Luca Salsi (Simon Boccanegra), Marina Rebeka (Amelia Grimaldi) © SF/Ruth Walz |
La mise en scène résolument contemporaine d'Andreas Kriegenburg transpose l'action du Cinquecento ligurien dans le huis clos d'un immeuble qui pourrait être trumpien s'il ne lui manquait les ors chers au président américain. La scène est tout entière occupée par la prouesse architecturale d'un grand hall à la paroi oblique ouverte par deux découpes rectangulaires sur le ciel et la mer, quand ils veulent bien se donner à voir, et flanqué d'une tour sur plateau tournant, lieu de l'exercice du pouvoir. Le décor à l'esthétique dépouillée d'Harald B. Thor, très réussi sur le plan architectural, n'évoque en rien la ville de Gênes et l'histoire du quinzième siècle n'est perceptible que parce que le texte l'énonce. Dans ce monde aseptisé se déplacent des hommes en complets sombres bien coupés et des femmes en tailleurs ajustés (costumes de Tanja Hofmann) tous armés de leurs téléphones portables.
Ce que nous propose Kriegenburg, c'est une réflexion socio-politique sur le fonctionnement de notre société, avec ses factions qui défendent leurs idéologies respectives, en apparence opposées, pour s'emparer du pouvoir, user et abuser à leur seul profit du denier public. Un public esclave du smartphone, instrument dont se servent les décideurs haut placés pour leurs stratégies d'influence et de manipulations. L'élection de Simon Boccanegra à la magistrature suprême se fait par tweets interposés, cela gazouille ferme sur les smartphones et l'opinion publique se modèle et se transforme au gré des messages électroniques. Aux smartphones viennent s'ajouter les tablettes qui, juxtaposées, recréent l'image d'Amélia qui nous apparaît aussi de manière virtuelle.
Fort bien, ... mais reste le livret de l'opéra qui énonce un autre réalité historique. Le metteur en scène n'a pas été jusqu'à remplacer le poison dilué dans une carafe d'eau qui va tuer Boccanegra par du polonium, du novitchok ou de la dioxine, et il n'est pas parvenu à éliminer les épées dont la curieuse présence fait hiatus dans le monde électronique.
La question de l'opportunité de toute cette transposition se pose inévitablement et peut sans doute se justifier : Verdi ne faisait pas autre chose en utilisant l'histoire de son pays pour défendre l'idée d'une Italie unifiée et paisible. Mais le compositeur conservait le cadre historique. Au regard de cela, la nouvelle mise en scène du Festival de Salzbourg utilise l'opéra comme plate-forme pour une réflexion politique, et manque doublement sa cible, elle ne sert pas la musique et ne fait qu'enfoncer une porte depuis longtemps ouverte.
Marina Rebeka (Amelia Grimaldi), Charles Castronovo (Gabriele Adorno) © SF/Ruth Walz |
Reste la musique, magnifiquement servie par un plateau à la distribution prestigieuse. Si la mise en scène ne parvient pas à convaincre, elle laisse les chanteurs déployer leur grand savoir-faire en les plaçant la plupart du temps face au public, avantage non négligeable. Luca Salsi, dans la pleine maturité de son art, donne un somptueux Boccanegra. Enfant de Parme, fasciné par la musique de Verdi depuis son enfance, le chanteur est devenu un des plus grands barytons verdiens, avec son chant opulent, son tempérament musical bouillonnant, passionné et sanguin, et une ligne vocale aux couleurs magnifiques. René Pape, qui fait à Salzbourg sa prise de rôle, donne un Fiesco à la puissance fulgurante avec une présence en scène imposante et la prestance implacable d'une divinité courroucée. Ce chanteur à la belle stature semble se jouer des embûches du rôle avec des graves impressionnants. Charles Castronovo, qui interprète Gabriele Adorno, a gagné en profondeur ce qu'il semble avoir perdu en aigus, ce qui convient bien au caractère de son personnage, dont il rend bien les souffrances pathétiques. André Heyboer interprète les méchants avec une belle fermeté, il prête son baryton sonore à Paolo, dont il rend à souhait les côtés malfaisants et parfaitement haïssables. Reine de la soirée, Marina Rebeka donne une grande Amelia, la puissance de son soprano domine sans difficulté aucune celle de ses partenaires masculins qui sont pourtant de grande envergure, et passe sans problème les choeurs et l'orchestre. Le chant est d'une sensibilité extrême ; l'interprétation d'une authenticité poignante est celle d'une grande chanteuse à la technique pleinement maîtrisée, ce qui dénote l'intelligente et la maturité de son approche et la connaissance très exacte de ses moyens. Dans les seconds rôles, on a pu apprécier la beauté de la basse d'Antonio Di Matteo en Pietro et le ténor lyrique lumineux de Long Long.
Le Wiener Philharmoniker est dirigé par un Valéry Gergiev dont il se dit qu'il ne brilla pas par sa présence aux répétitions, ce qui est devenu la fable festivalière de l'été Son autorité et l'extrême concentration de sa direction sont cependant manifestes en cours d'exécution, avec un remarquable sens du rendu des contrastes. La tension dramatique, tenue sous le boisseau en première partie, gagne en intensité aux deuxième et troisième actes et une belle ovation était au rendez-vous en baisser de rideau, mais curieusement, nous avons souvent eu davantage l'impression d'une direction symphonique plus qu'un travail soutenu de coordination entre la fosse et la scène. C'est en tout cas aux chanteurs qui reviennent les palmes de ce spectacle, unanimement salués par un public dont ils ont fait les délices et sauvé la soirée.
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