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lundi 22 octobre 2018

En 1869, trois écrivains Français visitaient la Résidence de Louis II de Bavière . Le récit de Catulle Mendès.

La Résidence

En août 1869, l'écrivain français Catulle Mendès séjournait à Munich en compagnie de sa femme Judith Gautier et de Villers de l'Isle-Adam, un séjour dont l'objectif principal était d'assister à la première de l'Or du Rhin de Richard Wagner. Les trois écrivains eurent l'occasion de visiter librement la Résidence royale, un rare privilège. Catulle Mendès fait le récit de cette visite dans ses Notes de voyage que publia régulièrement le quotidien français Le National. En voici la retranscription :



LES DÉGUISEMENTS DE VÉNUS (1)



Un voyageur, passant un jour dans une bourgade de l'Afganistan [sic], fut interpellé par un homme qui était assis devant une porte.



- Étranger, demanda l'homme, est-il vrai que les gens de ton pays adorent un grand prophète? 

- Ils n'adorent pas un prophète, répondit le voyageur, mais un Dieu. 
- En vérité! Et qu'a-t-il fait, ce Dieu? .
- Des miracles: il a ressuscité les morts. rendu l'ouïe aux sourds, guérit les lépreux et les possédés.
- Est-ce tout?
- Il a multiplié les pains, il a marché sur l'eau. 
- Il a marché sur l'eau? Oh alors, c'était vraiment un grand prophète, car, nous n'avons ici guère que deux ou trois personnes qui soient capables d'en faire autant.


Cette impertinente réplique nous a été remise en mémoire ce matin par un excellent Muniquois [sic] qui nous disait :


- Oui, oui, le château de Versailles doit être assez vaste, puisqu'il est à peine deux ou trois fois plus petit que la Résidence. Naïf amour du clocher! Illusion d'une âme honnête! Il faut reconnaître cependant que la demeure du roi de Bavière est une colossale bâtisse. Tandis que nous nous approchions lentement, grâce à l'allure méthodique d'un maigre cheval de fiacre, elle se dressait de plus en plus grandiose sur le ciel, parmi les arbres d'un parc qui ressemble à la forêt de Fontainebleau.


Notre voiture s'arrêta entre deux guérites peintes de losanges blancs et bleus, et le cocher, qui nous.avait entendu parler français. commença un long discours allemand dans le but de troubler nos esprits et de nous extorquer une somme considérable pour prix d'une course de dix minutes. Nous le laissâmes dire patiemment, et il tendit vers notre porte-monnaie une main sûre du triomphe. Mais quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu'il nous vit lui remettre, fort du tarif consulté, et avec un sourire en guise du pourboire, deux petites pièces de six kreutzer! Son attitude devint tout à coup celle d'un homme vaincu par une fatalité définitive; et, en nous éloignant, nous l'entendîmes murmurer d'une voix sourde ce mot profond :



- Il n'y a plus d'étrangers!



Un ordre qui nous avait précédé à la Résidence (2) nous conférait le droit d'y pénétrer seul, par n'importe quelle porte, à n'importe quelle heure. Nous entrâmes dans une cours latérale, solitaire, où l'herbe pousse, et que décore une magnifique fontaine de bronze vert. Au fond, dans un vaste mur rosâtre s'ouvre une voûte basse. Nous choisîmes et chemin. Quelques marches descendues, une porte poussée, nous nous trouvâmes dans une salle ancienne.



Sortir de la vie moderne et entrer tout coup dans le passé, cela équivaut à une douche glacée sur un front brûlant. Nous eûmes le frisson.



Autour de nous d'énormes parois peintes où s'effaçaient confusément des groupes chevaleresques, et qui, bossuées par l'humidité faisaient saillir çà et là une armure décolorée. ou projetaient le bras de plâtre d'un guerrier. Au-dessus de notre front, à une grande hauteur, des peintures encore, plus troubles, plus brouillées, presque disparues. De loin en loin, sur les murs, des hallebardes droites, aux pointes damasquinées, vieilles armes qui s'oxydent. Une statue qui, dans la pénombre, avait l'air d'une sentinelle, se tenait debout près d'une porte. Le sol, de briques rouges, sonnait profondément. Des fenêtres invisibles versaient une clarté morne. Est-ce dans cette salle que vient errer parfois, à l'heure des agonies royales, celle qu'on nomme à présent la Dame Noire, et qui, de son vivant, fut l'archiduchesse Maria-Anna-Augusta, fille de Ferdinand II, empereur d'Autriche, et femme de Maximilien Ier, duc de Bavière? (3) Comme nous rêvions, un bruit de crosse de fusil retentit sur les briques du sol. Ce que nous avions pris dans la demi-obscurité pour une statue était un grand gaillard de soldat bavarois. Il porta la main à son casque. Nous saluâmes. Ainsi s'évanouissent le fantômes! 



Par des escaliers de pierre qui rodent sous des plafonds bas. par de longues galeries où gémit le vent froid des solitudes, nous arrivâmes au premier étage de la Résidence, et devant nous s'ouvrit une interminable enfilade de salles somptueuses. 



Les fenêtres étaient closes à demi. Nul être vivant. Aucun bruit. Nous marchions en songeant, comme un héros des contes arabes transporté dans le palais d'un Génie.



Ce furent d'abord de vastes appartements pleins d'une gravité hautain,. Les fresques des murs racontaient des batailles. Des lustres énormes descendaient des plafonds d'or. çà et là. un lit de parade aux courtines de brocard semblait avoir été destiné au sommeil d'un géant. Qui donc, n'étant qu'un homme, a osé habiter sous ces lambris énormes ? Est-ce l'un des héros dont les statues colossales, en bronze doré, solennisent la salle du Trône? Nous nous sentions tout petit en passant sous les portes.



Puis, après la courte transition de quelques antichambres, éclata un luxe fou, bizarre, charmant. Plus d'appartements lugubres à force de grandeur, Cent petites chambres, qui ressemblent à des boudoirs, montrent leurs murailles tendues de soies claires, font luire l‘or ciselé de leurs meubles et les marbres polychromes de leurs cheminées qui se courbent en de fantasques dessins. Des vases de Chine, du Japon, de Saxe et de Sèvres surchargent des étagères qui ressemblent de loin aux gradins fleuris d'une serre. Tant de couleurs relatent à la fois, en mille détails, de toutes parts, que l‘on dirait d'un palais de coquillages. Et l‘on se demande si quelque Mme de Pompadour bavaroise n'a point habité plus d'une dans ces petites salles aux murailles discrètes, n'a pas rêvé longuement sur ces tendres sophas [sic], n‘a pas miré ses lèvres rouges dans ces miroirs de Venise, encadrés de porcelaines fleurie. où des colombes se becquettent.



Plus loin, - car nous marchions toujours à travers la solitude du palais, - nous entrâmes dans un appartement où le luxe avait je ne sais quoi de mélancolique et de recueilli. Des pâles tentures bleues, fleuries, çà et là de fleurs pâles, descendaient languissamment vers des tapis aux couleurs éteintes. Les fauteuils d'une causerie récente étaient groupés autour d'une table aux pieds d'argent. Près d'une bibliothèque, une chaise longue, favorable aux rêveries. Qui donc habitait cet appartement calme et clair? Sur une cheminée il y a un groupe de marbre représentant Lohengrin et Elsa. Nous étions dans la chambre même de S.M. Louis II. 



Plus loin encore et après avoir longtemps erré de salle en salle, nous nous trouvâmes en face d'une porte fermée. Jusqu'à présent, notre promenade curieuse n'avait rencontré aucun obstacle. Les tentures s‘étaient complaisamment écartées, les serrures avaient partout obéi à la plus légère pression de notre main. Cette porte résistait. Nous conçûmes aussitôt un violent désir de l'ouvrir et de connaître ce qu'elle nous cachait. Que faire? appeler quelqu'un? Il n'y avait personne dans le palais. Nous enragions. Il y a des moments où on voudrait être serrurier. Nous avions bien dans notre poche la dé de notre malle, mais il eût été absurde d'espérer qu'une clé grosse comme une épingle pût produire quelque effet dans un trou de serrure plus large qu'un quadruple florin. Cependant,nous essayâmes et, chose extraordinaire, à peine avions-nous introduit la petite clé dans la grande serrure, que la porte, avec un grand fracas, s'ouvrit à deux battants. Il est probable que, sans le savoir, nous avions touché quelque ressort mystérieux. Quoi qu'il en soit, la porte était ouverte, et c'était tout ce qu'il nous fallait. 



Combien il eût été dommage qu'elle ne s'ouvrît pas! Sur les murs de deux vastes salles nous apparurent, en grand nombre et symétriquement placés, des portraits de femmes, et ces femmes étaient les plus belles du monde! (4) Là sont réunis tous les types, toutes les conditions, tous les costumes féminins. Une Anglaise aux yeux pâles rêve aux côtés d'une Espagnole dont le regard est pareil à un double poignard d'or. Les cheveux blonds d'une Allemande ressemblent à des rayons de miel; une Italienne a l'air d'être coiffée d'un casque noir. A côte d'une archiduchesse reconnaissable à son pompeux habillement, se montre, moins superbe, non moins belle, une Tyrolienne des monts d'Inspruck [sic] Voici une Parisienne, un peu trop minaudière, mais charmante; voici une Russe, parisienne aussi. Harem immobile et parfait ! Nous allions de toile en toile, extasié, car chacun de ces portraits est l'idéal même du type qu'il représente. Préférer eût été impossible. Nous songions malgré nous à un galant poème du dix-huitième siècle. qui s'appelle Les Déguisements de Vénus (1). Nous nous imaginions que l'éternelle Aphrodite avait revêtu tour a tour toutes les belles formes, tous les costumes, pour la gloire d'un peintre et les délices d'un collectionneur enthousiaste. Car nous sentions bien que nous regardions des portraits et non des visages conçus par le rêve seul ; il y avait dans toutes ces beautés une réalité incontestable. Ces femmes peintes existaient ou avaient existé. Heureux qui les voit ou qui les a vues vivre! Ce fut seulement lorsque l'ombre s'établit que nous quittâmes ces salles enchanteresses. S.M le roi Louis Ier, grand-père du roi actuel, a réuni les plus nobles exemples de la beauté féminine. Et, en nous retirant, nous pensions ce prince enthousiaste et à une historiette qu'on nous conta. 



Quand Louis Ier fut mort, il n'eut pas besoin d‘attendre, pour ressusciter, le jour du dernier jugement. Les rois, même dans l'autre monde, obtiennent des tours de faveur. Donc, sans retard, il s'en vint frapper à la porte du Paradis.



- Qui est là? demanda saint Pierre.

- Louis Ier, roi de Bavière. Ouvrez!

Et, en effet. le bon Saint- Pierre se prépara à laisser entrer l'auguste Élu; mais, d'abord, embouchant un porte-voix, il cria vers le Paradis:

- Voici le roi Louis Ier ! ... ! ...Enfermez les Onze Mille Vierges!


Catulle Mendès 



(La suite prochainement)



Notes 

(1) Le titre de cet article est emprunté au poète Évariste de Parny qui publia en 1803 à Paris un recueil intitulé Porte-feuille volé, qui comportait trois parties: Le Paradis Perdu, les Déguisements de Vénus et Les Galanteries de la Bible.

(2) Il se pourrait que les trois journalistes français ont obtenu ce privilège suite à une recommandation de Richard Wagner auprès du roi Louis II de Bavière.

(3) Il s'agit de Marie-Anne d'Autriche (1610-1655).  Fille de l'empereur Ferdinand II du Saint-Empire et de Marie-Anne de Bavière1 , née le 13 janvier 1610, Marie-Anne d'Autriche épousa en 1635 son oncle, l'électeur Maximilien Ier de Bavière, de 37 ans son aîné. Celui-ci veuf d'Élisabeth de Lorraine (1574-1635) et sans enfant, fervent défenseur de la cause catholique pendant la guerre de Trente Ans, avait reçu en 1620 la dignité électorale.
 Joachim von Sandrart, Marie-Anne d'Autriche
(Kunsthistorisches Museum de Vienne)

Si Catulle Mendès évoque la légende de l'apparition d'une dame en noir, Jacques Bainville ou Léo Larguier parlent plutôt du tableau de la Comtesse Orlamonde, aussi appelée la Dame blanche. Ainsi dans cet extrait du roman Le roi sans reine que Larguier consacre à Louis II:

" — Il paraît, dit une vieillie dame à son voisin, que notre roi savait qu’il ne tarderait pas à mourir, il avait vu au bal la comtesse... la comtesse... Comment l’appelez- vous ?
— La comtesse Orlamonde? fit l’autre en haussant les épaules et en lançant une bouffée de fumée, vous voulez rire, ma bonne, ce sont là des histoires auxquelles les enfants en bas âge ne croient plus. C'est impossible...
— Si, si ! répondit-elle... et ce n’est pas la première fois que cela arrive. Dans une salle de la "Résidence", il y a un grand portrait de cette comtesse, et quand un roi de Bavière est prêt de sa fin, il voit s’animer la peinture. Ce sont d’abord les yeux ; les paupières battent comme celles de quelqu’un qui s'éveille ; le regard s’anime ; puis, une main s’agite, tapote la jupe de brocard, et, comme si elle sautait d’une fenêtre sur le parquet, la comtesse Orlamonde saute à bas de son cadre. Le roi est seul à voir le miracle. Elle va vers lui, salue de la tête, et il sait qu’il ne tardera pas à mourir... Eh bien ! on dit que le soir du premier jour de mars, Sa Majesté a été témoin de cette scène, au milieu d’une grande fête de la Cour, et le roi s’est alité le surlendemain et il est mort cinq jours après, voilà! Dieu garde notre nouveau roi, Louis II, son fils, mais il est si jeune ... Songez qu’il vient d’avoir seulement dix-huit ans !... Oh! je sais son âge, parce que ma petite fille, Charlotte, est née le même jour, le 25 août, en 1845 ; vous pouvez compter...
— Il paraît qu’il est très beau, dit une jeune femme... Je ne l’ai jamais vu... Jusqu'à présent, personne ne la beaucoup approché. Il paraît aussi qu’il est toujours triste et qu'il adore la poésie et la musique... Il faudra bien qu’il se montre, maintenant. "

(4) Il s'agit de la Galerie des Beautés (en allemand Schönheitengalerie), une galerie de portraits commandée par Louis Ier de Bavière, La galerie rassemble trente-six portraits de dames célèbres pour leur beauté et peintes pour le roi de Bavière entre 1827 et 1850 par Joseph Karl Stieler, nommé peintre de la cour en 1820.  Ces oeuvres, qui étaient exposées dans des salles de la Résidence jusqu'à la seconde guerre mondiale, furent transférées  après la guerre dans l'aide sud du château de Nymphenburg, où elles se trouvent encore actuellement exposées.


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