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dimanche 30 juin 2019

Louis II de Bavière et Richard Wagner au regard de la presse catholique ultramontaine française

Page de couverture du Cygne des
Wittelsbach
Dans notre recueil Louis II de Bavière. Le Cygne des Wittelsbach. (BoD, 2019), nous avons recueilli des textes que la presse catholique ultramontaine française publia au moment de la mort tragique du roi Louis II de Bavière. Les journalistes s'interrogeaient sur les causes prochaines et lointaines de la mort du roi, cherchant à faire porter le poids de la faute au gouvernement libéral bavarois, à leurs yeux inféodé à la Prusse et manipulé par Bismarck et les milieux francs-maçons.

Rappelons qu'au moment de la mort du roi Louis II, la Bavière était dans la situation paradoxale d'avoir un gouvernement minoritaire libéral nommé par le roi alors que la majorité des chambres était catholique. Cette situation était le fait de la Constitution bavaroise qui donnait au roi le pouvoir de choisir son gouvernement indépendamment de la composition des chambres. Face à cet état de choses se développa l'idée que le gouvernement libéral, à la solde de la Prusse protestante, laissait libre cours à toutes les lubies du roi pour mieux l'isoler et avoir ainsi les mains libres pour gouverner à sa guise. 

La réflexion des catholiques est évidemment partisane, mais mérite qu'on s'y attarde : les responsables politiques libéraux bavarois ont-ils délibérément isolé le roi et ont-ils par la même contribué à l'installer dans ses idées absolutistes et contribué volontairement ou nom au développement de sa folie supposée ?

Il est intéressant de constater que les catholiques ne s'attaquent jamais à la royauté en tant que telle. Le principe monarchique ne peut être remis en question. C'est que la grande majorité d'entre eux  se montrait attachée à la monarchie, tant dans l'hexagone qu'en Bavière. En France, ils étaient légitimistes et ultramontains. Ainsi, dans la question de l'infaillibilité du pape, à laquelle Louis II s'était vigoureusement opposé, ils ne condamnent pas la personne sacrée du roi, mais dénoncent l'influence et les manigances de la Prusse protestante.

On le lira dans les extraits du Cygne des Wittelsbach qui suivent, Richard Wagner est constamment associé à la Prusse et à son emprise sur la politique bavaroise. Il est l'allié de l'ennemi, sinon son envoyé, un espion infiltré. La presse catholique voit en Wagner un Prussien honni et stigmatise le révolutionnaire de 1848, condamné à mort et dont la tête fut mise à prix. Elle dénonce le goût effréné de Wagner pour le luxe et les projets dispendieux (dont le projet d'un théâtre wagnérien sur les rives de l'Isar), ses idées politiques subversives. Elle s'attaque aux "moeurs dépravées" du compositeur. Il est le favori du roi, comme Lola Montès fut celle de son grand-père. Le roi Louis II, entièrement sous la coupe du compositeur, n'a comme unique objectif que le développement de la musique et des arts, et ne remplit pas les tâches de la fonction royale. Et quelle musique ! Une musique "cahotée, qui tend les nerfs et agite le coeur, ..."  On ne rencontre dans ces textes aucune appréciation positive pour la musique de Richard Wagner et, à fortiori, nulle once d'enthousiasme.

Crime majeur pour les catholiques, Richard Wagner est protestant ! Le roi d'un pays catholique s'est entiché d'un musicien prussien protestant adepte de la franc-maçonnerie ! C'est évidemment impardonnable. Les auteurs catholiques français n'ont de plus évidemment pas oublié la guerre franco-allemande de 1870 et l'humiliante défaite qui avait conduit à la chute de l'Empire et à l'instauration de la troisième République. Richard Wagner avait en 1870 dansé à sa manière sur la tête de la France vaincue en écrivant Une Capitulation, comédie à la manière antique, et, à la même époque, donné son Ode à l’armée allemande devant Paris, et sa Marche impériale (la fameuse Kaisermarsch de 1871), autant d’œuvres humiliantes pour les Français.

Arthur (Clément) Savaète un auteur bien informé

Notre recueil Louis II de Bavière. Le Cygne des Wittelsbach reproduit les deux opus que l'auteur catholique ultramontain français Arthur Savaète consacra à la mort tragique et au règne du roi à Louis II de Bavière, dont nous extrayons les principaux extraits présentés à la fin de cet article. Il publia Autour d'un drame en feuilleton dans la Revue du monde catholique à l'été 1886, peu de semaines après la mort du roi. Il reprit son argument en le développement considérablement dans Le Cygne des Wittelsbach, la première partie des ses Soirées franco-russes, elles aussi publiées en feuilleton dans la même revue, puis éditées dans un livre aujourd'hui introuvable en librairie.

Arthur Clément Savaète est né le 20 septembre 1858 à Caëstre, une commune située en Flandre française. Il était le fils de Chrétien Louis Savaète et de Catherine Virginie Deschilder (1835-1886), qui avaient eu neuf enfants. 

En 1886, Arthur Savaète devenu parisien est chroniqueur à la Revue du Monde catholique, dans laquelle il publie, quelques mois après son mariage, Autour d’un drame, sa première étude consacrée au règne et à la mort du roi Louis II de Bavière. Il a alors 27 ans. Autour d'un drame a la forme d'un dialogue politique, une forme qu'Arthur Savaète reprendra 13 ans plus tard en la développant sous le titre du Cygne des Wittelsbach. A la lecture de ces livres on est frappé par la grande précision et l'exactitude historiques des faits rapportés qu’il y apporte, accumulant des détails pointus concernant l’histoire et la politique bavaroises sous le règne de Louis II. Une telle précision, une telle connaissance du terrain dépassent de loin la masse d’informations dont disposent la plupart des autres chroniqueurs français à cette époque. Cela tient au fait qu’Arthur Savaète connaît bien l’Allemagne et a résidé dans la capitale bavaroise où vivaient des membres de sa famille bien introduits dans les milieux aristocratiques et ecclésiastiques, dont ils éduquaient les enfants. 

Ainsi le professeur Florent Savaète était-il à l'époque de la mort du roi le directeur d'un pensionnat bavarois qui préparait à la Pagerie royale (1) et au Corps des Cadets. Arthur-Armand Savaète (2 et 3), frère aîné d’Arthur Clément, était professeur et inspecteur des Pages de S. M. le Roi de Bavière. Il  y exerçait ces fonctions depuis 1882 et avait aussi été nommé Commandeur de l’Ordre de Saint-Michel (4) en reconnaissance des services rendus à la Bavière. Arthur-Armand Savaète avait épousé une Bavaroise, Hélène Neumeyer, née en 1868, dont la tante, Louise Neumeyer, et la sœur, Marie Neumeyer, tenaient un Institut privé pour jeunes filles de bonnes familles. L’Institut Neumeyer, fondé en 1817, avait une adresse prestigieuse au 7 de la Ludwigstrasse, à deux pas de la Résidence royale et de l’église des Théatins. Arthur-Armand et Hélène Savaète devaient reprendre plus tard, en septembre 1907, la direction de l’Institut. Arthur Clément Savaète insérera à cette époque et dans les années suivantes des annonces publicitaires dans la Revue du Monde catholique dont il est devenu le directeur, dans lesquelles il se propose comme intermédiaire possible pour l’Institut munichois. 

Ainsi, parce qu’ils se voient confier leur progéniture, Arthur-Armand et Hélène Savaète côtoyaient-ils le meilleur milieu aristocratique munichois, un milieu catholique, conservateur et traditionaliste, dont les membres étaient en relation avec la famille royale, et dont les représentants étaient majoritaires au Landtag bavarois. Leur institut organisait des conférences auxquelles venaient assister des membres de la famille royale. 

Le nom d’Armand Savaète se retrouve par ailleurs dans la liste des collaborateurs de la Revue du Monde catholique. Lorsque cette revue devient par la suite la Revue du Monde ancien et nouveau, dirigée par Arthur, Armand en devient le secrétaire de rédaction. En 1905, Armand et Arthur assistaient ensemble aux funérailles d’Eugène Veuillot, le directeur du journal L’Univers.

On s’en rend compte, les frères Savaète était très unis. C’est par son frère aîné et sa belle-sœur qu’Arthur était informé en direct des événements de Bavière et de la perception qu’en avait la majorité catholique hostile à la mainmise de la Prusse sur le pays. Ils s’étaient trouvés aux premières loges pour suivre les événements de la fin du règne du roi Louis II et Arthur Savaète, qui séjourna fréquemment en Bavière, profita pleinement de cette source d’informations de première main, ce qui rend ses textes particulièrement précieux.

Extraits d'un article de H.-G. Fromm dans un article de l'Univers (5) du 18 juin 1886 intitulé 
" Le drame bavarois "

[...] un changement étrange s'opéra dans toute l'existence du roi. Lui jusqu'alors catholique fervent et zélé, il s'engoua d'un homme, naguère fougueux révolutionnaire, condamné à mort dans son pays natal en Saxe pour avoir fomenté la révolution de Dresde du mois de mai 1849. Cet homme, instrument avéré de la loge et dignitaire maçonnique, le fameux compositeur Richard Wagner, amena, par son influence, un bouleversement total dans les dispositions du jeune roi. Il fut nommé intendant général de la musique de chapelle de Sa Majesté et disposa entièrement des faveurs et de la caisse royales. [...]

[...] Depuis bien des années le roi recherchait la solitude, il s'était imaginé vivre à une époque - celle de Louis XIV - qui lui était particulièrement chère, il s'était lancé dans des constructions à la Louis XIV, il s'était détourné de sa famille, du monde, de son peuple, pour vivre au milieu de gens prêts à satisfaire le moindre de ses caprices.  
      Le devoir d'un ministère soucieux de son honneur et de celui de la couronne n'aurait-il pas été de faire des représentations respectueuses, mais catégoriques et énergiques ? Le roi Louis II aurait ainsi retrouvé la santé et conservé son trône et sa vie. On ne l'a pas fait, ou plutôt on l'a fait trop tard ; on voulait conserver le pouvoir et exploiter l'antipathie du roi Louis II contre tous ceux qui se disaient franchement catholiques, antipathie que la loge avait su habilement développer grâce à son agent, Richard Wagner, le fameux compositeur, le plus dangereux favori du roi. [...]

Extraits d'Autour d'un drame. La Bavière et la Prusse et du Cygne des Wittelsbach d'Arthur Savaète.

[...] J'ai entendu accuser le comte Holnstein d'avoir contribué puissamment à priver le roi des lumières des honnêtes gens. Il est vrai, que la première année de son règne, Louis II avait appelé à sa cour Richard Wagner, dont il semblait ignorer les mœurs dépravées et les idées subversives, pour n'admirer en lui qu'un génie rare et puissant ; Lutz lui-même était à l'horizon. Ces trois hommes paraissent avoir eu jusqu'au bout une influence délétère. Auquel d'entre eux faut-il intenter un procès? Sont-ils coupables des fautes du roi ? Faut-il faire retomber sur eux, pris ensemble ou isolément, les responsabilités prochaines et éloignées des événements tragiques dont l'Europe a été si vivement émue ?  [...]

[,,,] les Munichois ne pardonnaient à Wagner ni ses antécédents révolutionnaires, ni son incrédulité, ni l'amitié enthousiaste, déshonorante, à leurs yeux, qu'il avait inspirée au jeune monarque. [...]

[...] dès la première année de son règne, Louis II avait appelé près de lui Richard Wagner, dont il voulait ignorer les mœurs dépravées et les idées subversives, pour n'admirer en lui que son génie aussi rare que puissant. [...]

[...] Que l'arrivée de Wagner à Munich ait secondé les desseins de la Prusse, cela est évident ; que Bismarck ait délégué l'auteur des Maîtres Chanteurs à cet effet, rien ne le prouve. [...]

[...] On accuse la musique de Wagner de faire suer et dormir, de tendre les nerfs, d'agiter le pouls, de serrer le cœur, d'éveiller même certain érotisme. Il est pour le moins certain qu'elle produit un effet très voisin de l'hypnose que des savants ont voulu définir. Le vulgaire des mortels, des gens aux nerfs rassis, à l'esprit lucide, des étudiants, des médecins, des magistrats, n'échappent pas, en l'écoutant, à une sorte de fascination caractéristique, et le docteur Alfred Warthin, qui a déjà tant fait pour établir les conséquences psychiques d'une audition wagnérienne, voudra nous dire un jour, espérons-le, ce que la Bavière doit à Wagner de désolation, aussi bien que d'innocentes manies et de gloire douteuse. [...]

[...] Louis II était un malade qu'au lieu de flatter il aurait fallu soigner. La science, qui a fait des progrès, le dirait aujourd'hui névrosé, hystérique. La musique a certainement des effets thérapeutiques; mais il aurait convenu de plonger le malheureux monarque dans des bains d'harmonie autres que ceux que lui préparait la muse cahotée de Wagner. Beethoven eût mieux fait son affaire.[...]

[...] Ce n'est pas en France que nous serons accusés de professer envers Wagner, ses mœurs, ses idées, son œuvre, en somme prodigieuse, une admiration aveuglément enthousiaste. A tort ou à raison, nous avons reproché au ménestrel ambulant que Wagner était jadis son ingratitude et son injustice. Son œuvre nous semble, en partie du moins, un dénigrement systématique de notre pays, une excitation haineuse contre la France. C'est peut-être bien pour avoir su flatter habilement les passions gallophobes de son entourage et des Allemands qu'il s'est assuré de son vivant une sorte d'immortalité. Pour en revenir à Louis II, disons-le sans détour, le roi était fait pour Wagner, et celui-ci était fait pour le roi ; c'étaient deux êtres incomplets quoique extraordinaires, et ils auraient fait ensemble le bonheur des noctambules raffinés, si Louis II n'avait été qu'un roi d'opéra au lieu d'être un souverain responsable ayant charge de peuple dans des circonstances internationales particulièrement difficiles. [...]

[...] c'est en feignant de partager les rêves d'existence personnelle qu'avait le jeune souverain, en élevant jusqu'au délire son admiration exaltée pour sa dignité et sa propre nature, qu'on lui représentait comme infiniment supérieure à celle du commun des mortels ; c'est en lui facilitant de jouer avec le concours de Wagner des rôles ridicules dans la réalité banale de la vie ; c'est enfin en le poussant à se faire le roi fantastique d'une féerie impossible, que les libéraux obtinrent la faveur du souverain [...] 

[... Le roi] allait alors au son de la flûte réformer la société ! La musique et l'art, à ses yeux, adouciraient les mœurs et amélioreraient les hommes. Il cherchait comme législateur un artiste doublé d'un philosophe, et il mit la main sur un charlatan. Car en politique on ne peut définir autrement Richard Wagner, en qui il mit toute sa confiance.
       Sur ces entrefaites, autour des deux souverains, car R. Wagner participait à la souveraineté de Louis II qu'il dominait, autour de ces deux souverains, dis-je, qui erraient au milieu de précipices en devisant sur la beauté des deux, Bismarck poursuivait son œuvre souterraine. [...]

[...] Louis II, encore enfant, monta sur le trône, occupé uniquement à répudier sa fiancée, à braver son peuple en lui imposant le joug ridicule d'un barde étranger, d'un barde qui faisait des rêves que la munificence d'un roi hypnotisé et prodigue pouvait seul réaliser. Wagner voulait, en effet, révolutionner l'art dramatique et réformer de fond en comble toutes les habitudes du théâtre. Pour le satisfaire, il fallait un théâtre nouveau, aménagé d'après des données inusitées jusqu'alors, dont la décoration, la machinerie et tout l'agencement étaient encore inconnus. De plus, l'orchestre devait être une masse passive et les chanteurs avoir une souplesse capable de les plier aux plus extravagantes fantaisies. Est-ce que le roi ne s'y prêtait pas lui-même ?  [...]

[...] En dehors de la musique, où sa compétence était admissible, R. Wagner se mêla de légiférer. Les scribes et les légistes se montrèrent moins souples que les cornets et les trombones, moins résignés surtout que des chanteurs. Ils poussèrent en effet tant et de si hauts cris, multiplièrent tellement leurs plaintes et leurs griefs, attendrirent si bien la foule sur le sort qui leur était fait, sur le sort pire encore qui attendait le peuple, qu'une multitude de mécontents faillit se soulever et réclamer la tête de Wagner. [...] 

[...] le comte Holnstein, Lutz et Richard Wagner, dans l'ordre physique et moral, dans sa vie privée, dans sa vie publique, de bonne heure, ont tari chez le roi la source, des plus belles espérances. Ils sont coupables, chacun dans la sphère de son influence, de ce qu'on a pu reprocher à leur souverain. [...] 

Notes

(1) La Pagerie royale bavaroise (Königliche Bayerische Pagerie) avait à cette époque ses locaux dans le Maximilianeum de Munich. On n’admettait dans cet institut que des jeunes gens de première noblesse, après un examen sévère. Ils y étaient préparés aux cours universitaires et à l’état militaire. Les leçons latines, les leçons tactiques et celles de langues vivantes et d’art étaient données dans l’établissement. 

(2) Fait quelque peu inhabituel, les deux frères Savaète portaient le même prénom d’Arthur. L’éditeur parisien, Arthur Clément, est toujours désigné sous le prénom d’Arthur. Le professeur munichois, Arthur Gaston Armand (né à Caëstre le 31 août 1856), est désigné sous le prénom d’Armand dans la Revue du Monde catholique ou dans les actes d’un procès qui eut lieu en France, et sous son prénom officiel d’Arthur dans tous les documents officiels bavarois et dans la presse munichoise. 

(3) Arthur-Armand est arrivé à Munich en décembre 1881 ; il est répertorié, au moins de 1886 à 1913, en tant qu’inspecteur et professeur de français à la Pagerie royale, dans les éditions du Hof- und Staatshandbuch des Königreichs Bayern (Guide de la Cour et de l’Etat du royaume de Bavière). 

(4) L’Ordre bavarois de Saint-Michel. Le grade de Commandeur avait été institué par le roi Maximilien II. Arthur-Armand était également détenteur d’autres distinctions, françaises et autrichiennes.

(5) Trois importants journaux catholiques se partageaient le lectorat catholique conservateur français à l'époque de la mort du Roi Louis II : La Croix, le Monde et l'Univers.


Ce livre comporte 31 passages concernant les relations du roi et du compositeur.

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