lundi 16 mars 2020

Les logements de Richard Wagner : le 16 de la rue Newton à Paris.

Venant de Suisse, Richard Wagner s'installa à Paris le 20 octobre 1859, au 16 de la rue Newton. Il est accompagné de sa femme Minna Planer. Quand Wagner loua son appartement de la rue Newton, on lui demanda payer à l’avance trois années de loyer, le propriétaire s’étant bien gardé de lui dire que les plans du préfet Haussmann prévoyaient une mise à niveau de la chaussée et la démolition de la maison. 

Edmond Michotte évoquait la vie de Wagner rue Newton dans  La visite de Wagner à Rossini (1906)  : 

"Wagner habitait rue Newton, n°16 (près de la Barrière de l’Étoile), un petit hôtel (démoli depuis) qu’il avait en grande partie meublé avec ses propres meubles transportés de Zurich. Ce fut de là qu’il partit, en 1859, pour se rendre en France. Dans cette demeure tranquille, il vivait très modestement. Voisin du Bois de Boulogne, il ne sortait guère que pour y aller faire une promenade quotidienne, accompagné d’un petit chien très vif, qu’il aimait à voir sautiller autour de lui. Le reste du jour se passait à collaborer d’arrache-pied avec Edmond Roche à la traduction française de Tannhäuser. Dans les intervalles, il se consacrait à la tétralogie, mettant la dernière main à l’orchestration. "

En juillet 1865, Auguste de Gasperini rappelait dans un article du Ménestrel l'installation de Wagner dans cet appartement et des soirées du mercredi qu'il y donna :

"Au bout de quelques mois, Wagner s'installa rue Newton, près de l'Arc-de-Triomphe, dans un fort joli petit hôtel que les démolitions ont emporté depuis, il y était seul avec sa femme, à l'abri des voisins et des pianos. Sa vie s'y écoulait incertaine assurément, mais facile. Tous les mercredis, il réunissait quelques amis; c'est là que j'ai vu M. Villot, conservateur des musées impériaux, auquel il a dédié ses poëmes d'opéras traduits en français, Emile Ollivier, Mme Ollivier, cette jeune femme si charmante, si profondément artiste, si regrettée de tous ceux qui l'avaient approchée. Berlioz était aussi des nôtres, et Edmond Roche, un des traducteurs du Tannhauser et que la chute du Tannhauser a tué, et Jules Ferry, esprit élevé et délicat, et Léon Leroy, artiste plein de coeur, écrivain distingué, et M. Emile Perrin, qui n'avait pas repris encore la direction de l'Opéra-Comique, et Champfleury, et Lorbac, et Baudelaire, et tant d'autres qu'attirait cette intelligente figure."

Léon Leroy, ami de Richard Wagner comme Gasperini, a lui aussi évoqué les soirées de la rue Newton dans un article du quotidien La Liberté en date du  23 janvier 1868. 

" [...] A l’époque —vers 1862 [erreur de mémoire de Léon Leroy, ndlr] — où l’auteur du Vaisseau fantôme habitait cette petite maison de la rue Newton, où se rencontrèrent —je cite au hasard — MM. Berlioz, Gounod, de Gasperini. Emile Ollivier, Jules Ferry, Baudelaire, Champfleury, etc., je vis un jour, sur le grand pupitre où s'accoudait habituellement le maître — il écrit toujours debout — la partition à laquelle il travaillait alors : —c'était, je crois, la dernière partie de sa trilogie des Niebe- lungen. Ici point d'accompagnements sommaires, point de basses chiffrées ; les feuilles manuscrites que j’avais sous les yeux contenaient une partition vocale et instrumentale complète, sans l'ombre d'une rature. Et cependant, c’était la PREMIERE VERSION.
   Pour cette dernière partie des Niebelungen, comme pour la plupart des autres œuvres .de Wagner, la pensée musicale, avec ses multiples éléments d'expression, sortait d’un seul jet de ce puissant cerveau. Il semblait, d'ailleurs, confirmer avec une infaillibilité surprenante cette parole de La Bruyère : « Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées il n’y en a qu'une qui soit la bonne. » Celle- là, quand après un certain temps d'élaboration purement mentale, Wagner l'avait trouvée, son œuvre était prête. Rompu, comme il l'est, à la science des détails, il pouvait écrive sa partition tout d’une pièce, sans broncher d'une bécarre. [...] "

Hélas, ce logis posa rapidement des problèmes très compréhensibles au compositeur. Le 3 juillet 1860, le journal satirique Le Charivari annonçait avec son humour mordant que Wagner intentait un procès à propos de son appartement : 

" Le célèbre auteur du Tannhaüser plaide [...]. M. Richard Wagner occupe un petit hôtel qu’il a loué dans la rue Newton. Or, par suite des embellissemens [orthographe d'époque, ndlr] que l’on opère dans les environs de l’Arc-de-Triomphe cette rue est devenue impraticable. D’un côté des excavations, des fondrières; de l’autre une profonde tranchée qui en fait un impasse ; partout des obstacles à la circulation. En un mot, la rue Newton semble vouloir justifier son nom et l’on trouverait difficilement un terrain plus propice pour faire des expériences sur la chute des corps. Cela peut être très scientifique, mais ne laisse pas que d’être fort peu commode. Les cochers les plus expérimentés ont peine à reconnaître leur chemin au milieu des pierres de taille; il y aura peut-être là un jour une voie de communication, mais pour le moment c’est dans toute la force du terme une rue de l'avenir. M. Richard Wagner voudrait circuler dans le présent et voilà pourquoi il plaide. "

Eugène Bernard.

Le 2 septembre 1860, le quotidien parisien Les Coulisses, dirigé par Hippolyte de Villemessant reprenait une chronique judiciaire signée J. Raymond de l'Univers illustré, signées J. Raymond : 

   « On annonce un procès assez curieux de M. Richard Wagner, compositeur d'outre-Rhin, qui n'a pas eu grand succès à la salle du Théâtre-Italien, mais qui va se présenter au jury parisien avec sa grande œuvre, un certain Tannhauser, opéra en cinq actes, qui serait son plus beau bagage musical. M. Wagner a des enthousiastes et des détracteurs. Pour les uns, c'est un révélateur, c'est le maestro de la musique de l'avenir; pour les autres, c'est un barbare, un Vandale, un Welche, dirait Voltaire.
    Son procès n'est pas intenté à propos de son opéra.
   M. Wagner a loué un appartement dans une rue qui donne en face de l'Arc de Triomphe, place de l'Étoile.
  Depuis qu'il a pris possession de son logement, l'autorité municipale a envoyé de ce côté ses architectes, ses ingénieurs, ses démolisseurs, ses géomètres. On a changé le niveau de la rue Newton, on l'a abaissé; la maison habitée par M. Wagner a l'air d'une forteresse campée sur une falaise. Il ne peut arriver chez lui que par une ascension qui n'aurait de charmes que pour un amateur de gymnastique, ou pour le pied d'un montagnard. De là le procès que M. Wagner fait à son propriétaire: il prétend n'être plus logé, mais niché dans les airs.
   M. Wagner aura pour défenseur un avocat fort spirituel, qui a écrit les paroles du Tannhauser ; cet avocat est Me Truinet, dont la réputation théâtrale s'est faite sous le pseudonyme de Nuitter. En plaidant pour M. Wagner, il collaborera encore. Il sera au Palais le seul collaborateur de M. Wagner. Dans la pièce, il a, dit-on, accepté l'aide d'un homme de talent, qui, ignoré et malheureux, obligé jusqu'ici de cacher comme un crime son mérite littéraire, trouvera enfin l'occasion de se révéler, »

Wagner perdit le procès qu’il intenta pour récupérer les deux années qui restaient à courir et fut condamné à payer les frais. Il était parti s'installer le 15 octobre 1860 dans un plus petit appartement situé au deuxième étage du 3 de la rue d'Aumale, qu'il évoqua lui-même« Je me suis donc mis à la recherche d’un autre logement, et j’en trouvai un, misérable et lugubre, rue d’Aumale. Par un temps exécrable, il nous fallut déménager à la fin de l’automne. Fatigué par ces opérations et les répétitions, je fus finalement terrassé par une fièvre typhoïde ». Il y travailla au remaniement du Tannhäuser dont la première parisienne a lieu à la salle Le Peletier le 13 mars 1861.

Il avait mentionné son déménagement dans une lettre à Mathilde Wesendonck datée du 30 septembre 1860 :  " Et maintenant je vais bientôt déménager. À partir du 15 Octobre, je demeurerai 3, rue d’Aumale. L’appartement est plutôt petit, et j’espère que je n’aurai pas à y écrire des vers ou à composer : il ne peut convenir que comme bureau d’affaires. J’ai à moitié perdu mon procès ; on ne me paie pas un sou d’indemnité. Ah ! Quand serai-je arrivé jamais à quelque chose ! C’était une mauvaise affaire, tout à fait manquée : l’appartement, que j’avais choisi justement pour sa tranquillité, devenait, avec les démolitions du quartier, intenable à cause du bruit. On prétend que mon propriétaire ne savait rien de cela. Possible !..."

Luc-Henri  Roger 

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