L'Achille triomphant importé par Guillaume II |
Un article anti-wilhelmien de 1916, en pleine première guerre mondiale.
Le Paradis perdu
in La Cocarde, 31 mars 1916
Quand Guillaume II, empereur des brumes asphyxiantes, escalada au pas de l’oie la colline corfiote parée de glycines, embaumée d’orangers, où il venait entreprendre une cure de soleil et de T.S.F., l’incomparable douceur des choses amollit un instant son rêve brutal.
«C’est donc ici le Paradis », s’écria-t-il, en contemplant les molles collines qu’argentent les oliviers, l’ombre fine des cyprès et des pins parasols, la grâce des jardins d’or suspendus sur la mer violette.
«Quinze jours de paradis », répétait-il avec un étonnement ingénu à ses hôtes civils et militaires. En fait, c’est seulement au bout de deux semaines que ce lyrique locataire commença de méditer l'adaptation stratégique de son paradis adriatique et l'adjonction désirable d’un petit enfer sous-marin.
L’expulsion n’est aujourd’hui que plus cruelle. Guillaume II regrette à la fois ses bosquets de jasmins et de barils de benzine, ses œuvres d’art et son relais d’espionnage, surtout cette installation chez son
compère Achille qu’il estimait éminemment flatteuse.
Comme il commentait le charme de l’Achilleion devant Herr Ballin, l’homme de I’ex-Hamburg Amerika, cet Israélite d'empire proposa avec un froid sourire :«Votre Majesté ne songe-t-elle pas à baptiser sa propriété «le Wilhelmeion »? Guillaume II réfléchit un instant puis, le plus sérieusement du monde, répond : «Bah Achilleion, Wilhelmeion..., n’est-ce pas la même chose ?»
Achille en effet impose au délicat décor de Corfou une disgrâce toute germanique dont l'impératrice Elisabeth et l'expulsé d’hier se partagent les responsabilités
Pour honorer le souvenir d’un héros de plein air, les artistes teutoniques ont souhaité une bonne grosse bâtisse de lourde pierre. Dans leur délicate conception, une colonnade suffit à consacrer un temple grec ; et plus il y a de colonnades, plus c’est grec...
Ils ont donc, sans compter, écrasé la colline, rompu la ligne de l’horizon sous une façade démesurée, maladroitement juchée à mi-hauteur. Pour faire à la fois économique et kolossal, le stuc remplace la mosaïque et le staf le marbre ; pour ménager la manie hygiénique du locataire, on lessive, on gratte, on repeint sans relâche. C’est blanc, sec, froid, stupidement rebelle à la patine du soleil et du temps.
Mais, dans l’irréductible beauté du paysage, l'ensemble passerait, si ce palace ne prétendait au musée, musée dont Guillaume II était si satisfait qu'il en dévoilait aux passants les trésors au prix de deux drachmes, vestiaire compris, soit un peu moins de quarante sous, même en temps de paix, c'était bien cher.
Le grand escalier, la salle à manger, l’appartement de Guillaume offrent une infâme combinaison de Pompéi et de Munich. Dans chaque loggia, une divinité "genre Parthénon" est muée en torchère électrique ; sur chaque panneau, cavalcadent des escadrons d’amours gigantesques, décemment drapés de feuilles de vigne en faux or et bourgeonnant de lampes incandescentes. Sous le grand portique, la mobilisation des bronzes et des marbres est générale. Les sept sages, Apollon, ses muses, coureurs, gladiateurs, un étalage d’Achilles à l’entraînement, au combat, à la mort En sous-sol une grotte des glaces où l’empereur aimait à prendre le café et qui ferait la gloire d'une maison d'illusions provinciale. C’est le triomphe du toc et le conservatoire du simili.
Les jardins eux-mêmes, les jardins aux odorants détours et au délicat mystère ont subi l'impérialiste sabotage. Guillaume II a marqué sa prise de possession par deux hauts faits artistiques. D'abord le déboulonnage d’Henri Heine à qui la triste Elisabeth avait voué un temple de mémoire, couronné de la victoire ailée. Guillaume ne pouvait tolérer l’image de ce prophète de la révolution tudesque, «cette
révolution auprès de laquelle toutes celles de l’Histoire n’auront été que des jeux d’enfant.... ». Il fait donc exécuter Henri Heine. A cause de la victoire, l’empereur souhaite le remplacer par son propre buste. Mais par une macabre galanterie il lui substitue l’effigie de la pauvre Elisabeth, épouse ou mère des plus constants vaincus du siècle.
Après quoi, Guillaume commande au professeur Goetz un Achille supplémentaire et décisif, un Achille en tenue de parade et, naturellement, plus grand que l’Histoire.
Ce monstrueux engin, braqué sur la mer, tourne le dos. si l’on ose dire, aux visiteurs issus du palais et leur inflige ainsi une première vision d’un comique un peu spécial. De face l'impérial Achille est moins gai, visiblement las de coltiner les boucliers de blindage, la lance à longue portée et tous les accessoires d’airain dont le professeur Goetz lui fut prodigue. Cet outillage métallique ravissait Guillaume, qui peut-être songeait à tout ce que ça donnerait à la fonte. Et l’empereur n'a pas hésité à signer l’objet en ces termes d’une aimable simplicité :
«Guillaume, chef des Germains puissants, a dressé ici Achille, fils de Pélée, pour perpétuer son souvenir dans la postérité. »
Mais l’ingrate postérité oublie, veut oublier cette burlesque consigne. Elle néglige le saboteur de l’Achilleion. Guillaume peut-être avait eu le pressentiment de cette expiation. Une seule chose
l’irritait à l'Achilleion. Les sonneries françaises des clairons grecs qui, au bas de la colline, répétaient la casquette et la charge. Celles-là sonnent plus claires maintenant au seuil de l’irrétrouvable paradis dont l’empereur tragique n’emporta qu'une réduction en bronze de son monstrueux Achille. Et l’expulsé de Corfou la contemple maintenant avec amertume, songeant que, malgré les blindages et les airains, celui-là aussi fut vulnérable et que - talon, gorge ou cœur - il n’a plus que la choix de sa chute.
Rodolphe. Les textes de Mayerling.
Les diverses versions du drame de Mayerling sont présentées dans mon recueil Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020).
Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.
Comment s'est constituée la légende de Mayerling? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.
Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :
1889 Les articles du Figaro
1899 Princesse Odescalchi
1900 Arthur Savaète
1902 Adolphe Aderer
1905 Henri de Weindel
1910 Jean de Bonnefon
1916 Augustin Marguillier
1917 Henry Ferrare
1921 Princesse Louise de Belgique
1922 Dr Augustin Cabanès
1930 Gabriel Bernard
1932 Princesse Nora Fugger
Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.
Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020. En version papier ou ebook (ebook en promotion de lancement).
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