Albérich et les Filles du Rhin |
En juillet 1912, la revue Art et décoration lui consacrait un long article qui présentait également son travail d'illustrateur des oeuvres de Richard Wagner :
[...] Après Shakespeare, Wagner; après les amusantes péripéties des contes et des féeries, la grandiose poésie des mythes primitifs. La tentative pouvait sembler dépasser les moyens de Rackham et son audace paraître grande de se mesurer avec la rude épopée tout imprégnée, dans notre souvenir, des formidables ou caressantes harmonies du maître de Bayreuth. Très adroitement — et très légitimement — Rackham n'a retenu, du drame touffu d'amour et de mort qui se déroule et s'enchevêtre autour de la conquête néfaste de l'Anneau, que les thèmes auxquels pouvait le mieux s'adapter son génie personnel. Qu'on ne s'attende donc pas à trouver ici, par exemple, des traductions— bien inutiles après Wagner — des funérailles de Siegfried ou de l'écroulement du "Walhalla; même la mort de Siegfried eût pu sans dommage être passée sous silence. Mais le gnome Alberich et le
nain Mime, et les géants, et les Filles du Rhin, et tant d'autres figures légendaires, quels incomparables motifs pour un artiste tel que Rackham ! Voici, retracées à trois reprises, les cruelles agaceries, prélude du rapt de l'Or, que font subir au pauvre Alberich les souples et moqueuses Filles du Rhin (et quel charmant tableau que celui — d'un dessin si juste et si savant — des jeux fous des trois nixes, poussant leurs « Weia! Waga ! Wagalaweia ! », se poursuivant, filant dans les eaux glauques aux lueurs crépusculaires, toute leur chevelure dressée par la fuite rapide dans les profondeurs du fleuve ! ) Et c'es tensuite, sous l'arbre aux fruits d'or, dispensateur de la jeunesse éternelle, Freia, la joie des dieux, non pas telle, sans doute, que nous pouvions l'imaginer, imposante Vénus germanique, mais, au contraire, frêle soeur des ondines du Rhin, délicate vierge d'Albion, parente plutôt des idéales apparitions d'un Burne-Jones. Brünnhilde elle-même, la guerrière, n'aura pas ici la robustesse qu'on lui prête d'ordinaire, — et, notons-le en passant, ce n'est pas le côté le moins curieux de l'oeuvre que nous étudions que cette interprétation, si foncièrement anglaise, du poème germanique, — mais sur son maigre visage et dans ses yeux ardents se lit toute l'impatience du combat; et quelles belles pages décoratives que celles où nous la voyons, la lance en main, escaladant le rocher, sondant l'espace de son regard tendu, ou bien, pensive, traversant la clairière en guidant par la bride son fidèle coursier, ou encore, droite et grave, attendant Sigmund qu'elle doit conduire à Wotan, ou enfin, dans une composition admirable entre toutes, baisant l'Anneau que lui a donné Siegfried! Et voici maintenant Wotan lui-même, sur son cheval fantastique, fonçant, la lance en main, parmi les sombres nuées traversées d'éclairs ; les géants Fafner et Fasolt, brutes au corps noueux et velu, entraînant la chevauchée des fougueuses walkyries; le subtil dieu du Feu, se riant le Mime-serpent qui tente de l'effrayer, ou bien dresse parmi les langues ardentes qu'il fait surgir autour du corps de Brünnhilde endormie sous la lance de Wotan; celui-ci s'éloignant et jetant un dernier regard sur l'abîme autour duquel tourbillonnent les flammes; l'affreux Mime peinant à forger l'épée de Siegfried; l'énorme dragon aux reflets cuivrés, aux narines fumantes, allongé, l'oeil mi-clos, hors de l'antre où est caché l'Anneau (c'est le sujet de deux planches différentes, et deux autres aquarelles au Salon, Le Dragon vert et Léviathan, montraient la fascination opérée sur Rackham par un tel motif et l'étonnant parti qu'il en tire); le corps à corps de Siegfried avec le monstre, et celui-ci gisant, pattes étendues, dans son sang d'où monte une vapeur blanchâtre; les Filles du Rhin suppliant Siegfried, puis élevant, triomphantes, l'Anneau reconquis, — autant d'images qui eussent suffi à justifier l'exposition de cet ensemble et son succès. [...]
Les Walkyries |
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