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samedi 27 juillet 2019

L'Agrippine d'anthologie de Barrie Kosky et Ivor Bolton à l'Opéra de Munich

Poppea (Elsa Benoit) et Claudio (Gianluca Burato).
Les photos sont de Wilfried Hösl
Dans sa présentation du Dramma per musica de Haendel créé à Venise en 1709, l'Opéra de Munich compare l'action à un épisode de la série télévisée américaine House of Cards (Le Château des cartes), ce thriller politique dans lequel un homme politique veut occuper le siège du Président des États-Unis et s'y maintenir par tous les moyens. Un monde de manigances, de mensonges, de complots et d'intrigues dans lequel un homme, secondé par sa femme, s'ingénie à devenir président à la place du président, calife à la place du calife, empereur à la place de l'empereur, ou si, comme Agrippine, on ne peut en raison de son sexe pas avoir accès au pouvoir, faire couronner son fils empereur à la place de l'empereur. Le type d'histoire qui peut se dérouler en tout temps et en tout lieu. 

Le metteur en scène australien Barrie Kosky, qui avait déjà monté à Munich  Die schweigsame Frau en 2010 et L'Ange de feu en 2016, a préféré démonter minutieusement la psychologie des personnages en dépouillant l'opéra de son contexte spatio-temporel et donner à voir ce que l'intrigue a d'universel : ce sont ici des types humains qu'il analyse avec beaucoup de subtilité et d'humour en les faisant se mouvoir dans l'univers presque clos d'un gigantesque parallélépipède rectangle, l'oeuvre de la décoratrice Rebecca Ringst. Ce pavé droit est fait de poutrelles d'aciers, qui délimitent les espaces en les déclinant selon une règle de trois, trois étages présentant chaque fois trois espaces de chaque côté. Ce pavé droit peut lui-même être sectionné en trois long pavés qu'un personnel de scène peut déplacer et redisposer au gré de l'action, un décor atemporel surprenant, apparemment simple mais qui va se révéler complexe au cours de la soirée. Au début de l'opéra le parallélépipède se présente comme un monde clos, dont les espaces sont tous obturés de persiennes noires, aux vantaux mobiles qui pourront être ouverts ou  relevés au gré des nécessités de la mise en scène. Un grand escalier d'acier s'élève au centre de la structure qu'il traverse, que graviront et redescendront les protagonistes dans un mouvement incessant mis en parallèle avec les répétitions de la phrase musicale baroque. Le jeu complexe des manipulations des persiennes et des déplacements des modules composant l'ensemble va permettre l'individualisation changeante des espaces où se déroule l'action et favoriser la présentation des personnages et la mise en évidence de leurs personnalités propres. 

Dans sa plus grande longueur, le parallélépipède a parfois l'aspect du flanc d'un paquebot, avec trois ponts de cabines dont les balcons sont ouverts sur l'océan. Parfois les cabines sont munies de portes de communication, ce qui permet d'organise des jeux de cache-cache  et l’organisation de manœuvres intrigantes. Le grand avantage de ce découpage de l'espace est de constamment permettre aux chanteurs de chanter de manière frontale, atout extrêmement précieux pour mettre en valeur l'expressivité et les complexités de l'ornementation baroque. Les atmosphères sont soutenues par le jeu des lumières, dues au travail remarquable de Joachim Klein, qui réalise des accrochages lumineux sur les poutrelles d'acier, obtient de beaux effets par des néons et de temps à autre éblouit le public.

Agrippina  (Alice Coote) et Nerone (Franco Fagioli)
Le décor permet la mise en lumière des caractères. Barrie Kosky a incité chacun des excellents chanteurs et chanteuses à pousser à l'extrême tant leurs talents de comédiens que leurs possibilités vocales menées à leur paroxysme.  Il met souvent en place des situations pleines d'humour et de cocasseries menées avec subtilité, dressant le tableau du  drame intense de la comédie humaine et de ses noirceurs. Le casting de la production est tout simplement prodigieux. L'énorme partie d'Agrippina est tenue par la mezzo-soprano anglaise Alice Cootte, bien connue pour ses rôles de femmes travesties en homme, et qui tout au long de l'opéra fait clairement savoir qui porte le pantalon dans le ménage de l'empereur Claude ; elle finira d'ailleurs par en porter un lorsqu'au final elle parviendra au résultat pour lequel elle n'a cessé d'intriguer : le couronnement de Néron, son fils dégénéré, dont elle compte bien faire sa marionnette. Pour le personnage d'Agrippina, Barrie  Kosky s'est clairement inspiré de celui de Clare Underwood de la série House of cards, cette riche lobbyiste qui a force d'intrigues finit par devenir la deuxième dame des Etats-Unis, puis, ne s'arrêtant pas en si bon chemin, la première. Alice Coote porte magnifiquement l'opéra de bout en bout, avec une grande élégance de la ligne du chant, un phrasé parfait, des ors sombres dans les graves, un grande intelligence et beaucoup de subtilité dans l'expression d'émotions souvent feintes, - personnage oblige - , et une résistance exceptionnelle pour ce premier rôle qui exige une telle présence en scène. Le rôle de Claude a été confié à Gianluca Buratto qui fait ses débuts au Bayerische Staatsoper, un rôle difficile à interpréter parce que ses motivations restent plutôt obscures dans le livret de l'opéra de Haendel : qu'est-ce qui pousse Claude à vouloir céder sa couronne à Ottone d'abord, à Néron ensuite? Alors qu'un grand nombre d'historiens s'accordent à penser qu'il fut empoissonné par Agrippine, cela n'apparaît pas dans le livret qui donne le portrait d'un personnage un peu falot et comique, facilement manipulable, un rôle en somme assez difficile par son manque de contour précis et  dont cependant la basse italienne Gianluca Burato tire le meilleur parti. Le personnage le plus typé de la soirée est celui de Néron, dont le contreténor Franco Fagioli, qui fait lui aussi ses débuts dans la Maison,  donne une interprétation d'anthologie. Barrie Kosky et le talentueux costumier Klaus Bruns en ont fait un punk emo avec les vêtements caractéristiques du sweat-shirt cagoulé, le crâne rasé recouvert d'un long tatouage asymétrique qui descend jusqu'à la nuque, les piercings, les jeans étroits et collants à la peau, des émotions incontrôlées et à fleur de peau avec des signes évidents de dépendance affective , une labilité constante, une démarche incertaine, chaloupée. Franco Fagioli, acteur hors pair, est parvenu à s'identifier complètement à ce personnage dont il donne une interprétation époustouflante tant dans le jeu que par le chant, avec des fulgurances qui atteignent des sommets. Nerone est devenu ces derniers mois sa carte de visite internationale, puisqu'il vient de le chanter lors d'une tournée qui l'a conduit en mai et juin à Luxembourg, Madrid, Barcelone, Madrid, Londres et Turku. Le contre ténor Iestyn Davies confère l'intelligence musicale très sensible et la technique sans faille de sa très belle voix au malheureux personnage d'Ottone, le seul personnage de cet opéra qui ait un semblant de morale et ne soit pas vicié jusqu'à la moelle. Lasst but not least dans les rôles principaux, Elsa Benoit apporte les brillances éthérées de son timbre, son charme, sa grâce  et sa grande beauté au personnage de Poppea, qu'elle interprète comme une personne fort audacieuse à l'intelligence très vive et malicieuse, davantage que comme une manipulatrice dominatrice, avec une présence en scène stellaire et captivante. Elle a visiblement inspiré le costumier qui lui a organisé tout au long de la production un véritable défilé de mode avec en point d'orgue une somptueuse robe de ruchés de tulle à traîne d'un jaune poussin, qui en fait la reine de la soirée. Agrippine est certes parvenue à faire couronner son fils, mais c'est Poppée qui sort victorieuse de ce combat des cheffes, un combat dont les hommes ne sont que les faibles instruments. Avec sa grade stature, Markus Suikhonen joue les Cupidons pervers pour son maître impérial ; le contreténor Eric Jurénas et la basse Andréa Mastroni chantent les rôles bouffons de Narciso et Pallante avec un grand sens du comique.

Le travail de l'orchestre entraîné par ce maître de la musique baroque qu'est Ivor Bolton a mis le public aux anges. Ivor Bolton, magistral, en forme physique olympique, a su communiquer aux instrumentistes sa recherche enthousiaste du son le plus proche possible de l'original, ce qui donne quelque chose de visionnaire, proche de l'exaltation. 

Une grande soirée musicale dans une mise une scène raffinée, dont le Bayerische Staatsoper nous fera encore le cadeau demain soir, avec son video livetream, puis à partir du 29 juillet et jusqu'au 12 août, en video à la demande. Rendez-vous sur la page de la Staatsoper-TV.

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Où se le procurer ?

- A l boutique du Richard Wagner Museum Bayreuth
Bod
Hugendubel (Portofrei in Deutschland), jpc.de, etc.
Amazon.de
Amazon.fr
Amazon.it
- Fnac
- en librairie ISBN 9782322102327






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