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lundi 22 juillet 2019

En 1870, Gustave Courbet refusa une commande du Roi Louis II de Bavière

Le désespéré, un autoportrait  de Gustave Courbet  (vers 1843).
Peut-être est-ce là la tête que dut faire Courbet au moment où on l'informa
que le roi Louis II voulait lui faire retoucher le plafond de sa chambre.
Le 25 mai 1870, un article non signé du quotidien parisien Le Gaulois, simplement intitulé "Bavardages",  relatait une anecdote plutôt anodine mais pourtant fort riche en enseignements. Selon ce journal, au printemps 1870, le roi Louis II de Bavière aurait souhaité que le peintre Gustave Courbet retouchât le plafond de sa chambre. Nous reproduisons ce texte et donnons ensuite notre commentaire.

" BAVARDAGES

Je ne sais pas si vous l'avez remarqué comme moi, mais tout franc-comtois (1) est un peu compteur de francs ; aussi le peintre Courbet ne recule-t-il point devant la commande largement rétribuée. Cela n'est point un crime, d'ailleurs, quand on a un pareil talent. Pourtant Courbet vient de refuser une commande, une commande royale s'il vous plaît, faite sur le désir exprimé par le jeune roi de Bavière en personne. 

L'ami de Wagner qui se lève quelquefois, à l'heure de minuit, et qui, revêtant l'armure d'argent et ceignant le cor d'ivoire du chevalier Lohengrin, va donner à manger aux cygnes de ses étangs, le jeune Louis II s'est fait faire une chambre à coucher, où sa rêverie wagnérienne se peut continuer, sans brusque transition après ses fréquentes escapades nocturnes. Lorsque le peintre d'Ornans fut appelé par l'Académie de Munich à exposer sa «manière» (ceci est historique) devant les peintres bavarois, il visita naturellement cette partie du château, cette chambre digne de la belle au bois d'Ornans, et s'extasia, en artiste railleur, devant les peintures de ce buen retiro royal.

Les murailles et le plafond étaient peints en couleur bleue « dans le genre du firmament. » Quelques étoiles dorées figuraient les constellations, la lune se levait sur la cimaise. Par un mouvement d'horlogerie, l'astre montait le long de la muraille, jusqu'au zénith, éclairé à la façon d'une veilleuse. De cette manière, le roi pouvait continuer, dans son lit, l'ode à la lune commencée dans la forêt ; à force de pérégriner jusqu'au ciel de lit, la lune s'est décolorée elle est blafarde aujourd'hui, elle a les yeux battus, le firmament a des teintes de chlorose (3), et les étoiles manquent totalement de scintillement.

On a donc offert au peintre de remettre le ciel à neuf, de fournir de nouvelles étoiles, de fourbir la lune et de simuler quelques nuages, allusion délicate aux relations du roi avec ses ministres. Courbet a décliné cet honneur et a offert cette délicate besogne à M. Yvon, qui s'en est chargé.

Il est donc probable qu'à l'exposition prochaine vous verrez la lune. "

Commentaire

L'oeuvre de Gustave Courbet avait été fort bien représentée à la première exposition internationale d'art qui avait eu lieu au Palais de Cristal royal (Glaspalast) de Munich du 20 juillet au 31 octobre 1869. L'importance de cette exposition, où de très nombreux artistes français avaient exposé leurs toiles, avaient attiré de nombreux journalistes français à Munich, dont Judith Gautier, la fille du célèbre écrivain Théophile Gautier, son mari, Catulle Mendès, Villiers de l'Isle-Adam ou Albert Wolff. (Voir ci-dessous la référence à notre ouvrage Les Voyageurs de l'Or du Rhin où nous avons reproduit leurs articles consacrés à cette exposition). 

Le catalogue de l'exposition (2), notamment conservé à la Bayerische Staatsbibliothek, répertorie sept tableaux du grand peintre français. Les visiteurs de cette importante exposition avaient pu y admirer La somnambule (aussi appelé La voyante,1865), Un paysage près de Mézières (1865, Neue Pinakothek München), Jeune fille jouant avec un perroquet (1866), Les casseurs de pierres (deux versions, 1849, cette oeuvre est considérée comme fondatrice du mouvement réaliste), Fleurs (plusieurs œuvres à partir de 1855, nous n'avons pu identifier l'oeuvre présentée à Munich), La sieste pendant la saison des foins - Montagnes du Doubs (1868) et L'hallali du cerf (1867).

En 1869, il séjourna à Munich où son oeuvre rencontra un vif succès. Le 3 septembre,  il fut décoré de l'ordre de Saint-Michel par le roi Louis II  - de même que son ami Corot qui fut lui aussi fait chevalier de cet ordre. Ses Casseurs de pierres (1849) trouvèrent  enfin preneur à Munich. Durant son séjour munichois, il exécuta le Portrait de Paul Chenavard, d'après un ami peintre qui l'accompagnait. A Munich, il dut aussi commencer sa Dame de Munich, une oeuvre aujourd'hui disparue.

La chambre du Tasse à Hohenschangau
Louis II de Bavière avait effectivement fait aménager selon ses goûts sa chambre du château de Hohenschwangau, qu'on appelle la chambre du Tasse car elle est décorée de fresques murales représentant des épisodes de la Jérusalem libérée de Torquato Tasso. À côté du lit royal, il avait fait ériger un groupe de rochers entouré d'orangers dans des bacs sur lequel se déversait une cascade artificielle. Il avait voulu que sa chambre fût voûtée d'un ciel nocturne artificiel où brillaient  la lune et les étoiles. Un système de miroirs compliqué permettait  de représenter des arcs en ciel artificiels et toutes sortes de phases lunaires.

L'information d'une commande royale de restauration du ciel constellé de la chambre royale est tout  fait plausible. Le succès de Courbet à l'exposition de l'été 1869 à  Munich et la décoration de l'artiste reçue des mains mêmes du roi ont sans doute été à l'origine de cette commande. Le refus de l'artiste est tout aussi plausible. Ce grand peintre, à la fois visionnaire, avant-gardiste et scandaleux, ne pouvait être intéressé par la commande de la restauration d'un plafond étoilé ! A noter que le refus de la commande contredit l'accusation de rapacité que le journal porte contre le peintre en début d'article. C'est finalement, d'après l'article, le peintre Frédéric Adolphe Yvon (1817-1893), un peintre d'histoire français connu pour ses tableaux de batailles, qui en aurait été chargé.

(1) Ornans est une commune française située dans le département du Doubs et la région Bourgogne-Franche-Comté. Gustave Courbet (1819-1877) y est né le 10 juin 1819. A lire la biographie de Courbet et au regard de ses soucis d'argent plutôt constants, on ne peut que trouver injuste l'accusation de rapacité du Gaulois. Courbet, qui a frôlé la ruine en 1869, avait certes besoin de commandes bien rétribuées, mais ne devait pas être "compteur de francs.

(2) Katalog zur I. internationalen Kunstausstellung im Königlichen Glaspalaste zu München, München, 1869.

(3) La chlorose désigne soit l'anémie causée par le manque de fer soit, en botanique, l'étiolement et le jaunissement des végétaux dus au manque de chlorophylle.

Oeuvres de Gustave Courbet présentées ou réalisées à Munich en 1869

La somnambule, aussi appelé La voyante

Les casseurs de pierres

La femme au perroquet

L'hallali

Portrait de Paul Chenanvrd
Héliogravure d'Etienne Carjat d'après la toile de Courbet

Paysage près de Maizières
La sieste pendant la saison des foins
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Où se le procurer ?

Bod
Hugendubel (Portofrei in Deutschland)
- en librairie 
ISBN 9782322102327 


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