Crédit photographique Wilfried Hösl |
Kirill Petrenko dirigeait hier soir le deuxième concert d’Académie de l'Orchestre d'Etat de Bavière avec un programme interprété à quatre reprises, pour trois soirées dans la capitale bavaroise et une en déplacement, au Centre culturel LAC (Lugano Arte e Cutura), ce mercredi 17 octobre.
C'était la première fois que le directeur général de la musique interprétait une œuvre d'Arnold Schönberg avec l'Orchestre de Bavière, le Concerto pour violon et orchestre op 36, le seul concerto pour violon que Schönberg ait composé, avec en soliste la violoniste Patricia Kopatchinskaja. La violoniste moldave, qui a déjà joué dans de nombreuses salles de concert renommées, - dont le Konzerthaus de Vienne, le London Wigmore Hall et le Concertgebouw à Amsterdam - , faisait sa grande entrée au Théâtre national de Munich.
Le concerto pour violon de Schönberg est connu pour être une des oeuvres les plus difficiles à interpréter même pour un violoniste virtuose avec la largeur de ses sauts, avec ses suites battantes de sons à produire "en flageolet", comme les claquements d'un drapeau au vent, sa dynamique rapide et la folie presque insensée de ses attaques doubles et multiples. Patricia Kopatchinskaja considère cette oeuvre comme "un défi tant pour les interprètes que pour les auditeurs" et indique que Schoenberg a besoin de "moins de compréhension intellectuelle, plus de ressenti, d'intuition et de fantaisie".
Cette première partie fut un ensorcellement avec l'entrée en scène d'abord de l'impressionnante cohorte de musiciens que nécessite cette oeuvre écrite pour très grand orchestre et l'apparition de la violoniste en longue robe aux cotonnades immaculées, une robe à l'architecture aussi complexe que la partition que la jeune femme portait comme en triomphe avec son violon à bout de bras levés au-dessus de sa tête. La blancheur de la robe tranche sur les fracs noirs impeccables des hommes et les ensembles noirs des dames et focalise d'emblée l'attention sur l'interprétation attendue de la soliste qui, ici plus qu'ailleurs, est au centre de l'oeuvre. C'est que la violoniste se prépare à un combat énorme à livrer avec l'oeuvre, un combat titanesque dont le prix n'est autre que le déploiement magique de l'univers schönberguien, et dont les armes sont à la fois une maîtrise virtuose absolue et l'entrée en transe de l'interprète, qui se transforme en démiurge, comme une jeune prêtresse vaudou dont la tâche surnaturelle est de créer un passage entre deux mondes. Cette musique qui pour la plupart des auditeurs est sans doute un choc et une épreuve se transforme en fascination: Patricia Kopatchinskaja est en constant dialogue avec son violon .qui semble animé d'une vie propre, avec le chef et l'orchestre, tout son corps vibre avec la musique, elle sautille, est prise de soubresauts, son visage très expressif et mobile exprime toute une palette d'émotions, avec des mines de lutin, de gamin coquin et malicieux sur le point de jouer un bon tour, de petit chef de bande qui stimule et apprécie les attaques de l'orchestre, elle est en transe, elle n'est plus de ce monde, on semble assister à la lutte de Joseph avec l'ange. Ce n'est plus seulement l'interprétation virtuosissime d'un concerto, c'est de la magie musicale, un événement énergétique immense dans lequel la violoniste entraîne l'orchestre et le public. C'est astral, c'est sidérant et une fois le dernier accord arraché aux cordes et à l'âme du violon, c'est un triomphe. Faut-il souligner que seuls les plus grands interprètes et les plus grands orchestres peuvent réussir à gagner un public entier à une oeuvre aussi difficile, et qu'il faut un chef aussi brillant et consommé que Kirill Petrenko pour relever les défis innombrables de la partition? Le public ne peut être initié à l'oeuvre que par la rencontre des excellences du chef, de l'interprète et de l'orchestre.
Patricia Kopatchinskaja donna deux encore, deux duos, dont un de Jörg Widmann, joyeusement exécutés avec deux musiciens de l'orchestre.
En deuxième partie du programme. Kirill Petrenko dirigeait la Symphonie n ° 2 en ré majeur op. 73 de Johannes Brahms, une oeuvre que le Maestro approfondit depuis plusieurs années. Elle avait lors de sa première le 30 décembre 1877 déchaîné une tempête d'enthousiasme au point que le troisième mouvement le délicieux troisième mouvement avait dû être répétée. C'est avec cette oeuvre que Brahms, dont on connaît les appréhensions à s'attaquer à ce genre, s'était également affirmé comme compositeur symphonique.
On ne sort pas intact d'une interprétation réussie du concerto de Schönberg. L'écoute de la symphonie de Brahms, toute innovative qu'elle soit, apporte comme un baume sur les déchirures de l'âme qu'a opérées le concerto; c'est, surtout dans les deux premiers mouvements, le calme après la tempête: on revient aux rivages dorés d'un monde connu, ceux du lac de Wörth (Wörthersee) aux bords duquel Brahms composa sa symphonie lors d'un séjour estival, une oeuvre à l'humeur plutôt joyeuse qui marie un sérieux méditatif à un humour subtil. Ce sont à peu près les mots du critique musical Eduard Hanslick, un propos qui colle bien aussi à l'interprétation magique et brillante de Kirill Petrenko qui restitue parfaitement les atmosphères de l'oeuvre. Ici comme ailleurs, Kirill Petrenko fait preuve d'une précision extrême dans sa direction d'orchestre, avec un respect tout aussi extrême de la partition: à la douceur et au calme de l'introduction va succéder plus d'intensité et une montée progressive de la dramatisation. Sa conduite du troisième mouvement nous restitue l'enchantement de la première viennoise de l'oeuvre avant les éclats jubilatoires du final. Le public fait un triomphe à ce chef qui reste toujours modeste aux applaudissements et met avant tout en avant le travail de son orchestre.
A noter que Kirill Petrenko qui reprend les rênes du Berliner Philarmoniker dirigera le concerto pour violon de Schönberg avec cet orchestre et Patricia Kopatchinskaja en mars prochain à la Philarmonie de Berlin, puis en déplacement le 15 avril à Baden Baden, avec en deuxième partie de programme la Cinquième symphonie de Tchaikovski.
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