vaisseau fantôme. L'automne le ramène à Paris. Nouvelle installation 14, rue Jacob, le 15 octobre 1841 et qui se prolonge jusqu'au 7 avril 1842.
A cette date, il regagne l'Allemagne. Il compose Lohengrin, Tannhäuser. Ces chefs-d'oeuvre ne lui apportent ni gloire ni bonheur. Il souffre de l'injustice de la critique et de la malveillance de l'administration du théâtre de Dresde, enfin de la jalousie implacable de Meyerbeer qui lui barrait la route à Berlin et l'empêchait d'y faire représenter ses ouvrages. Le pessimisme de Wagner s'exalte ; il accuse la société tout entière ; il adopte les opinions révolutionnaires et entre dans le parti socialiste. Il prend part à une émeute. Et, pour éviter une condamnation, il est obligé de fuir en Suisse... » (Paul Landormy). Après un séjour sentimentalement mouvementé, d'où sortira Tristan et Isolde, il revient en France. Première installation, 16, rue Newton, qu'il quitte pour s'installer 3, rue d'Aumale, où il habite au second étage, du 15 octobre 1860 au 15 mars 1861.
Nouvelle station du calvaire. Richard Wagner, par l'intervention personnelle de Napoléon III obtient que son Tannhäuser soit représenté à l'Opéra. Malgré la protection impériale, la pièce tombe, victime d'une odieuse cabale et n'est jouée que trois fois en mars 1861. L'aristocratie poursuivait de sa haine le révolutionnaire de 1848. Les musiciens, Meyerbeer à la tête, menaient aussi l'opposition. La critique les suivait à l'exception de Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, Emile Ollivier, Théophile Gautier, Reyer, Catulle Mendès, Jules Janin.
Richard Wagner souffrit grandement de cette abominable injustice. Et c'est dans son appartement de la rue d'Aumale qu'il dévora son chagrin. Il est donc naturel que les fervents admirateurs du grand maître s'arrêtent pieusement devant cette simple demeure où pleura le génie méconnu et tourmenté. Une plaque ne devrait-elle pas le rappeler ? M. Roger Commault veut bien me signaler en outre un endroit où Richard Wagner fit un bref séjour de trois semaines,, en octobre et novembre 1841 : la prison de la rue de Clichy. C'était là que les créanciers impitoyables, pouvaient faire incarcérer le débiteur insolvable. La contrainte par corps existait alors, même pour les dettes civiles et commerciales. Elle ne fut abolie que par la loi du 22 juillet 1867. Cette odieuse prison s'élevait à l'emplacement occupé actuellement par l'immeuble portant le numéro 60 de la rue de Clichy. Si elle n'avait pas été démolie, je demanderais qu'une plaque dei marbre fût placée sur la façade avec cette inscription : ,
" Ici, en octobre et novembre 1841, fut détenu le grand musicien Richard Wagner parce qu'il ne put payer une dette de... ! "
M. Roger Commault, chercheur infatigable, devrait retrouver le nom de ce féroce créancier avec l'indication de la somme que ne put payer l'auteur de Lohengrin.
La rue d'Aumale fut la dernière, station du calvaire à Paris. Ensuite R. Wagner s'engagea sur lai voie triomphale où l'accueillirent la gloire et la fortune, jusqu'au jour de sa mort, à Venise, le 13 février 1883. Sans doute connut-il encore une station douloureuse : la vieillesse. Pour un passionné tel que lui, c'est la pire. La jeunesse est capable de consoler de bien des déboires; mais pour le chantre de Tristan et Isolde aucune gloire, aucune richesse ne peuvent faire oublier les disgrâces irréparables de la vieillesse.
José THERY.
* L'Œuvre est un périodique français de la première moitié du xxe siècle. Engagé à l'origine à gauche, le journal passe à la collaboration et à l'antisémitisme pendant l'Occupation, ce qui mène à sa fin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire