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mercredi 14 novembre 2018

Etre Français et wagnérien pendant la première guerre mondiale. Les souvenirs littéraires de Willy.

Willy
Extrait des Souvenirs littéraires ... et autres de Willy (1859-1931).

Henri-Gauthier-Villars, - dit Willy, qui fut le mari de Colette, et qui publia aussi sous les pseudonymes de Henry Maugis, Robert Parville, l'Ex-ouvreuse du Cirque d'été, Jim Smiley, ou encore Boris Zichine - , livre dans ses Souvenirs littéraires pleins d'humour le roman de sa vie. Il évoque au chapitre IX les attaques de l'académicien Frédéric Masson (1) contre les wagnériens et son propre courage de wagnérien convaincu.

Chapitre IX

L'académicien Frédéric Masson demande qu'on me fusille.

Pendant la guerre, pour avoir confessé que je restais partisan « inchangé » de la musique wagnérienne, j'ai reçu plusieurs lettres où l'on me disait, entre autres douceurs « Si vous aimez Wagner, c'est que vous êtes un sale boche ». Puissamment raisonné! Alors, si j'aime le thé, je suis un sale Chinois? En 1914, l'académicien Frédéric Masson, - on eût dit le colonel Ramollot (2) assez gris pour s'être trompé d'uniforme -, réclama patriotiquement, dans L'Echo de Paris, le peloton d'exécution pour tous les wagnériens en général et pour moi en particulier... J'aurais pardonné cette opinion à l'extravagant collectionneur de bretelles napoléoniennes dont Camille Mauclair, - étrange! étrange ! - , a célébré un jour la courtoisie ( ?) si, dans le même article, il n'avait eu le culot de déclarer le rondouillard Noël d'Adam supérieur à... Parsifal ! Ces fétides propos me montèrent au nez et malgré les objurgations d'Henry Simon, son directeur et mon ami, pour qui l'habit vert est « Tabou », j'accrochai au derrière de ce vieux schnock des invectives de choix dont il eut l'imprudence de se montrer marri. Lors, je récidivai, dansant de joie, car le mot de Gavarni reste vrai: « Les marris me font toujours rire ». 

En dépit des épitres [sic] comminatoires et des articles baveux, je continuai de vénérer le titan de Bayreuth dont (en certaines occasions) la musique, aujourd'hui encore « me prend comme une mer ». Et Debussy lui-même n'a pu me guérir complètement de ce qu'il tenait pour une maladie mortelle. Certes, un charme invincible émane des tendresses dont Pelléas enveloppe Mélisande aux longs cheveux; je le subis, mais il n'efface pas les amours anciennes. Et la volupté aiguë des accords de neuvième dont s'enivrent dangereusement ces enfants aux perversités presque innocentes ne peut abolir, en mon cœur fidèle, le souvenir du cor de Siegfried jetant, à travers le mouvant rempart des flammes magiques l'allègre défi de sa fanfare. Ce Wagner, m'objectaient des lecteurs assidus, mais ballots, ce Wagner, vous oubliez donc qu'il est Allemand? Pas le moins du monde. S'il avait pu naître à Paris et l'aigre Saint-Saëns à Leipzig, ça me ravirait. Malheureusement on ne m'a pas consulté. D'ailleurs je ne pousse pas l'amour du « Tondichter » jusqu'à chérir ses « épigones », pour parler comme les Allemands qui se rappellent leurs études grecques ; il y a, dans nombre de villes germaniques, des chefs d'orchestre et des compositeurs hypowagnériens qui rééditent les formules du maître jusqu'à plus soif; confections niaisement adroites, auxquelles je préfère n'importe quelle inspiration personnelle de Massenet, voire. de Puccini. Sur ce point, André Cœuroy me donne raison et quand j'ai l'assentiment d'André Cœuroy, je me fiche du reste.

(1) Frédéric Masson (1847-1923), historien français, spécialiste des études napoléoniennes et secrétaire perpétuel de l'Académie française.
(2) Personnage fictif, héros des Histoires du colonel Ramollot : aventures et araignées, boutades et joyeux récits, par Charles Leroy (vint volumes publiés à partir de 1885). Par extension, un ramollot désigne un militaire doté d’une voix puissante, prompt à l’algarade, fantasque, foutraque et ne brillant pas par son intelligence.
(3) André Cœuroy (1891-1976), musicologue et critique musical.

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