Les Orpailleurs du Rhin par Frédéric Lix (source Gallica) |
En m'intéressant au poème wagnérien du Rheingold, je n'ai pu m'empêcher de me poser la question de l'origine de l'expression. Le Rhin est-il aurifère au point que cette éventuelle réalité soit à la source de la légende ?
L'or du Rhin est bien présent dans le fleuve. La recherche et l'orpaillage, - le lavage des sables aurifères du fleuve où on récoltait ce précieux métal, - est attestée depuis l'antiquité. Les orpailleurs du Rhin ont été mentionnés plusieurs fois par les historiens romains. La recherche de l'or était incontestablement la relation majeure qui attachait les riverains au fleuve ; la fascination qu'exerça toujours l'or argentifère du Rhin renforça sûrement la puissance du mythe et la persistance du culte du Père Rhin (Vater Rhein). Il est probable que ce culte remonte au moins au début du monnayage gaulois, au Ilème siècle avant J.-C. ; et l'on peut supposer que son sanctuaire fut constamment entretenu et embelli jusqu'à sa destruction, au début du Illème siècle après J.-C.
Voici ce qu'on peut lire à l'article "Orpailleur" du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse (1866-1877). J'en extrais les passages généraux et ceux qui concernent le Rhin.
" ORPAILLEUR s. m. (de or, et de paille). Ouvrier qui retire, au moyen du lavage, les paillettes d'or qui se trouvent dans le sable de certains fleuves et dans des terres aurifères L'or que l'on trouve dans les sables des rivières ou dans les terres aurifères n'est soumis à aucun traitement métallurgique proprement dit; des hommes, nommes ORPAILLEURS, le séparent des sables au moyen du lavage.
Avant que la découverte du nouveau monde eût amené l'exportation, d'Amérique en Europe, d'une énorme quantité d'or, l'Europe et, en particulier, l'Allemagne et la France tiraient de leur propre sol ce métal, principalement employé pour la fabrication d'objets de luxe. [...] Le Rhin tenait un des premiers rangs parmi les fleuves aurifères. Le droit de faire la récolte des paillettes appartenait aux seigneurs sur leurs terres. Le magistrat de Strasbourg avait ce droit sur 8 kilomètres environ du cours du fleuve. [...]
Ce ne sont pas nos rivières qui feront concurrence au Sacramento et à l'Australie ; cependant, il est hors de doute que, à l'époque où la main-d'œuvre était à très-bon marché, il devait y avoir un certain profit à y chercher de l'or. Suivant Réaumur, les orpailleurs du Rhin gagnaient encore de son temps 30 à 40 sous par jour; ceux du Rhône, dans le pays de Gex, gagnaient de 12 à 20 sous. Les uns et les autres ne travaillaient qu'une partie de l'année. [...] Les paillettes sont si petites et en si petite quantité dans le sable, qu'elles échappent aux yeux les plus clairvoyants; mais il est assez aisé d'apercevoir les endroits où le sable a une couleur noirâtre ou rougeâtre et, en général, les endroits où il e,t d'une couleur un peu différente de celle qu'on lui voit ailleurs; s'il y a de l'or, c'est là qu'on le trouve le plus abondamment. Comment sépare-t-on ces paillettes du sable?
La principale partie du travail de l'orpailleur consiste en un grand nombre de lavages, qui dégagent les paillettes du sable. Ce travail est fort long, fort minutieux, car souvent 1 décalitre de sable ne contient que deux ou trois parcelles d'or aussi petites que la pointe d'une épingle. Réaumur a très-bien décrit les divers procédés employés par les orpailleurs. « Sur le Rhin, dit-il, après que le laveur a choisi au bord du fleuve un endroit qu'il suppose aurifère, il dispose ses petites machines, qui ne demandent pas un grand appareil. La principale est une planche longue d'environ 1m70, large de Om,50 et épaisse de 0m,05 qui, de chaque côté et à un de ses bouts, a un rebord de 0m,02 à 0m,03. Il appuie à terre le bout muni d'un rebord et pose l'autre sur un tréteau de 0m,50 de hauteur. Sur cette planché inclinée, il cloue légèrement trois morceaux de gros drap, ayant chacun une longueur égale à celle de la planche, le second à Om,30 ou 0m,35 du premier et le troisième à la même distance du second. Il assujettit en plus, sur le bout supérieur de la planche, une espèce de corbeille ou claie en osier, à fond ovale, dont la convexité est tournée vers le bout inférieur de la planche. Cette corbeille est le premier crible au travers duquel il fait passer le sable par des lotions réitérées, pour en séparer les pierres et le gravier. Lorsque la corbeille ne renferme plus que des matières trop grosses pour passer à travers les barreaux de la claie, le laveur la vide, la remplit de sable et continue le lavage. La terre, la poussière, toutes les particules ténues et légères sont poussées par l'eau jusqu'au bas de la planche. Il en est de même des grains de sable les plus gros, que la pesanteur entraîne, aidée par l'eau; les paillettes métalliques sont trop fines pour être mêlées avec ceux-ci. Enfin, les grains fins, mais pesants, et qui n'ont pas pu, comme la poussière, être délayés'par l'eau, rencontrent, en descendant, les poils du drap) et y sont arrêtés. Ce sont, pour eux, autant de petites digues disposées de distance en distance et qu'ils n'ont pas la force de vaincre. C'est parmi les grains de cette dernière espèce que l'on trouve les paillettes d'or, qui y sont confondues avec un volume de sable qui dépasse considérablement le leur. Après que le crible a été rempli un certain nombre de fois, les morceaux de drap sont tout couverts de sable et ne sont plus en état d'en arrêter de nouveau. On les détache, on les lave dans une cuve pleine d'eau, pour leur ôter le sable qu'ils ont retenu et qui a fait l'objet d'un travail précédent. Enfin, on attache une seconde fois les morceaux de drap et on répète les mêmes manœuvres jusqu'à ce qu'on ait ramassé une certaine quantité du sable qui est retenu par le drap. On lave d'une manière moins grossière et avec plus de précautions le sable plus riche qu'on a ainsi rassemblé. On en met une partie dans un vase en bois creux comme une nacelle. Le laveur remplit d'eau cette nacelle il la prend ensuite à deux mains; il l'agite légèrement, à peu près comme on agite le van à bras pour vanner le blé. Le vanneur se propose de faire venir à la surface les grains et les pailles; le laveur veut aussi amener le sable le plus léger au-dessus de l'autre et donner aux grains les plus pesants la facilité de descendre au fond du vase. Enfin quand une partie des grains légers a pris le dessus, on verse doucement l'eau; elle les entraîne. Au reste, il est aisé de voir si ce sont les grains légers qui sont en dessus leur couleur est différente des autres et presque toujours blanchâtre. Quand on a mis le vase dans une position inclinée, on distingue, depuis son fond jusqu'à ses bords, trois ou quatre bandes de nuances différentes, qui montrent l'ordre des matières suivant leur densité. Ce travail, quoique simple, demande de l'adresse et beaucoup de patience. A mesure qu'on répète cette opération du vannage à l'eau, on emporte le sable blanc et léger; alors celui qui reste, prenant une couleur foncée, permet de distinguer les paillettes, qu'on choisit à la main quand elles sont assez grosses. Si, au contraire, elles sont trop petites et que, par les lavages, le sable soit devenu assez riche, on le chauffe fortement pour le sécher et on verse dessus une certaine quantité de mercure avec lequel on le pétrit et qui s'empare de tout l'or qu'il contient. L'or est ensuite facilement séparé du mercure et obtenu à l'état de pureté par un procédé fort simple. On commence par séparer, par des lotions réitérées, du sable restant l'amalgame d'or et de mercure. Puis on le presse fortement dans une peau de chamois le mercure liquide passe à travers les pores de la peau, dans l'intérieur de laquelle reste un noyau d'or imprégné de mercure. Il n'y a qu'à distiller le mercure pour que l'or reste au fond de la cornue où l'on opère la distillation. Autrefois, il y avait des laveurs d'or depuis Bâle jusqu'aux environs de Manheim. Maintenant, le travail est concentré entre le village de Wittenwier et la petite ville de Philippsbourg. Suivant les laveurs, le précieux métal se trouve dans un gisement de gros cailloux brunâtres, mêlés de sable noir, le long du bord du Rhin, à 0m,78 ou 0m,80 au-dessous de la surface de la terre végétale. L'or doit avoir été apporté par l'Aar, le Holz, le Goldemme et l'Iltis, torrents qui tombent des Alpes de la Suisse. Les gisements aurifères exploités par les orpailleurs du Rhin contiennent de 13 à 15 parties d'or sur 100 millions de sable, de sorte que, pour obtenir de 13 à 15 kilogrammes d'or, il faut laver 100 millions de- kilogrammes de sable, et, comme 1 kilogramme d'or vaut un peu plus de 3,000 francs, un ouvrier doit, pour gagner cette somme, se livrer à ce travail énorme qui consiste à remuer et à laver environ 7 millions de kilogrammes de sable. On voit, par ces chiffres, combien est ingrat et peu lucratif le travail de l'orpailleur, lequel est à peu près abandonné en France.
[...] la valeur réelle de ce métal a bien diminué depuis la découverte du nouveau monde[...] "
En 1937, dans un article consacré à Seltz, La vie en Alsace, une revue mensuelle éditée par Les dernières nouvelles d'Alsace précisait les conditions de l'orpaillage au 17ème siècle:
Au 17e siècle, le monopole de l'orpaillage était acquis aux Pfalgraves, en communauté avec certains couvents, et fut très activement exploité par eux. Le Pfalzgraf céda contre rétribution à des tiers une concession aurifère sur le parcours rhénan depuis Seltz à Mannheim. Le rendement était minime et l'exploitation onéreuse. Les sables du Rhin contenaient une quantité aurifère d'environ 0,000.000.12, rendement sur lequel 50% se perdaient par un procédé de lavage encore à l'état primitif. Vers 1670 cette industrie était très en vogue. En 1674 l'orpailleur Rudolph Keller à Dengelsheim (près Seltz) paya au couvent de Schwarzach 6 florins comme impôt d'exploitation. Frédéric Müller, également orpailleur à Sessenheim, paya en 1705 au même couvent 8 florins, somme suppléée d'un quart de sable aurifère. Le dernier orpailleur P. Paul Lehmann de Münchhausen est mort en 1904 à l'âge de 89 ans.
Dans un registre de recette déposé aux archives départementales de Strasbourg, le trésorier du Pfalzgraf réclame aux communes de Seltz et Münchhausen l'impôt d'orpailleurs (Golderzins) pour l'année 1740. Dans une statistique établie pour la région de Seltz et publiée en 1861, il est prouvé qu'un kilo d'or est dispersé dans 7.000.000 de kilos de sable aurifère. Ainsi de 1812 à 1820 la productivité moyenne a été de 948, et de 1.117 couronnes en 1822. En 1820- 21, 132 personnes ont gagné environ 8.131 florins 38 Kreutzer. Avec l'or, ainsi extrait, on a fabriqué des ducats appelés "Ducats du Rhin" fort recherchés par les numismates à cause de leur haut titre. C'est cette industrie rhénane que le grand compositeur Richard Wagner caractérisa plus tard dans un cadre mythologique dans son opéra «Rheingold » (L'Or du Rhin) qui a comme suite le « Nibelungenring » (L'Anneau des Niebelungen) où sera forgé avec l'or du Rhin, métal magique, l'anneau du Niebe-lung, gage de toute puissance, que Wotan réussit à conquérir et à racheter la déesse de l'amour et de la beauté « Freïa ».
Mes Voyageurs de l'Or du Rhin, que vous pourrez voir émerveillés par le grand fleuve qu'ils traversent au pont de Kehl et qui les fascine le soir à Bâle, sont cependant attirés par les seuls ors de la musique et du poème wagnériens.
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