Marie Mouchanoff dessinée par Cyprian Kamil Norwid vers 1848 |
En 1869, Richard Wagner décide d'une nouvelle publication de son opuscule Das Judenthum in der Musik qu'il avait publié en 1850 dans la Nouvelle Revue musicale de Leipzig sous le pseudonyme de K. Freigedank. Il signe cette fois la nouvelle édition de son nom propre, et la fait précéder d'une dédicace à Madame Marie Mouchanoff, née Comtesse Nesselrode (1), une lettre qui fait en quelque sorte office de préambule à son essai. Cette dédicace ne sera pas reprise dans la traduction française que B. de Trèves publia sous le titre Le judaïsme dans la musique à la Société d'éditions Muller (Paris).
La nouvelle édition est sortie en Allemagne au printemps 1869, au moment où Jules Pasdeloup s'apprêtait à faire connaître Rienzi au public parisien.
Dans la dédicace, Wagner affirmait vouloir répondre à une question que posa Marie Mouchanoff lors d'une conversation qui avait été rapportée au compositeur. Au cours de cette conversation, Madame Mouchanoff se serait interrogée sur les raisons de l'hostilité qui ne manquait pas de se manifester dans la presse tant allemande que française ou anglaise à chacune des nouvelles productions artistiques du compositeur. Wagner trouvait la raison de cette hostilité généralisée dans un complot général organisé contre lui par les Juifs. Il s'attache à y expliquer qu'il se place à un point de vue purement spéculatif et n'entend pas viser telle ou telle personnalité autrement que dans ses manifestations artistiques.
Voici comment Maurice Kufferath présentait le Judaïsme dans la musique dans Ouest-Artiste du 16 décembre 1893 :
" C'est avec une grande franchise que Wagner aborde la question de la persécution contre son oeuvre organisée selon lui par les Juifs dans la presse du monde entier : en Allemagne, c'était Ferdinand Hiller, dans la Gazette de Cologne, et son ami Bischoff, du Niederrheinische Musikzeitung, qui, au moyen d'articles de presse musicale, répandaient systématiquement le discrédit sur les productions nouvelles de Wagner, avant même qu'elles eussent paru. C'est à eux que l'on doit l'appellation de musique de l'avenir donnée aux compositions du maître. A Vienne, c'était M. Hanslick qui, dans la Nouvelle Presse libre, le journal le plus influent de l'Autriche, menait, lui aussi, une campagne acharnée contre l'auteur de Tannhäuser. A Londres, c'était encore un Juif, M. Davison, qui était le critique musical du Times, fameux par ses bévues ; lors de la première visite de Wagner à Londres (1854-55), il salua l'arrivée du Maître par une série d'articles où il le représentait comme l'insulteur de Mozart et de Beethoven, lui, l'auteur des pages les plus enflammées et les plus pénétrantes qu'on ait jamais écrites sur ces deux maîtres. (Voir l'excellent volume Musiciens, Poètes et Philosophes, aperçus et jugements de Richard Wagner, publié par Camille Benoît chez Charpentier.) A Paris... on sait ce que valait la presse musicale à l'époque où Wagner y vint pour la seconde fois et quelles influences dominaient alors le théâtre de l'Opéra. Faut-il s'étonner des résistances, des sourdes menées contre lesquelles le maître eut à lutter dès que son Tannhaeuser eut été mis à l'étude ? Avec quelque raison, il a pu dire, dans sa lettre à la comtesse Mouchanoff, qu'au point de vue artistique et culturel, la prédominance de l'élément sémitique dans la vie publique moderne était un grave problème, beaucoup plus grave même qu'il ne l'avait cru en 1850, lorsqu'il publia pour la première fois ses articles sur Judaïsme dans la Musique."
Voici comment Maurice Kufferath présentait le Judaïsme dans la musique dans Ouest-Artiste du 16 décembre 1893 :
" C'est avec une grande franchise que Wagner aborde la question de la persécution contre son oeuvre organisée selon lui par les Juifs dans la presse du monde entier : en Allemagne, c'était Ferdinand Hiller, dans la Gazette de Cologne, et son ami Bischoff, du Niederrheinische Musikzeitung, qui, au moyen d'articles de presse musicale, répandaient systématiquement le discrédit sur les productions nouvelles de Wagner, avant même qu'elles eussent paru. C'est à eux que l'on doit l'appellation de musique de l'avenir donnée aux compositions du maître. A Vienne, c'était M. Hanslick qui, dans la Nouvelle Presse libre, le journal le plus influent de l'Autriche, menait, lui aussi, une campagne acharnée contre l'auteur de Tannhäuser. A Londres, c'était encore un Juif, M. Davison, qui était le critique musical du Times, fameux par ses bévues ; lors de la première visite de Wagner à Londres (1854-55), il salua l'arrivée du Maître par une série d'articles où il le représentait comme l'insulteur de Mozart et de Beethoven, lui, l'auteur des pages les plus enflammées et les plus pénétrantes qu'on ait jamais écrites sur ces deux maîtres. (Voir l'excellent volume Musiciens, Poètes et Philosophes, aperçus et jugements de Richard Wagner, publié par Camille Benoît chez Charpentier.) A Paris... on sait ce que valait la presse musicale à l'époque où Wagner y vint pour la seconde fois et quelles influences dominaient alors le théâtre de l'Opéra. Faut-il s'étonner des résistances, des sourdes menées contre lesquelles le maître eut à lutter dès que son Tannhaeuser eut été mis à l'étude ? Avec quelque raison, il a pu dire, dans sa lettre à la comtesse Mouchanoff, qu'au point de vue artistique et culturel, la prédominance de l'élément sémitique dans la vie publique moderne était un grave problème, beaucoup plus grave même qu'il ne l'avait cru en 1850, lorsqu'il publia pour la première fois ses articles sur Judaïsme dans la Musique."
Nous reproduisons ici cette longue dédicace dans son original allemand et la faisons suivre de la réaction de Marie Mouchanoff que nous connaissons parce que cette grande dame l'évoque dans la correspondance suivie qu'elle entretenait avec sa fille, des lettres qui ont été conservées et publiées en 1907. Les deux femmes s'écrivaient en français, mais c'est un éditeur allemand qui publia cette correspondance sous le titre Marie von Mouchanoff-Kalergis geb. Gräfin Nesselrode in Briefen an ihre Tochter: Ein Lebens- und Charakterbild hrsg. von La Mara, Leipzig, Breitkopf u. Härtel, 1907.
Marie Mouchanoff avait eu la surprise de recevoir Das Judenthum in der Musik le dimanche de Pâques 1869 et réagissait dès le lundi dans une lettre adressée à sa fille. On le lira, tout en se sentant honorée par la dédicace de Wagner, la mécène polonaise ne fait pas preuve d'antisémitisme, et avoue préférer " cette race persévérante et énergique entre toutes " à ses Polonais.
La dédicace de Wagner
" An Frau Marie Muchanoff geborene Gräfin Nesselrode
Hochverehrte Frau!
Vor Kurzem wurde mir aus einem Gespräche, an welchem Sie theilnahmen, Ihre verwunderungsvolle Frage nach dem Grunde der Ihnen unbegreiflich dünkenden, so ersichtlich auf Herabsetzung ausgehenden Feindseligkeit berichtet, welcher jede meiner künstlerischen Leistungen namentlich in der Tagespresse, nicht nur Deutschlands, sondern auch Frankreichs und selbst Englands, begegne. Hie und da ist mir selbst in dem Referate eines uneingeweihten Neulings der Presse die gleiche Verwunderung aufgestoßen: man glaubte meinen Kunsttheorien etwas zur Unversöhnlichkeit Aufreizendes zusprechen zu müssen, da sonst nicht zu verstehen sei, wie gerade ich so unabläßlich, und bei jeder Gelegenheit, ohne alles Bedenken in die Kategorie des Frivolen, einfach Stümperhaften herabgesetzt, und dieser mir angewiesenen Stellung gemäß behandelt würde.
Es wird aus der folgenden Mittheilung, welche ich als Beantwortung Ihrer Frage mir gestatte, Ihnen nicht nur hierüber ein Licht aufgehen, sondern namentlich werden Sie aus ihr sich auch entnehmen dürfen, warum ich selbst zu dieser Aufklärung mich anlassen muß. Da Sie mit jener Verwunderung nämlich nicht allein stehen, fühle ich die Aufforderung, die nöthige Antwort zugleich auch an viele Andere, und deßhalb öffentlich, zu geben: einem meiner Freunde konnte ich dies aber nicht übertragen, da ich keinen von ihnen in solch unabhängiger und wohlgeschützter Stellung weiß, daß ich ihm die gleiche Feindseligkeit zuzuziehen wagen dürfte, welcher ich nun einmal verfallen bin, und gegen welche ich mich so wenig wehren kann, daß mir in ihrem Betreff nichts Anderes übrig bleibt, als eben nur ihren Grund meinen Freunden genau zu bezeichnen.
Auch ich selbst kann hierzu nicht ohne Beklemmung mich anlassen: jedoch rührt diese nicht von der Furcht vor meinen Feinden her (denn da hier mir nicht das Mindeste zu hoffen bleibt, habe ich auch Nichts zu fürchten!), sondern vielmehr von der besorglichen Rücksicht auf hingebende, wahrhaft sympathische Freunde, welche das Schicksal mir aus der Stammverwandtschaft desselben national-religiösen Elementes der neueren europäischen Gesellschaft zuführte, dessen unversöhnlichen Haß ich mir durch die Besprechung seiner so schwer vertilgbaren, unsrer Cultur nachtheiligen Eigenthümlichkeiten zugezogen habe. Hiergegen konnte mich aber die Erkenntniß dessen ermuthigen, daß diese seltenen Freunde mit mir auf ganz gleichem Boden stehen, ja, daß sie unter dem Drucke, dem alles mir Gleiche verfallen ist, noch empfindlicher, selbst schmählicher zu leiden haben: denn ich kann meine Darstellung nicht ganz verständlich zu machen hoffen, wenn ich nicht eben auch diesen, alle freie Bewegung lähmenden Druck der herrschenden jüdischen Gesellschaft auf die wahrhaft humane Entwickelung ihrer eigenen Stammverwandten mit der nöthigen Klarheit beleuchte.
Somit sei Ihnen zunächst mit dem Folgenden ein Aufsatz aus meiner Feder mitgetheilt, welchen ich vor nun über achtzehn Jahren veröffentlichte. "
[Extrait de la lettre adressée de Varsovie par Marie Mouchanoff à sa fille Marie le lundi de Pâques 1869 ]
"[...] Je suis bien aise que la brochure de Wagner vous ait plu. Je ne l‘ai reçue que hier et me trouve très honorée de cette dédicace dont je ne savais pas le premier mot. Tout ce qu‘il dit de Mendelssohn et de Meyerbeer ist mir aus dem Herzen geschrieben. Voire même de Dawison (1), qui n’est mon idéal ni dans Shylock ,ni dans Méphisto, quoiqu’incomparable dans Richard III. La presse allemande est exaspérée unanimement contre Wagner. Les Juifs de Varsovie sont mis en méfiance de moi. Si Wagner avait attaqué des persécutés, je ne l'approuverais pas, mais j‘aime les témérités contre les puissants et les triomphateurs. J‘aurais voulu intercaler une seule petite phrase qui rendît justice à la charité et à la sobriété de cette race persévérante et énergique entre toutes ; mais il ne connaît pas nos Polonais, pour la plupart hélas! si inférieurs à nos Juifs.
Donnez-moi bientôt des nouvelles de mes amours je vous écrirai incessamment, car j’ai encore bien des choses à vous dire, mais une recrudescence du mal m’empêche de rester longtemps assise. Un million de tendres baisers, chère et unique Marie. "
(1) Marie Mouchanoff (Varsovie 1822 - 1874 ), comtesse, pianiste et mécène polonaise wagnérienne qui contribua grandement à faire connaître l'oeuvre de Wagner en Pologne.
(2) Bogumil Dawison (Varsovie 1818 - Dresde 1872), acteur juif allemand qui, considéré comme le porteur d'un style nouveau rencontra un grand succès dans les rôles de Méphisto, Franz Moor, Marc Antoine, Hamlet, Charles V, Richard III et le roi Lear.
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