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samedi 22 février 2020

La journaliste Jolanta Lada-Zielke commente "Les voyageurs de l'Or du Rhin"

La journaliste germano-polonaise Jolanta Lada-Zielke a récemment publié une recension en langue allemande de mes Voyageurs de l'Or du Rhin sur le site Klassik-begeistert. Je lui ai demandé l'autorisation de la traduire en français, qu'elle m'a gracieusement accordée. Qu'elle en soit ici vivement remerciée. Voici mon essai de traduction de son article.

Après avoir lu Les Voyageurs de l’Or du Rhin, ma perception de Richard Wagner s'est enrichie de nouvelles contradictions et son univers m'est devenu encore plus fascinant. Je recommande ce livre à tous ceux qui s'intéressent aux œuvres de Wagner et qui disposent d'une bonne maîtrise de la langue française.


Ces dernières semaines, j’ai lu le livre Les Voyageurs de l’Or du Rhin de Luc-Henri Roger (éditions BoD), un livre qui fut présenté lors du Festival de Bayreuth 2019. Cela m'a donné un aperçu de la façon dont les œuvres de Wagner ont été accueillies par les journalistes et les critiques francophones de l'époque, mais aussi de la façon dont ses amis français l'ont perçu.Mes connaissances antérieures sur «Wagner et les Français» s'étaient  jusqu'à présent limitées à l'histoire de la représentation parisienne du Tannhäuser. L'on sait que le compositeur avait à l’époque des admirateurs au sein de l’élite intellectuelle parisienne: la fille de Théophile Gautier Judith Mendès et son mari Catulle, et l’écrivain Villiers de l’Isle-Adam.  Wagner les avait surnommés "ma chère Trinité". À cette société appartenait également l'écrivain Edouard Schuré, la compositeure Augusta Holmes et la chanteuse Pauline Viardot. Toutes ces personnes avaient livré leurs  impressions sur leur rencontre avec le compositeur à Lucerne, sur leurs visites de sa maison à Tribschen et sur la répétition générale du Rheingold à Munich.

Les lettres et les articles recueillis par Luc-Henri Roger constituent une sorte d'itinéraire ou de carnet de voyage. Son recueil est similaire à un blog aujourd'hui, à savoir qu'il s'agit d'une description subjective du voyage en Suisse et en Allemagne à l'été 1869. Les mélomanes parisiens avaient séjourné dans un hôtel à Lucerne, d'où ils s'étaient rendus à plusieurs reprises à Tribschen. Judith Mendès avait par la suite rendu compte de ses visites dans l'article " Richard Wagner chez lui ". 

Dans sa description de l'intérieur de la maison de Tribschen, Catulle a souligné qu'en plus des statuettes en marbre, qui représentent les héros des opéras de Wagner, se trouvait une statue du Bouddha. Villiers cite quant à lui une conversation intéressante qu'il tint avec le compositeur sur le thème de la foi. Wagner lui avoua que sa vie ne serait qu'un mensonge et une contrefaçon sans la lumière et l'amour de la foi chrétienne, comme en témoignent ses œuvres. "Mon art est ma prière", lui a-t-il déclaré.

Fin juillet 1869, les Français se rendirent  à Munich pour assister à la première de l'Or du Rhin. Ils y  visitèrent  également l'exposition des Beaux-Arts. Toute cette société assista à la répétition générale du  prologue de l'Anneau du Nibelungen. Cela explique que sa description apparaît sept fois dans le livre, mais chaque auteur attire l'attention sur différents détails de la mise en scène et de la qualité musicale de l'œuvre. Comme vous le savez, la première prévue le 25 août ne put avoir lieu en raison des déficiences des décors. Hans Richter refusa de diriger l'oeuvre et Franz Betz avait renoncé à chanter Wotan. Tous ces événements furent également rapportés dans la presse francophone. À la fin du livre, Roger compare la distribution initialement attendue et celle de la première de l'Or du Rhin, qui ne fut finalement créé que le 22 septembre.

L'année 1869 ne fut pas seulement une année remarquable à cause de cette première. À la même époque Wagner avait fait paraître une deuxième version plus acerbe encore que la première  de sa brochure  "Le judaïsme en musique" est apparue et un an plus tard, la guerre franco-prussienne éclata. Comme la plupart des patriotes allemands, le compositeur prit publiquement parti contre la France. Certains de ses amis français comme Catulle Mendès n'arrêtèrent alors pas  pour autant de défendre sa musique. Edouard Schuré continua d'admirer Wagner en tant qu'artiste, mais n'accepta plus ses invitations.

À la fin du livre, vous trouverez les articles  qui furent publiés dans la presse francophone de mars à octobre 1869 sur le Rheingold. Le couple Mendès, Villiers d’Isle-Adam et Schuré ont fait des commentaires positifs sur l’opéra. Cependant, des voix critiques avaient trouvé ennuyeuse la représentation sans entracte et ont stigmatisé la longueur et la monotonie des récitatifs ainsi que le côté trop statique des personnages.

On peut lire dans La Revue britannique, que d'un point de vue littéraire, l'oeuvre est une pitoyable parodie du vieux dialecte saxon.On trouve aussi quelques «fake news» sur le compositeur et son ami et admirateur le roi Louis II de Bavière. Certains critiques francophones se plurent  à citer l'opinion des Munichois qui n'aimaient pas Wagner : le roi devrait enfin penser à l'avenir de la dynastie au lieu de traiter avec le "compositeur de l'avenir", comme on appelait Wagner.

L'auteur d'un article dans le magazine Ménestrel pose la question: " Nos enfants comprendront-ils davantage cette musique de l'avenir ? En tout cas, il faut supposer qu'ils auront des nerfs plus solides que les nôtres, pour pouvoir écouter sans aucune interruption ou repos quatre actes, ou comme les appelle l'auteur, quatre scènes, qui durent deux heures et 40 minutes ! "

La perle de la deuxième partie du livre se trouve dans la polémique de deux critiques de musique que rapportent les pages du Figaro : Léon Leroy, grand admirateur de Wagner, et son adversaire Alfred Wolff, y prennent des positions très différentes sur l'Or du Rhin. Cela semble parfois très drôle, car les chacun d'eux stigmatise le manque d'objectivité de l'autre et relèvent les inexactitudes du contenu de sa critique.

Dans la dernière partie, Roger rapporte l'humour caustique du magazine juif l'Univers Israélite. L'auteur du texte se réfère naturellement à la brochure Le judaïsme en musique, mais critique également le " Rheingold " en l'appellant le " Peingold " [jeu de mots " Rhein / le Rhin ", et " Pein, la pénibilité ", note du traducteur].

Ce me fut une agréable surprise de découvrir quelques noms polonais parmi «les voyageurs»: Maria Kalergis-Mouchanoff (pianiste et mécène des artistes), le sculpteur Cyprien Godebski, le comte Aleksander Fredro (dramaturge, surnommé le «Molière polonais») et le Prince Alfred Lubomirski, qui avaient tous assisté à la répétition générale de l'Or du Rhin. Une personnalité contemporaine apparaît également , à savoir le professeur Michał Mrozowicki de l'Université de Gdansk, dont les travaux sur «La réception de la création de Richard Wagner en France» ont été utilisés par Roger.

L'auteur a essayé de conserver l'orthographe et le style d'origine du discours, mais a mis à jour certains termes archaïques pour en faciliter la lecture par les lecteurs.

Jolanta Lada-Zielke, 16 février 2020, pour Klassik-begeistert.de
Lada's Classic World (c)  y est publié tous les lundis.

Lien vers son article  : https://klassik-begeistert.de/ladas-klassikwelt-19-ein-franzoesisches-reisetagebuch-auf-den-spuren-des-rheingolds-klassik-begeistert-de/?fbclid=IwAR0CgvhRYPerThZvbl6zZ08OnYNVgxQ33DBYy5IsSAVF15MAg9H44hGn6uM


© Jolanta Lada-Zielke
À propos de Jolanta Lada-Zielke

Jolanta Lada-Zielke, 48 ans, est née à Cracovie, a fait des études de langue et la littérature polonaises à l'Université Jagellonne. Elle a ensuite terminé ses études de journalisme à l'Université pontificale de Cracovie. À la même époque, elle fut diplômée du lycée de musique Władysław Żeleński de Cracovie.

En tant que journaliste, Jolanta a travaillé pendant dix ans à la Radio universitaire de Cracovie. Elle a également travaillé avec Radio RMF Classic et Radio ART au Festival de Bayreuth. En 2003, elle a reçu une bourse de l'Institut Goethe de Cracovie. Pour son travail de journaliste, elle s'est vu décerner la médaille du 25e anniversaire de l'Université pontificale en 2007.

En 2009, elle a déménagé en Allemagne pour des raisons privées, d'abord à Munich, et ensuite, depuis 2013, à Hambourg, où elle travaille comme journaliste indépendante. Ses articles paraissent dans le magazine de musique polonais "Ruch Muzyczny", dans le journal de théâtre "Didaskalia", dans le magazine culturel "Moje Miasto" pour la Pologne en Bavière et le Bade-Wurtemberg et sur le portail en ligne "Culture Avenue" aux États-Unis.

Jolanta est une choriste passionnée et une chanteuse solo. Son répertoire comprend principalement des chansons religieuses spirituelles et artistiques ainsi que des tubes des années 30. Elle collabore à  Klassik-beigeistert.de depuis 2019.

Bibliographie

Luc-Henri ROGER, Les Voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise de l'Or du Rhin de Richard Wagner à l'été 1869, BoD 2019 .

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