Marie Kalergis photographiée par Disdéri |
C'est le moment des aveux. Une grande dame blonde et nordique a fait ma conquête et ne le saura jamais. J'ai appris à la chérir puis à l'aimer, à apprécier sa maîtrise et son génie pianistiques, et j'ai pu pénétrer dans son intimité, faire en quelque sorte partie de ses proches car ses lettres sont arrivées jusqu'à moi. J'ai vu sous sa brillance adamantine couver la noire mélancolie et sourdre ces impatiences qui la mettaient toujours en mouvement et parcourir l'Europe de Pétersbourg à Paris et d'Amsterdam à Naples, toujours passant par Varsovie où elle était née ou par Baden-Baden où elle retrouvait ses amis et familiers du Gotha et les meilleurs musiciens, les plus grands compositeurs, quant elle n'était pas à Triebschen ou à Bayreuth, à visiter ses amis Richard et Cosima, ou à Weimar près de Liszt qu'elle appréciait autant qu'il chérissait son amitié. Puis je l'ai suivie dans les épreuves de la maladie et ai aperçu la Camarde qui promenait son cul sur les remparts de Varsovie. Et lorsque cette faucheuse s'est emparée d'elle, alors que le grand pianiste von Bülow venait de lui jouer ces musiques de Chopin qu'elle avait tant aimées assis au piano installé dans une chambre adjacente à la chambre de l'agonisante, j'ai pleuré à gros sanglots. Douce et bonne amie que je ne rencontrerai jamais, je t'ai consacré mes recherches et ce livre qui va paraître dans le courant du mois de janvier, si la déesse de la Fortune le permet.
C’est au détour des études wagnériennes que
j’ai fait la connaissance de Marie Kalergis. Elle était du nombre de ces
quelques grandes dames qui avaient été des admiratrices inconditionnelles de la
musique de Richard Wagner et qui l’avaient soutenu activement. Madame Kalergis
faisait partie de cette couronne proche à l’instar de Jessie Laussot, Eliza
Wille, Mathilde Wesendonck, la Princesse de Metternich, Malwida de Meysenbug,
autant de personnalités fascinantes qu’il me tardait de découvrir. Mais,
contrairement aux autres dames approchées dans de nombreux ouvrages, Madame
Kalergis se faisait plutôt discrète dans la littérature wagnérienne
d’expression française.
Mes premières consultations des archives de
presse me firent découvrir les articles que publièrent Ernest Seillières en août
1910 dans la Revue des deux Mondes : L’inspiratrice de la Symphonie en blanc majeur.
Marie de Nesselrode, Comtesse Kalergis-Mouchanoff ainsi que l’article
que Jacques-Gabriel Prod'homme publia en feuilleton dans Le Ménestrel
des 1er, 8 et 15 août 1930 sous le titre Une grande dame cosmopolite et
dilettante. La Comtesse Mouchanoff. Ces deux articles me furent
utiles pour la réalisation de l’article de présentation de Marie Kalergis que
je réalisai de concert avec le Dr Cyril Plante et que publia Nicolas Crapanne
sur son site Le Musée virtuel Richard Wagner.
Au cours des deux dernières années je me
passionnai pour la réception française de l’œuvre de Wagner au cours de l’année
1869 : la création du premier Rienzi parisien monté par
Jules Pasdeloup, les articles de Judith Gautier, alors épouse Mendès, qui
présentaient lamême année l’œuvre de Wagner, l’impression en français de la nouvelle édition
du Judaïsme dans la musique, puis en juillet et août les nombreux
comptes-rendus dans la presse française de la création munichoise de l’Or du
Rhin, un événement considérable dans l’histoire de la musique auquel je
décidai de consacrer un ouvrage intitulé Les Voyageurs de l’Or du Rhin
qui avait l’ambition de rendre compte de la réception en langue française des
événements culturels munichois de l’été 1869. Le couple Mendès et leur ami
Villiers de l’Isle-Adam partirent comme journalistes à Munich et décidèrent de
faire un crochet par Lucerne où résidaient Richard Wagner et Cosima von Bülow.
Ils firent la connaissance de Madame Mouchanoff qui les avait invités à la
soirée munichoise qu’elle avait donnée à Munich. Judith Gautier évoquera cette
rencontre dans ses souvenirs qu’elle publia bien plus tard dans le Troisième
rang du collier. Les deux femmes eurent cet été-là un rôle similaire dans
leurs tentatives respectives pour réconcilier Franz Liszt avec sa fille dans
l’affaire de son divorce avec Hans von Bülow. Et les trois écrivains retrouvèrent madame
Mouchanoff à Triebschen après le séjour munichois.
Il m’apparut comme indispensable de recueillir
le sentiment de Marie Mouchanoff sur cette période et de me pencher sur sa
correspondance avec sa fille, que Marie Lipsius (qui signait La Mara, son nom de plume) avait recueillie et publiée en
1907 (puis en 1911 pour une seconde édition). Ces livres, quasi introuvables
sur le marché secondaire, se trouvaient heureusement dans les collections de la
Bayerische Staatsbibliothek de Munich et étaient disponibles à la consultation.
Je fus très vite séduit par ces lettres que Madame Mouchanoff avait rédigées en
français et c’est lors de la rédaction de mes Voyageurs de l’Or du Rhin
que l’idée me vint de les rééditer. J’en discutai avec des amis wagnériens,
dont le Dr Pascal Bouteldja, le très dynamique Président du Cercle Richard
Wagner Lyon, qui m’encouragèrent à me mettre à l’ouvrage.
Il me parut indispensable de rassembler le plus de renseignements disponibles sur Madame Mouchanoff-Kalergis. C’est alors que j’eus l’heureuse surprise de découvrir une biographie qui lui fut consacrée en 1923, une monographie de grande qualité qui avait aussitôt obtenu un prix décerné par l’Académie française, mais qui était tombée dans l'oubli et qui, de même que pour les lettres publiées par La Mara, n’était plus disponible à l’achat, sauf ici aussi pour
de rares exemplaires sur le marché secondaire. Les deux ouvrages se
complétaient merveilleusement bien, car le biographe avait réalisé un
travail consciencieux d’historien en allant dépouiller les archives de la
famille Nesselrode et en se penchant sur les livres de souvenirs et les
mémoires de contemporains qui s’étaient intéressées à Madame
Kalergis-Mouchanoff.
Je décidai de réunir les deux ouvrages en un seul livre
pour faire revivre la mémoire de cette grande dame et leur ai adjoint des textes (lettres, mémoires ou souvenirs) que des témoins de l'époque ont écrits à son sujet Le travail touche à sa fin, un exemplaire de travail part à l'impression la semaine prochaine qui je martyriserai jusqu'à Noel. Les premiers exemplaires destinés aux happy few qui en feront l'acquisition sortiront de presse lorsque les Rois Mages s'en retourneront dans leur orient lointain.
L'aventure d'un escrivaillon tombé en amour d'une fée blanche qui lui a déjà procuré de grandes jouissances, celles que m'ont apporté des recherches aussi passionnantes et passionnées.
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