Le 15 novembre 1923, le quotidien parisien Le Gaulois publiait en en première page un article dans lequel le journaliste et écrivain Jean de Bonnefon (1) racontait sa rencontre de 1913 avec le Prince Rupprecht de Bavière (1869-1955) dans l'Orient-Express :
EN BAVIÈRE
Le Prince Rupprecht et les Wittelsbach
C'était au temps fabuleux de la paix, quand les princes allemands avaient des trônes et des couronnes pour figurer dans la suite de Guillaume II, quand les honnêtes gens voyageaient sans passeports, quand l'Orient-Express glissait de Constantinople à Paris, à travers les paysages émouvants ou gracieux, par Sofia, Belgrade, Budapest, Vienne et Munich.
Ce train était une auberge de Candide sur rails, où les rois déjeunaient sans fierté entre deux stations, quand ils allaient à la chasse, quand ils revenaient d'un mariage archiducal, d'un enterrement impérial, ou simplement quand ils allaient prendre l'air de Paris.
Pour tout dire, c'était en 1913 !
A l'heure du dernier déjeuner, un monsieur seul, vêtu de noir, cravaté de blanc, ganté de noir, prit place, à une table où se tenaient déjà un marchand persan, un diplomate français et celui qui se souvient ici. Le diplomate fit le geste de se lever brusquement pour saluer et me dit tout bas : « Le prince Rupprecht. » Mais le nouveau venu interrompit le mouvement d'un signe et d'un sourire, avec ces mots « Rien, rien ; je suis un voyageur, le comte des Deux-Ponts si vous voulez. »
Ce titre appartient en, effet depuis 1731 à la maison des Wittelsbach. Présentations discrètes ; conversation sur la chasse ; intimité distante avec une seule phrase qui reste en la mémoire : «Mon fils, qui a huit ans, tire déjà mieux que «l'héritier » Guillaume, qui en a trente et un. » Et dans cette plaisanterie, dans le ton, il y avait de la haine, de la moquerie, du mépris. La guerre, les défaites et les abdications n'ont pas atténué ces sentiments.
Placé en face du prince Rupprecht, je pouvais l'examiner en grand détail sans indiscrétion du regard. Il était en deuil du son grand-père le régent Luitpold, mort en décembre à quatre-vingt-douze ans, et de sa femme, éteinte à Sorrente le 24 octobre.
L'impression première et immédiate que donnait le Prince était celle d'un .honnête précepteur, habitué aux révérences de la politesse. Il ne se révélait royal que par une simplicité préparée. L'ensemble n'avait n'a rien de germanique : face longue, front très haut, nu déjà et en forme de cône, nez grand et sec noblement posé au-dessus de moustaches agressives, rudes et coupées court ,les yeux éteints voilés d'un pleur chronique ; une grande bouche narquoise et mal garnie, un menton long, sans vergogne et pointu, un menton qui semble être la réplique par en bas de ce qu'est le crâne par en haut. Les oreilles déconcertent dans ce calme visage par l'importance grasse du lobe inférieur qui forme des boucles d'oreilles en chair de couleur écarlate.
Ainsi fait, le prince n'a rien de féodal on ne retrouve pas l'air des grands margraves, de ces ducs de Bavière du dixième siècle qui semaient la terreur et cueillaient la gloire. Le prince Rupprecht évoque encore moins la mémoire du roi-artiste, de son parent Louis II :
— Je n'ai de médiéval, disait-il, que les noms de mes soeurs ; elles sont six, Aldegonde, Ludwiga duchesse de Calabre, Hildegarde, Wiltrude, Helmtrude et Gondelinde.
Dans la défaite de 1918, le Prince royal a suivi la conduite bourgeoise. Il a mieux aimé la retraite provisoire que la fin du soldat vaincu : pendant cinq ans, il a médité sa haine contre son collègue prussien dans la jolie retraite de Berchtesgaden, paradis des petits fonctionnaires pensionnés, bourg où les indigènes sculptent depuis toujours le bois de la forêt, à l'ombre de l'antique maison des chanoines devenue château royal. Certes, il a eu peur de la mort, sublime porte de sortie, de la mort, porte du mystère. Mais il n'a pas, comme fit le Hohenzollern, choisi le tourniquet de la douane voisine (2). Il est resté dans son pays, buttant au lieu de tomber. L'histoire des révolutions ne lui a rien appris, pas même comment savait mourir en France un vrai Roi du sang des Rois !
S'il revient, sa marche est discrète, derrière ceux qui risquent leur vie. S'il a de l'audace, il la garde toute contre l'héritier de Prusse.
Et cependant il a des chevaliers, de vrais chevaliers dans la liste de sa race. Les habiles ne paraissent que plus tard. Au commencement du dix-huitième siècle, Maximilien-Emmanuel était l'allié des Bourbons. Par l'appui de la France, Charles-Albert se faisait couronner archiduc d'Autriche à Linz, roi de Bohême à Prague et empereur d'Allemagne à Francfort.
Les Wittelsbach, alliés de Napoléon, lui fournissaient de superbes régiments. Notre Empereur les payait en donnant le Tyrol à la Bavière et la couronne royale au Wittelsbach. Maximilien tourna cette force venue da France contre la France et reçut son denier au traité de Vienne.
L'habileté continue à remplacer la force Maximilien II s'oppose à toute concentration en Allemagne, par haine de la Prusse.
Vient Louis Il, épanouissement empoisonné de vieil arbre. Les Allemands disent de lui : « C'est un fou. » Les Latins répondent : « C'est un artiste sans mesure. »
Prince de l'harmonie romantique, chevalier du Cygne aux derniers jours de l'ancienne Allemagne, ce fantaisiste reste le grave auteur de l'unité germanique.
Il accorda toujours ses intérêts aux cordes de l'Idéal. Ses folies même, ses apparentes prodigalités tournent au bénéfice de sa monarchie et la musique de Wagner enrichit, après lui, sa capitale. Les snobs ont fait de Louis II un saint de mauvais lieu. Il ne fut que la victime des Hohenzollern. Déclaré fou par cinq médecins qui ne l'avaient jamais vu, il fut « suicidé » dans un demi-mètre d'eau par les soins du bandit rétribué Gudden, parce que la Prusse avait peur de la Bavière.
Ce Louis II aimait la France par goût, servait l'Allemagne par besoin. Il sacrifia ses goûts en collaborant au crime de 1871. Mais quand Frédéric de Prusse lui ramena les troupes victorieuses, il refusa de les voir, criant :
— Ma raison m'a fait donner mes soldats. Mais mon cœur reste à la patrie de Racine 1
Après l'assassinat de Starnberg, la Prusse déclara fou le malheureux Othon qui ne devint aliéné que dans la rage d'un long internement. Les Hohenzollern installèrent le régent Luitpold comme le chef de leur bureau berlinois. Le Louis III est moins un roi découronné qu'un employé congédié.
La parole est à Rupprecht contre ses serments. Heureusement, il bégaye dans ses actes comme dans ses paroles.
Jean de Bonnefon
(2) Métaphore qui évoque l'exil de Guillaume II en Hollande.
NOUVEAUTÉ - LE ROI LOUIS II DE BAVIÈRE DANS LA POÉSIE FRANCAISE
Pour lire un extrait, lire la 4e de couverture ou commander le livre, cliquer sur
https://www.bod.fr/librairie/le-roi-louis-ii-de-baviere-dans-la-poesie-francaise-luc-henri-roger-9782322208371
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire