LE MUSÉE RICHARD WAGNER, A TRIBSCHEN-LUCERNE
(avec la vue sur le Pilate) / Source des photos : le Ménestrel
En décembre 1936, le Ménestrel publiait un article signé Arno Huth présentant le musée de Tribschen qui avait récemment ouvert ses portes.
Vendredi 4 décembre 1936
FOYER DU GÉNIE. Le Musée Wagnérien à Tribschen.
Un article d'Arno Huth (1) dans le Ménestrel du 4 décembre 1936.
Tous les ans, musiciens et mélomanes partent en pèlerinage, sur les traces de leurs maîtres admirés. Ils vont à Salzbourg, à Bayreuth, et à tous ces lieux glorifiés par la vie d'un artiste. Aujourd'hui, un nouveau but les attire : une maisonnette à Tribschen, près de Lucerne, au bord du lac des Quatre-Cantons. Sur la façade, une plaque en lettres d'or nous apprend son histoire :
In diesem Hause wohnte
RICHARD WAGNER
von April 1866 bis April 1872
Hier vollendete er Die Meistersinger, Siegfried,
Goetterdaemmerung, Beethoven, Kaisermarsch, Siegfried-Idyll (2).
C'est un coin béni de la terre, dans un paysage romantique où se mêlent douceur et grandeur. Coin béni pour Wagner, qui y trouvait le repos et le bonheur tant désirés. Cosima l'y rejoint, enfants et amis l'entourent dans cette maison joyeuse. Le roi Louis II, le prince Georges de Prusse, Hans von Bulow, Liszt et la comtesse d'Agoult, Judith Gautier, Malwida von Meysenbug, Catulle Mendès et Villiers de l'Isle-Adam (3) venaient le voir; un musicien illustre vécut à ses côtés, Hans Richter, son secrétaire permanent. Certain jour valut au maître une double joie : la naissance de Siegfried, son fils unique, et la première visite du jeune professeur de philosophie à Bâle, Friedrich Nietzsche, devenant bientôt l'ami intime, hôte familier de la « Denkstube », la chambre à penser.
La vie à Tribschen était vouée tout entière au travail artistique. Wagner s'y concentra uniquement à son oeuvre. Il mangeait seul, se promenait seul, sauf les dimanches réservés à sa famille ; rarement, lecture et musique, excursions à pied ou en bateau coupaient son sévère horaire de travail. C'est ainsi qu'il put achever trois de ses grands drames musicaux, composer des pièces d'orchestre et plusieurs œuvres littéraires, dicter une partie de son autobiographie. « Ici, c'est mon royaume » disait-il volontiers. Il aimait cette maison qui fut pour lui refuge et foyer. L'idée de Bayreuth seule décida son départ de cette « chère demeure des souvenirs fortunés ».
La villa changeait de propriétaires, passait d'une main à l'autre; puis, elle fut oubliée, désertée... Durant de longues années, peu de personnes en ont trouvé le chemin. Aujourd'hui, Tribschen nous est rendu grâce à l'initiative de la Ville de Lucerne et de l'Association « Les Amis suisses de Bayreuth ». Transformée en musée, la maison accueille comme autrefois les fervents de la musique. En juillet 1933, les membres de la famille de Wagner et l'élite de ses fidèles l'ont inaugurée. Le maire de Lucerne, un musicologue suisse, et, surtout, le comte Guy de Pourtalès ont rappelé les fastes de Tribschen, exalté le génie de Wagner et rendu hommage à Cosima, sa compagne idéale.
Buste en marbre de Mathilde Wesendocnk |
Laissons les souvenirs... Disons plutôt ce que contient ce petit, mais si précieux musée. On s'est montré soucieux de reconstituer l'atmosphère de jadis, de rassembler tout ce qui se rapporte à Wagner et à sa vie dans ces murs hospitaliers. Selon le goût de Mme Cosima, qui préférait des images aux livres, beaucoup de tableaux, sculptures, aquarelles, gravures et photos nous racontent le maître, sa famille et le cercle de ses amis. On y trouve des répliques des fameux portraits de Lenbach, des bronzes de Gedon, Saudek et Schaper, le masque mortuaire, pris à Venise en février 1883 par Benvenuti, puis, des vues charmantes des lieux wagnériens à Leipzig, Venise et Bayreuth. D'autres images nous montrent les hôtes de Tribschen, le roi, les musiciens, les écrivains et philosophes. Des aquarelles de Thoma et des tableaux de Leeke, d'après des scènes de ses opéras, témoignent de l'influence de la musique wagnérienne sur les beaux-arts. Mentionnons aussi les trois dessins de Max Slevogt représentant Mme Cosima à 90 ans, un pastel et le buste charmant de Mathilde von Wesendonck, exécutés à Paris, par J.-B. Kietz et L. Keiser.
Mais le clou de ces collections est à coup sûr cet ensemble d'autographes de Richard Wagner : le Siegfried-Idyll; le Chant du cordonnier des Maîtres Chanteurs ; un poème passionné à Cosima ; l'esquisse pour les décors de Parsifal ; puis, une vingtaine de lettres, plus ou moins importantes. Suivent la copie de Siegfried de la main de Hans Richter, les partitions en fac-similé des Maîtres Chanteurs et de Tristan, les grands essais (comme Beethoven), rédigés à Tribschen. Enfin d'autres documents : la lettre de démission et la demande de congé adressées en 1844 et 1847 à S. E. von Lüttichau, intendant du Théâtre de la Cour à Dresde ; les inscriptions du mariage de Wagner avec Cosima, divorcée von Bulow, et du baptême de Siegfried Wagner, provenant des registres de la paroisse protestante de Lucerne, l'exemplaire original du bail de la maison, au loyer annuel de 3.000 francs suisses, et une chronique de Nuremberg, de 1547, ayant servi de source au livret des Maîtres Chanteurs.
L'adieu de Wotan de Ferdinand Leeke |
Une relique d'une valeur toute particulière est le grand piano Erard offert au maître en 1858 par la veuve du célèbre facteur. Cet instrument l'accompagna de Zurich à Venise, puis à Paris, Vienne, Munich, Tribschen et Bayreuth ; sur ce clavier, Wagner et Liszt jouèrent nombre de leurs œuvres. Propriété de Mme Winifred Wagner et de ses enfants, il fut prêté au musée. D'autres souvenirs s'y ajoutent : la fameuse toque en velours et la veste d'intérieur, puis les quatre gravures de Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven, seul décor de son cabinet de travail.
Siegfried de Hans Thoma |
Ce qui rehausse singulièrement les impressions du visiteur, c'est la vue grandiose à travers les fenêtres, dans ce parc avec ses arbres magnifiques, sur le lac scintillant, sur les forêts et les cimes blanches des montagnes.
Un nouveau but attire les wagnériens. Plus de quinze mille sont déjà venus au musée; parmi eux les membres de la famille du maître, auxquels est réservé le premier étage de la maison, MM. Louis Barthou, Romain Rolland, Alfred Cortot et M. Dupont, chef de la musique de la Garde républicaine.
Lors du départ de Wagner, en 1872, Nietzsche s'écria ému : « Tribschen a cessé d'être ! » Lors de l'inauguration, un des orateurs proclama avec fierté : « Symbole d'admiration, lieu sacré, patrimoine commun de la culture, Tribschen est ressuscité! »
Arno HUTH.
(1) Arno Huth, journaliste, auteur de La Radiodiffusion, puissance mondiale, préface de Marconi, avec la contribution des personnalités les plus autorisées sur l'avenir de la Radio. Gallimard, 1937.
(2) Dans cette maison habitait Richard Wagner, d'avril 1866 à avril 1872. Ici il acheva les Maîtres Chanteurs, Siegfried, le Crépuscule des Dieux, Beethoven, la Marche Impériale, Siegfried-Idyll.
(3) Nous avons recueilli les textes rédigés par Judith Gautier, Catulle Mendès et Villiers de l'Isle-Adam lors de leur première visite à Tribschen il y a exactement 150 ans dans notre ouvrage Les Voyageurs de l'Or du Rhin (BoD 2019) . Voir ci-dessous.
Où se le procurer ?
- Bod
- Hugendubel (Portofrei in Deutschland)
- Amazon.de
- Amazon.fr
- Amazon.it
- Fnac
- en librairie ISBN 9782322102327
(3) Nous avons recueilli les textes rédigés par Judith Gautier, Catulle Mendès et Villiers de l'Isle-Adam lors de leur première visite à Tribschen il y a exactement 150 ans dans notre ouvrage Les Voyageurs de l'Or du Rhin (BoD 2019) . Voir ci-dessous.
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Invitation à la présentation bayreuthoise des Voyageurs de l'Or du Rhin (cliquez sur le lien)
Einladung zur Buchpräsentation am 29.07. um 14 Uhr im Richard Wagner Museum Bayreuth.
Einladung zur Buchpräsentation am 29.07. um 14 Uhr im Richard Wagner Museum Bayreuth.
Luc-Henri ROGER, Les Voyageurs de l'Or du Rhin. La réception française de la création munichoise de l'Or du Rhin de Richard Wagner à l'été 1869, BoD 2019 .
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