Zina Merante / Source : le site des collections des muséesde Paris |
L'auteur anpnyme de cet article du Gaulois (08.04.1869) , signé X, se montre plutôt favorable à la première production parisienne. L'article est suivi, sur la même page du journal, de diverses notes sur la censure, une danseuse étoile du ballet et le commentaire désabusé du compositeur Hervé, que l'on surnommait "le compositeur toqué).
RIENZI
Les dieux me feront-ils l'insigne faveur de me laisser quelques parcelles de bon sens au moment où je m'apprête à rendre compte de la représentation de Rienzi, et pourrai-je franchement. sans parti-pris d'enthousiasme ou de dénigrement, exprimer ce que me fait éprouver l'audition de cet opéra de Wagner ?
C'est que vraiment, dans les soirées semblables à celle à laquelle j'ai assisté hier, il paraît y avoir, dans chaque spectateur, l'étoffe d'un conspirateur ou d'un fanatique.
La saine raison nous préserve du ces exagérations dangereuses, et puisse-je déplaire en même temps aux tièdes et aux incrédules, ceci sera la preuve que seul je serai dans vérité !
Il y aurait un curieux rapprochement à faire entre la première représentation du Tannhauser et la première représentation de Rienzi. La petite troupe de fanatiques qui avait combattu vaillamment il y a quelques années pour l'honneur du drapeau et qui s'était fait écraser avec gloire à l'Opéra s'est recrutée de nouveaux et de courageux volontaires ; de bande qu'elle était, elle s'est faite armée et ,disciplinée, elle donne maintenant, au soir du combat, avec l'aplomb et la confiance qu'ont en eux-mêmes les corps d'élite.
Au Tannhauser, la foule était hostile, et la minorité sympathique fut écrasée ; à Rienzi, la foule était enthousiaste de parti-pris, et les rares protestations qui ont maladroitement essayé de se produire, après les plus belles parties de l'œuvre, ont été étouffées sous la vindicte commune.
Je ne sais pas s'il est possible de tirer un plus mauvais parti d'un plus admirable sujet que l'a fait l'auteur du poème de Rienzi. On prétend, on soutient que Wagner fut son propre parolier, je n'en veux rien croire ; un compositeur n'a jamais pu produire un livret aussi anti-scénique et aussi anti-musical ; Wagner a endossé généreusement une responsabilité qu'il aurait dû rejeter et il a fait un tour de force dont il est impossible de ne pas lui tenir grand compte en mettant en musique ces scènes cousues les unes au bout des autres sans suite, sans drame, sans passion, sans raison d'être.
Le sujet de Rienzi, - cinq actes, s'il vous plaît ! -, se résume à ceci: des Romains, plébéiens ou patriciens, qui partent pour se battre et qui reviennent de se battre : voilà tout ; rien autre chose ; les plébéiens se soulèvent et chassent les patriciens ; les patriciens, qui n'acceptent pas leur défaite,se révoltent_et combattent les plébéiens, les plébéiens, pour se venger des patriciens, s'en vont en guerre et écrasent leurs ennemis qui à leur tour reprennent le dessus et finissent par triompher. Il n'y a vraiment pas de raison pour que cela finisse ; c'est la théorie du " à toi ! à moi ! " poussée jusqu'à ses dernières limites, coups pour coups, Chant du départ contre Marseillaise, hurlements contre vociférations, imprécations contre anathèmes, tout cela sans but, sans raison, sans excuse.
Le drame amoureux qu'on a essayé de broder sur cette cote de mailles est véritablement enfantin il ne tient que par un fil à l'action, il est ballotté par elle comme une petite barque attachée aux flancs d'un puissant navire et que l'on craint à chaque instant de voir s'abîmer alors même que nul orage n'agite la mer.
Le petit Colonna, un enfant, s'est énamouré de la sœur de Rienzi, et cet amour secoué, malmené, maladif, n'émeut et n'intéresse en rien.
Autant eût valu qu'il disparût entièrement du drame dans lequel il ne parvient pas à répandre une lueur de passion ou même de tendresse.
Sur ce livret que je vous demande la permission de ne pas apprécier, Wagner a écrit la symphonie du vacarme.
Suivant quelques personnes, c'est là de la musique de géant ; j'avoue franchement que je trouve cela de la musique de cent-garde. Il faut, pour exécuter une œuvre semblable, avoir des volontés, des voix et des poumons plus grands et plus solides que ceux de notre misérable et petite humanité et de même que ceux qui interprètent cette musique luttent en vain contre la débilité de notre modeste conformation, il faudrait, à ceux qui écoutent, des tympans plus solides, des oreilles plus larges et des facultés de compréhension tout à fait extraordinaires. En un mot, Wagner exige trop de ses artistes et demande trop à ses auditeurs.
La continuité de l'exagération musicale alors même que la situation ne la réclame pas, me fait comparer la partition de Rienzi à ces petits torrents formés de la fonte des neiges qui, larges d'un mètre à peine, roulent avec un fracas tout à fait inutile, exerçant leurs fureurs sur de malheureux cailloux qu'ils roulent et choquent les uns contre les autres. Jour et nuit, c'est la même orgie de grondements et de révoltes sans repos, sans trêve et surtout sans motif.
Un Wagnérien enragé qui se trouvait à mes côtés et à qui je me plaignais de ces exagérations de fracas, me disait : songez donc que c'est l'œuvre d'un jeune homme de dix neuf ans ; toutes les fois que l'auteur crie si fort, c'est qu'il ne sait plus comment se tirer d'un mauvais pas
J'accepte l'explication pour ce qu'elle vaut et en laisse la responsabilité à qui me l'a donnée.
Quoi qu'il en soit de ces critiques, l'immense succès qu'a accueilli la représentation de Rienzi est mérité en beaucoup de points ; lorsque Wagner s'abandonne franchement à ses idées mélodiques, qu'il a très belles, très grandes et vraiment d'un esprit supérieur, lorsqu'il consent à les renfermer dans un cadre bien défini et aux contours arrêtés, il obtient des effets de la plus admirable beauté.
Le premier acte renferme à lui seul de fort belles pages parmi lesquelles nous citerons l'appel aux armes et une certaine rentrée de violoncelles, au moment où Rienzi descend des marches de l'église. C'est de la belle musique, qui que ce soit qui l'ait signée ; Wagner, Rossini ou Meyerbeer.
Les couplets du messager, bissés au second acte, sont d'une douceur et d'un charme qui reposent au milieu de ces éclats de voix perpétuels ; dits avec goût par Mlle Priolat, ils ont obtenu un véritable succès. Le ballet, qui renferme des motifs charmants et fort habilement faits, n'a pas été assez apprécié ; on regardait trop Zina Mérante pour écouter avec attention.
Le septuor final du second acte est d'une merveilleuse beauté ; écrit avec la facture créée par les maîtres du, genre dramatique et adoptée franchement par Wagner, il rappelle les plus magnifiques finales de Meyerbeer. C'est d'un souffle puissant et vraiment superbe.
Il est impossible de suivre pas à pas cette partition touffue et de signaler les passages saillants ; d'ailleurs la place commence à me faire défaut. Citons seulement dans le troisième acte une romance pleine du sentiment le plus exquis, habilement dite par Mme Borghèse, et une belle prière de femmes.
Dans le quatrième acte, la prière de Montjauze a obtenu un succès très grand et très mérité ; on a même cruellement, pour le chanteur, cherché à la faire répéter ; mais Montjauze a eu le bon esprit de ne pas céder à ces exigences maladroites. Pour en finir avec la partition de Rienzi, disons, en un mot, que c'est le Crociato de Wagner, une œuvre encore indécise où l'on sent que le maître n'a pas encore trouvé sa voie, mais où l'on devine déjà dans les tentatives de l'enfant l'étoffe du chercheur. La représentation d'hier était une véritable bataille où Montjauze a combattu un grand et fier combat; jamais voix plus stridente n'a été plus hardiment mise au service d'un plus terrible rôle.
Le ténor du Théâtre-Lyrique s'est placé, aujourd'hui, en tête des grands artistes et nul aujourd'hui ne peut lui être préféré comme déclamation et sentiment lyrique. Montjauze a eu, hier, la plus belle soirée de sa carrière d artiste, et les acclamations du public ont dû lui prouver ce que son talent et sou courage inspiraient de sympathies.
Mme Borghèse, MM. Sternberg, Massy et Lutz out concouru chacun pour leur bonne part au succès de la soirée. A minuit et demi, on criait : Vive Wagner ! vive Pasdeloup !
Monsieur et madame de Metternich est-il content ?
X.
*****
Dans l'opéra de Wagner, joué hier soir au Théâtre-Lyrique, Montjauze (Rienzi) chantait encore à la répétition générale le vers suivant :
L'empereur contre nous se ligue avec le pape.
La censure a, dit-on, exigé que ce vers fût remplacé par celui-ci :
L'Allemagne aujourd'hui se ligue avec le pape.
Bien qu'ayant assisté à la première représentation de Rienzi, il m'a été impossible, malgré mon attention, d'entendre distinctement si la substitution ordonnée avait eu lieu, l'orchestration formidable du musicien de l'avenir couvrant de ses cuivres assourdissants la voix des acteurs, de telle façon que les paroles les plus subversives pourraient sans danger être prononcées sur la scène, attendu qu'on ne les entendrait pas dans la salle.
Mme Zina Mérante a produit le plus grand effet dans le ballet; elle a été adorable de grâce et de légèreté.
Ce ballet représente l'enlèvement des Sabines ; quatre Romains en tunique rouge, à casque à aigrettes et à ceintures d'acier, se livrent d'abord un simulacre de combat, puis arrivent quatre chevaliers armés de toutes pièces, ce sont les Sabins, ils provoquent les Romains, les terrassent et vont les tuer, lorsque tout à coup les Sabines se précipitent entre les combattants en dansant un pas de deux bien senti. Les Romains ne peuvent résister à des supplications accompagnées de ronds de jambes et de pirouettes, ils lèvent leurs boucliers en l'air et en forment une sorte de pavois sur lequel les danseuses s'élancent avec légèreté et forment un groupe gracieux ; il y a peut-être là une fine allusion à la supériorité de la femme sur l'homme, de la faiblesse adroite sur la force brutale ; dans tous les cas, ce ballet est bien monté et a été fort applaudi.
Me sera-t-il permis de donner un conseil à M. Pasdeloup : Que son chef d'attaque mette une sourdine à son organe.
Dans les moments pathétiques, quand par hasard l'orchestre jouait piano, on entendait tout à coup dans la coulisse éclater comme une détonation ces paroles qui n'ajoutaient rien au mérite de la situation :
Un deux trois quatre
Et les chœurs partaient. Cela a jeté un froid.
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M. Pasdeloup a du reste monté cet opéra avec un luxe remarquable les décors sont superbes et d'une grande vérité. L'embrasement du capitole au cinquième acte est saisissant.
Quant aux costumes, ils sont d'une richesse et d'une exactitude au-dessus de tout éloge.
Il faut féliciter le directeur du Théâtre-Lyrique d'une tentative qui lui fait honneur et dont le succès le récompensera certainement.
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Hervé était aux fauteuils d'Orchestre. On lui demandait à la sortie son opinion
- Peuh! fit-il, moi aussi j'ai fait une pièce dans laquelle il y a un homme qui arrive à cheval en scène, et ce qu'il chante est bien plus amusant !
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